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« Can't Stop, Won't Stop » revient sur 24 années de Bad Boy Records

Le réalisateur Daniel Kaufman nous a touché deux mots du tournage de son film qui retrace le parcours du célèbre label de rap de Puff Daddy.

Can't Stop, Won't Stop s'est monté à l'été 2016, au moment où Sean « Diddy » Combs et les anciens artistes de l'écurie Bad Boy préparaient une tournée hommage de deux semaines en mémoire de Biggie. Lors de l'avant-première du film, projeté dans le cadre du TriBeCa Film Festival en avril dernier, le public s'est entassé sur les fauteuils du Beacon Theater de New York, où il a pu découvrir des images d'archives datant des balbutiements du label, à l'époque où la ferveur d'un jeune Puff Daddy avait fait naître l'espoir chez tous les jeunes noirs du pays : eux aussi pouvaient se faire des millions avec leur passion. L'un des aspects les plus jouissifs du film est qu'il montre les retrouvailles en temps réel – accolades tendres et sincères – de Diddy avec certains des artistes les plus emblématiques du label comme Ma$e, Lil Kim, Carl Thomas ou Faith Evans. D'autres artistes ont été interviewés pour le film, comme Jay Z, qui reconnaît que sans l'énergie frénétique développée par Combs, lui et d'autres aspirants-superstars n'auraient peut-être pas eu l'imagination et la confiance nécessaires pour tenter de reproduire le modèle mis en place par Bad Boy Entertainment.

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C'est le premier long-métrage de Daniel Kaufman, qui a débuté très jeune aux côtés de son père sur des tournages de films humanitaires, entre les États-Unis et Haïti,. Grâce aux connexions d'un mentor bien renseigné, il s'est retrouvé invité à une réunion de préparation pour un film sur la tournée Bad Boy, et a commencé à y bosser dès le lendemain. Même si Can't Stop, Won't Stop se soumet largement à l'exigence du planning des concerts, Kaufman réussit à y intégrer des incursions régulières dans les différentes phases de l'histoire du label : les débuts de Diddy en tant qu'organisateur de soirées, l'accession de Biggie au rang de plus grande superstar hip-hop de tous les temps, la nouvelle direction prise après sa mort, et la production continue de hits pendant près de 30 ans. Pour terminer la soirée en beauté, Diddy, Ma$e, Lil Kim, Carl Thomas et Faith Evans sont montés sur scène pour chanter leurs tubes, sans le moindre faux-pas. Le lendemain, Kaufman a fait une escale dans nos bureaux pour discuter de la responsabilité qu'implique le récit d'une des plus importantes étapes de l'histoire du rap.

Noisey : Il est bien connu que Diddy est une personne très volontaire, qui peut soit motiver, soit intimider les gens. Comment tu l'as vécu toi, en tant que réalisateur ? De l'extérieur, on a l'impression qu'il a largement eu son mot à dire quant à la tournure que prenait le film.
Daniel Kaufman : J'ai eu l'impression d'être un artiste signé sur son label. J'avais droit à la parole, et j'avais mes objectifs, mais le film a clairement été produit par lui. J'avais discuté avec certaines personnes sur la question de la crédibilité d'un documentaire dont le personnage central assure le rôle de producteur. Comment espérer y trouver un peu d'authenticité ? Il avait son mot à dire certes, mais j'ai été extrêmement surpris du niveau de liberté qu'il m'a accordé en ce qui concerne le récit de sa propre histoire. Il m'a confié cette mission et m'a dit qu'il voulait que le résultat ressemble à une fête. Il voulait que tout tourne autour des retrouvailles de Bad Boy. C'était sincère. Il s'agissait vraiment d'exorciser de nombreux démons.

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Pourquoi il t'a choisi toi ?
Le réalisateur Mark Romanek est mon mentor depuis longtemps, et il est tombé sur la productrice du film à une soirée ; elle lui a demandé qui il considérait comme une version jeune de lui, pour assurer la réalisation du film; il a mentionné mon nom et ils m'ont contacté. Ils m'ont expliqué qu'ils voulaient faire un concert filmé, et je leur ai répondu que ça ne m'intéressait pas, mais que j'aimerais utiliser le concert comme trame narrative pour raconter l'histoire de la carrière de Diddy. J'ai rédigé un synopsis, puis j'ai eu un rendez-vous avec Puff, et la première chose qu'il m'a dit : « J'ai l'impression qu'on s'est déjà rencontrés ». Soit c'était une manière de me mettre à l'aise, soit c'était sincère, mais quoi qu'il en soit, il m'avait plutôt à la bonne. Dès le lendemain, on commençait le tournage. Dès le début, il m'a demandé quel était mon objectif, et je lui ai répondu : « Tu es un mec compliqué. Tout le monde sait que tu es un mec compliqué. Ça te desservirait de vouloir te montrer sous un autre angle que celui-là. »

C'est marrant, parce que pendant les cinq premières minutes du film, j'avais un peu peur que ça soit un de ces documentaires où tous les gens qui témoignent passent leur temps à dire à quel point le personnage central est génial. Mais petit à petit, tout le monde se met à passer en revue les différents aspects de la vraie personnalité de Diddy. Comme quand sa chorégraphe, Laurieann Gibson, raconte que c'est sur scène qu'il est le plus vulnérable et le plus honnête. Et c'est dingue de le voir flancher quand le premier concert de la tournée ne se passe pas comme il l'avait prévu. Il est tellement déçu qu'il se laisse aller, le front appuyé au mur, alors que tous les autres semblent satisfaits.
C'est amusant de voir que dans la salle, hier soir, les gens riaient, parce qu'en effet, c'est quelqu'un de vraiment marrant. Je ne m'attendais pas à ce que les gens rient autant. Puff a beaucoup de facettes, et le truc que j'ai apprécié, c'est qu'il nous a laissé le montrer tel qu'il est vraiment. Et d'une certaine manière, ça ne le rend que plus grand. Avant qu'on ne commence le montage, j'ai montré un film aux éditeurs, un documentaire qui s'appelle Let's Get Lost. Tu l'as vu ?

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Non.
Il est ouf. C'est mon docu préféré. Il a été réalisé par un photographe de mode ; c'est sur Chet Baker, le trompettiste de jazz. Du point de vue du style, il est similaire à notre film dans la mesure où il est tourné en noir et blanc, et utilise aussi des images d'archives. Un des trucs que j'ai trouvé le plus intéressant, c'est qu'ils commencent par te bassiner avec Chet, à quel point il est sexy, à quel point sa musique est incroyable, etc ; tous les éléments du mythe. Au bout de 30 minutes, tu commences à réaliser qu'il est l'exact opposé de tout ça, et je voulais essayer d'avoir recours à ce procédé, où tu commences à bassiner les gens avec Bad Boy, à quel point c'était génial, et puis ensuite, tu commences à montrer les gens sous leur vrai jour, à les rendre humains.

Qu'est ce que ça fait de s'être replongé dans toutes ces vieilles images ? Le gros du film fait partie des connaissances de base de la culture hip-hop, mais ça n'avait jamais été présenté et agencé de cette manière.
J'étais beaucoup plus intéressé par tout ce qui est actuel, parce que comme tu l'as dit, beaucoup de gens connaissent déjà l'histoire de Bad Boy. J'ai donc du réfléchir à ce que j'allais leur donner à voir. Et j'ai décidé de partager une expérience émotionnelle. Ils connaissent les faits. Ceci-dit, le film a pris une autre tournure une fois qu'on lui a intégré les images d'archives. Ce qu'elles apportent au film, c'est le personnage de Biggie. Ce que j'ai cherché à faire pendant la phase de rédaction du synopsis, c'est que le film soit hanté par le fantôme de Biggie. L'ambiance a commencé à être vraiment chargée environ cinq minutes avant la scène de l'enterrement. L'histoire de Biggie a toujours été triste, mais replacée dans le contexte de ce récit, c'était encore plus tragique. Voir ces artistes aujourd'hui, et réaliser qu'ils ne seraient pas ce qu'ils sont sans lui, ça a été un choc.

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Est-ce que ta perception du rôle de Biggie au sein de Bad Boy a changé après avoir fait ce film ?
C'est pour ça que cette histoire est aussi percutante, parce qu'elle a été racontée un millier de fois, elle a un côté très shakespearien, très biblique. Biggie était une figure christique pour le hip-hop des années 90, et il permis au genre de se renouveler radicalement. Juste après sa mort, le rap a cessé d'être aussi gangster. Ça a été une prise de conscience. Et puis le fait qu'il ait été assassiné a aidé Puff a passer la vitesse supérieure, et a inscrit le label dans la légende.

Une autre scène que j'ai retenue, c'est le bref moment de tension qui règne entre Faith Evans et Lil Kim. Notamment la conversation entre Puff et Kim, où il dit que tout le monde fait « des erreurs ». Une fois le mot lâché, on sent qu'il a dit ce qu'il ne fallait pas. Il y a eu un silence dans le public. Comment c'était de se retrouver au milieu de tout ça ?
Je ne voulais pas que ça soit perçu comme de l'étalage de vie privée.

Ça donnait l'impression d'être naturel. Pas comme si quelqu'un avait cherché à déclencher cette tension.
Quand j'ai assisté à ça, je me suis tout de suite dit qu'il fallait être aussi délicat que possible, parce que Kim est quelqu'un d'incroyablement talentueux, qu'on a diffamé pour un certains nombres de raisons. Quand on parle de couples ou d'affaires de cœur, c'est tellement facile d'en tirer ce qu'on veut et de déformer la réalité. L'idée de base, c'était de voir qu'ils n'avaient probablement jamais pensé à mal, que personne n'est parfait, et que finalement, ce n'est pas grave ; c'était ça, le plus important. Il y a aussi de grands moments esthétiques. Vers la fin du film, quand on voit les artistes sur scène, au ralenti, synchronisé sur « Feeling Good » de Nina Simone, et que leurs manteaux de fourrure flottent en l'air… C'est une manière magnifique de conclure tous ces échanges intenses. D'autant plus que Diddy fait référence à l'interview dans laquelle elle parle d'atteindre la liberté en se débarrassant de ses peurs. Je trouvais ça tellement logique que le moment le plus poignant du film soit sur un sample. Ça n'en est pas moins sincère.

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Ouais. Ça montre que c'est sa manière d'appréhender les émotions.
C'est comme ça que se construit le hip-hop : en prenant quelque chose, et en le remixant pour en faire quelque chose d'encore plus grand. Il m'a confié que la première fois qu'il a entendu cette phrase de Nina Simone, il s'est mis à pleurer. Je le crois, parce que dans sa vie, la musique représente plus que quoique ce soit d'autre. Un jour, il a dit que la plupart des gens ne s'impliquaient pas autant que lui dans leurs objectifs, mais que si lui s'implique autant, c'est parce qu'il sait qu'on ne possède qu'une seule et unique chance. Il est focalisé sur la notion de mission. Il essaie de poursuivre ce sentiment de liberté et d'extase créatrice. Lui, et les autres personnes du label, ont dû surmonter beaucoup d'épreuves, et je suis sûr qu'ils luttent encore. Je pense que la meilleure façon d'exorciser ce traumatisme, c'est la liberté que procure la scène.

Comment a-t-il réagi lorsque tu lui as présenté la première version du film ?
Il a été très réceptif. La moitié du boulot de réalisateur, c'est de convaincre les autres que ton approche est la bonne. Il a pris un grand risque en me faisant confiance. C'est mon premier long-métrage. Je crois qu'il en a été vraiment content, mais le truc le plus délicat, c'était le final. D'instinct, il pensait qu'il fallait entendre un morceau de Bad Boy pour conclure tout ça. Sur la première version, on avait mis le final avec le morceau de Nina Simone, mais il a fallu refaire un montage complètement nouveau, sans elle. Il pensait que ça ne fonctionnerait pas. Mais s'il prend conscience que ce n'est pas aussi bon que ce qu'on lui a montré en premier lieu, il fera machine arrière et choisira le meilleur, comme d'habitude.

Can't Stop, Won't Stop sortira sur Apple Music en juin.

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