Pourquoi j’ai avoué à mon petit-fils que son père avait tué sa mère
Illustration : Dola Sun

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Crime

Pourquoi j’ai avoué à mon petit-fils que son père avait tué sa mère

L'histoire d’une femme qui a réussi à élever un enfant après l'impensable.

Cet article a été publié en collaboration avec The Marshall Project. Propos rapportés par Eli Hager.

Dans la nuit du 18 juin 2002 à Mt. Shasta, une petite ville tranquille de Californie, Gabriel John Pippin se tenait devant la maison de son ex-petite amie, Sacha Ann Marino. Leur fils Caleb se trouvait à l'intérieur, avec la sœur et les grands-parents de Sacha. Quand Marino est sortie de la maison en compagnie de son nouveau petit ami, Pippin leur a tiré dessus, et a continué de faire feu à l'intérieur de la maison alors qu'ils essayaient de s'enfuir.

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Pippin purge actuellement une peine à perpétuité dans la prison de Sierra Conservation Center pour double meurtre. Dans cette prison à sécurité moyenne, les détenus sont formés à combattre les feux de forêts en Californie.

Pendant ce temps, la mère de Sacha, Lisa, a élevé Caleb seule. Il a aujourd'hui 15 ans. Ils ont depuis déménagé dans l'Oregon – et la manière dont ce garçon perçoit le fait qu'il est le fils du meurtrier, mais aussi le fils de la victime, a beaucoup évolué au fil du temps. Avec ses propres mots, Lisa explique ci-dessous ce que ça fait d'élever le fils du meurtrier de sa fille, et pourquoi elle estime que les gens comme Pippin ne méritent pas de seconde chance.

Quand il était encore gamin, je disais simplement à Caleb que sa mère était décédée. Je l'emmenais au cimetière, à Mt. Shasta – la ville où nous vivions avant tout ça, un lieu magnifique perché dans les montagnes – pour se recueillir sur sa tombe. Il jouait près de sa pierre tombale et restait souvent scotché devant la photo de sa mère.

Au fil des années, il a commencé à parler à sa tombe, s'asseyant parfois sur mes genoux pour embrasser sa photo. Il disait souvent « Il y a un méchant qui a tué ma mère et mon père. »

Mais c'est embarrassant pour moi de voir Caleb se rendre au cimetière pour lui parler. Nous n'y allons pas si souvent depuis que nous avons déménagé, et c'est à presque une heure et demie de l'Oregon. (Quand quelqu'un me demande d'où je viens, je n'arrive toujours pas à répondre.)

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À quatre ans, les avocats de ma fille ont interviewé Caleb avec une caméra pour lui demander ce qu'il voudrait qu'il arrive au méchant.

Je me disais que lorsqu'il serait plus grand, nous pourrions l'emmener voir ce méchant. J'aurais aimé pouvoir lui répéter à quel point je le détestais.

Caleb bénéficiait d'une aide psychologique – une « thérapie du jeu », comme ils l'appellent. Ils lui ont demandé d'apporter des photos de personnes qu'il aime, et d'autres qu'il n'aime pas. À ce moment-là, je lui avais déjà montré une photo du méchant tiré d'un journal régional (je m'étais débarrassé de toutes les autres) et il l'avait apporté à la thérapie pour la détruire.

Ils m'ont dit que lorsque Caleb a eu sept ans, il a commencé à poser des questions. Et naturellement, trois ans plus tard, il m'a demandé « Maman [il m'a toujours appelé ainsi], qui a tué ma mère ? »

Je lui ai toujours dit la vérité, mais il n'était pas en mesure de comprendre la notion de parent biologique, et j'ai donc dû lui expliquer : « C'était ton père biologique, l'homme qui était là lorsque ta mère t'a conçu. »

Son visage et son regard, ce fut terrible. Il était en mesure de comprendre que je parlais de son vrai papa. Il a alors demandé « Est-ce qu'il m'aimait ? »

Qu'est-ce que je pouvais bien lui dire ? La vérité sur cette histoire ? Que sa mère n'avait plus aucun contact avec son père biologique depuis pas mal de temps et qu'elle voyait quelqu'un d'autre ?

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Que son père, Gabriel, a tout découvert et n'a pas arrêté de la harceler pendant des mois en lui demandant « Tu vois qui ? Dis-le moi maintenant ! » Puis qu'elle a fini par répondre « Laisse-moi tranquille, on va déménager » ?

Ou bien j'aurais dû dire à Caleb que sa mère avait obtenu une ordonnance restrictive à l'encontre du père, mais que ça n'a pas marché ?

Toute notre famille était réunie à la maison, mon autre fille était de retour de l'université, et on faisait un puzzle tous ensemble. Mon père regardait la télévision dans son coin, ma mère dormait et le petit-ami de ma fille s'apprêtait à partir car il travaillait le lendemain.

Ma fille a posé son bébé (Caleb) sur le sol pour qu'il joue, car elle devait raccompagner son petit ami à l'extérieur.

Mais Gabriel l'attendait dans la rue.

De l'intérieur, mon autre fille a pu entendre les coups de feu. Elle a traversé le salon, pris le bébé dans ses bras et ouvert la porte.

Elle a vu sa sœur et son copain courir pour s'abriter dans la maison et Gabriel qui leur tirait dessus.

Il leur a tiré dans le dos alors qu'ils essayaient de rentrer dans la maison, et mon autre fille l'a vu avec son arme, la fixer, calme mais furieux. Elle est rentrée dans la maison avec le bébé en pensant Il va tous nous tuer, tout en essayant de calmer le bébé qui pleurait.

Ils se sont enfermés dans la salle de bains. Ma mère essayait d'appeler la police et mon père de prendre son arme, mais il n'a pas réussi à la charger. Il m'a donc appelé, et d'une voix tremblante m'a dit Il est en train de les tuer, il est en train de les tuer, et j'ai entendu crier. J'imagine que c'était mon autre fille, qui criait à pleins poumons. Elle ne comprenait même pas qu'elle était en train de crier.

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Il a touché la mère de Caleb deux fois à la tête alors qu'elle était déjà par terre, et son copain trois fois derrière la tête alors qu'il était déjà mort. Ma fille a vu le cerveau de sa sœur exploser.

Cet homme a même jeté un regard sur son propre enfant avant de tirer sur sa mère.

Dois-je vraiment raconter ça à Caleb ?

À dix ans, Caleb était totalement perdu. Il frappait dans des murs, hurlait. Il avait de bons amis qui prenaient soin de lui, mais ces derniers ont fini par déménager. Nous avons aussi perdu notre chienne. Quand ses amis sont partis et que la chienne est morte, il a pleuré pendant des semaines sans s'arrêter, en répétant Mais pourquoi doit-elle mourir ?

Lorsque mon fils (l'oncle de Caleb) a déménagé en Alaska pour le boulot, Caleb l'a extrêmement mal pris. Il a commencé à dire des choses comme J'ai envie d'être avec ma mère, je ne veux plus être ici. C'était des paroles suicidaires – mais prononcées par un enfant de dix ans.

Il sait que son propre père aurait pu lui tirer dessus cette nuit-là, alors qu'il n'était âgé que de quelques mois.

Gabriel a détruit ma famille, et moi avec.

Nous avons énormément souffert, et les gens ne le réalisent pas toujours. Évidemment, il ne devrait pas y avoir 700 personnes dans le couloir de la mort en Californie. Mais je pense que les gens comme Gabriel méritent d'y être.