Même le fentanyl médical est une torture

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Même le fentanyl médical est une torture

Rencontre avec un addict malgré lui

À 27 ans, Matthew nettoyait des voitures pour une entreprise de réparation de vitres d'auto quand il s'est penché pour prendre un produit nettoyant dans une chaudière, qui en contenait environ deux litres. Il a ressenti une douleur au dos, mais a continué de travailler, sans savoir que sa vie venait de basculer à jamais.

En fin de journée, l'état de son dos s'est aggravé au point où il ne pouvait plus bouger. On l'a transporté à l'hôpital en ambulance. Forcé de s'asseoir, il a failli perdre connaissance tant la douleur était aiguë. On lui a cependant donné son congé dès le lendemain, pensant que la douleur se résorberait rapidement.

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Sauf que ce n'est jamais arrivé. L'accident est survenu il y a cinq ans, et Matthew n'arrive à marcher que de peine et de misère. Il souffre le martyre depuis cet accident bénin, et rien ne le soulage. Rien, sauf ses timbres de fentanyl, auxquelles il a développé une dépendance et qui le rendent malade.

Matthew n'en revient toujours pas que cette « niaiserie » de chaudière soit à l'origine de tous ses malheurs.

Contempler les vestiges de sa vie, de son vivant

« As-tu déjà vu ça une patch de fentanyl? Je t'en ai amené! » me lance Matthew, jovial, sortant un sac de plastique tandis que je suspendais son manteau trempé de pluie, à l'entrée des bureaux de VICE.

Matthew a été pendant des semaines mon correspondant électronique. Entre les rendez-vous médicaux qui l'épuisent et les haut-le-cœur, les maux de tête et la douleur intense qui ne le quittent presque jamais, il nous a été difficile de fixer une rencontre.

On a fini par se voir quelques jours après son rendez-vous médical de la « dernière chance », comme il le décrivait. Il avait consulté un troisième neurochirurgien pour savoir s'il serait à nouveau opéré pour ses trois hernies discales. « C'est la dernière option. Après ça, c'est l'invalidité », m'avait-il expliqué au préalable, au cours d'un entretien téléphonique.

Matthew

Matthew a essuyé un refus pour une troisième fois. On lui a expliqué qu'il est rare qu'un neurochirurgien veuille aller jouer là où un autre a déjà opéré. Et pour son opération, les risques d'empirer la situation étaient trop grands.

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« J'ai dit au médecin que je m'en foutais des risques, que je voulais prendre la chance, mais ça n'a rien changé », raconte Matthew, déçu.

Une des choses qui m'a frappée dans cette rencontre, c'est l'humilité et la sérénité de Matthew. J'avais affaire à un grand gars un peu timide mais fort sympathique, encore bien en chair, bien qu'il indique avoir perdu 50 livres récemment.

Un grand gars qui affirme avec un triste sourire avoir dû renoncer à ses rêves de fonder une famille, d'acheter une maison, bref, de vivre une vie normale. Ses amis l'ont déserté, et il s'accroche aujourd'hui à sa blonde comme un homme à la mer à une bouée.

Il garde la tête haute, mais il ne souffre pas moins pour autant. « Les sensations dans mes jambes, c'est comme une crampe qui n'arrête jamais. Je ressens une brûlure, des cuisses aux orteils. Et dans le dos, c'est comme avoir un très gros bleu, et que tu frappes dedans », illustre-t-il.

C'est cette douleur incessante qui a amené son médecin à lui prescrire du fentanyl il y a cinq ans, après avoir essayé toutes les autres options.

Au départ, Matthew témoigne avoir ressenti des étourdissements, mais également un immense soulagement; pour la première fois depuis des mois, sa douleur était presque vaincue.

À peine deux semaines plus tard, déjà accoutumé, il s'est mis à ressentir des symptômes de manque. Sa prescription de 25 microgrammes par heure aux trois jours a été augmentée graduellement pendant des mois, jusqu'à ce qu'elle atteigne 175 microgrammes/h aux deux jours. Au point où Matthew raconte qu'il hallucinait, que les effets secondaires comme les frissons, les vomissements, les étourdissements, les raideurs, les tremblements et l'anxiété l'ont rendu dépressif, et qu'il a eu des pensées suicidaires.

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Avec l'avis de son médecin, il a entrepris de diminuer sa dose et est parvenu à la restreindre à 62 microgrammes/h. Il a essayé de la réduire encore, mais il n'arrive pas à descendre sous ce seuil sans que la douleur et le sentiment de manque ne soient insoutenables.

La posologie lui est désormais moins toxique, mais Matthew compose toujours avec les effets secondaires du fentanyl. La dose est pourtant presque inutile d'un point de vue thérapeutique : il estime qu'elle ne le soulage que 20 % de ses maux. « Ça n'en vaut plus la peine, rendu là. J'en prends juste parce que je suis addict », laisse-t-il tomber.

Tout, sauf le fentanyl

Matthew reconnaît qu'en dernier recours, le fentanyl médical a sa raison d'être. Mais pour sa part, il regrette d'avoir commencé à en consommer. Il admet ne s'être pas suffisamment informé sur les effets du médicament et en avoir sous-estimé le potentiel dévastateur.

Le fentanyl soulève bien des inquiétudes au pays en raison de la crise des opioïdes qui fait rage dans l'Ouest canadien. On compte 914 morts par surdose l'an dernier en Colombie-Britannique; le fentanyl en est « largement responsable ». Ce mois-ci, le Journal de l'Association médicale canadienne a fortement encouragé les médecins à prescrire moins d'opioïdes aux patients qui ne sont pas atteints du cancer .

Les timbres de Fentanyl que doit utiliser Matthew

Le cas de Matthew en tête, j'ai abordé le sujet avec le président du Collège des médecins, plus tôt cette année. Je l'ai questionné sur ce qu'on pouvait faire pour les gens intoxiqués par une drogue prescrite par le système de santé.

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Il a tenu à nuancer la situation. « Ce sont des médicaments fantastiques qui peuvent contrôler les douleurs quand c'est bien utilisé et bien encadré. Il ne faudrait pas les abolir ou les empêcher. Il ne faudrait cependant pas qu'y ait des abus », avait prévenu Charles Bernard.

Matthew comprend sa réponse et juge que son médecin « a fait sa job », mais il insiste sur l'importance pour le patient de faire un choix éclairé, ce qui, estime-t-il, n'a pas été son cas. « Il faut que les gens arrêtent de juger le monde qui prennent des opiacés », ajoute-t-il.

Et maintenant, la suite

Sans la possibilité de se faire opérer au Québec, Matthew se retrouve avec peu de solutions devant lui. Il lui a été impossible de retourner voir la neurochirurgienne qui l'a opéré il y a quatre ans : elle a quitté pour les États-Unis, toutes ses tentatives d'entrer en contact avec elle sont tombées à l'eau.

Il a entendu parler de médecins à Cuba qui pourraient l'opérer, moyennant des coûts assez élevés. Il admet être tenté par l'aventure, il dit n'avoir plus rien à perdre.