Retomber comme Isha sur ses pattes

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Retomber comme Isha sur ses pattes

Après une première vie sous le nom de Psmaker et une sombre période d'addiction, le rappeur belge revient, gonflé à bloc et prêt à en découdre.

Avec rap +15 derrière lui, ça fait longtemps qu'Isha, 31 ans, a été validé pour le bendo Bruxellois. En décrochage scolaire, il intègre à 16 ans le crew L'Agency, au sein duquel il lâche ses premiers couplets. Quelques années et une poignée de mixtapes plus tard, il décide d'opérer seul et sort Vas-y Chante en 2008, sous le nom de Psmaker . Avec ce premier album, il connait son premier succès d'estime chez les connaisseurs belges, posant les bases d'un style nonchalant, mais calculé au millimètre - comme ses sapes. Réalisé de manière indépendante, sans réelle structure, le projet n'a pas, au niveau des ventes, le retour escompté. Son parcours bifurque : alcool, complications, Isha est en roue libre, même s'il continue à lâcher ici et là quelques couplets - notamment le remix de « BX Vibes » de Scylla.

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Désormais libéré de l'étreinte éthylique, c'est un Isha du futur qui signe son retour solo en 2016, avec Passage à Niveau #1 - après avoir bossé quelques années au Samu social. Passé du « pote que t'hésites à ramener en soirée » à celui qui casse tout sur scène, le rappeur enchaîne bangers imparables (« 3h37 », « S.O.A.B », « Frigo Américain ») et messages d'espoir (« LVA », dédié à ceux de sa génération qui n'ont pas réussir à sortir de la rue). On est allés discuter avec lui nouveaux projets, nouvelle vie et punchlines 3 étoiles.

Noisey : Si j'ai bien compris, tu as mis le rap de côté pendant un moment, parce que tu étais déçu du manque de retours par rapport à ton investissement personnel ?
Isha : Ouais, c'est ça ! Je sentais que ce n'était pas trop le moment. Pendant une période, j'avais aussi des projets de mixtapes, mais ça n'a jamais vu le jour. L'envie de faire de la musique a fini par revenir plus tard, de manière très spontanée. Mon entourage m'a aussi un peu poussé.

Il y a quand même la track « Master Cheff Act. 1 » qui a filtré en 2010.
C'était une mixtape que je voulais faire, mais quand t'es tout seul ça prend du temps. Les morceaux vieillissent et mon problème c'est que parfois, un an après je n'aime plus trop ce que j'ai fait. Ça doit sortir quand les morceaux sont encore chauds, quand ils sortent tout juste du four. Après, je ne regrette pas que ce ne soit pas sorti. C'était de l'entrainement, mais je pense que, déjà à l'époque, j'avais un bon niveau par rapport à tous les autres - comme aujourd'hui en fait.

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Ton retour est également dû à une meilleure organisation autour de toi. Comment s'est opéré ce changement ?
Là, on a ce qu'on appelle une vraie structure. C'est la première fois que je peux me focaliser uniquement sur la création. Tout ce qu'il y a autour, les gens s'en occupent pour moi. Par exemple, pour Vas-y chante, j'avais tout fait moi-même et pour un artiste c'est l'enfer. Il n'y avait pas vraiment d'organisation. C'était une bande de potes et c'était parfois compliqué. On avait tous des caractères de ouf, on se tapait dessus pour des histoires d'artwork… Mais malgré ça c'était beau parce qu'on a quand même réussi à sortir des sons.

Aujourd'hui, c'est les mêmes personnes mais avec plus d'organisation?
Non, pas du tout ! Dans l'équipe d'origine, certains sont devenus des Frères Musulmans, un est parti faire du business au Congo, et d'autres ont mal tourné - mais presque tout le monde a arrêté. Je suis un des derniers a faire encore de la musique.

T'en penses quoi de Vas-y chante ?
J'en suis fier parce que j'étais jeune quand je l'ai écrit. Je devais avoir 18 ou 19 ans et on l'a sorti deux ans après. Pour moi, ça ressemble fort à ce que je fais actuellement, dans ma manière d'écrire, de m'exposer. C'est toute mon adolescence ! Quand je l'écoute, on sent que je suis en colère, révolté et ça me fait kiffer. Aujourd'hui, il y a toujours de la colère mais elle est plus canalisée. À cette époque là, ça partait un peu dans tous les sens. En tout cas, j'assume totalement cet album.

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Tu trouves que La Vie Augmente Vol.1 est plus abouti comme projet?
Il y a encore des imperfections, des défauts d'écriture, du remplissage. Mais j'aime bien l'intention du projet malgré tout. C'est bizarre mais il s'est fait tout seul, même au niveau de la tracklist c'était assez évident. La semaine où il est sorti, je trouvais qu'il y avait quelque chose d'assez magique dans le rendu. C'est d'ailleurs ce qui me fait peur pour la suite. J'espère que cette magie opérera de nouveau.

C'est marrant que tu parles du remplissage parce qu'en général les auteurs sont assez pointilleux sur leurs textes…
C'est comme s'il y avait des phases à une, deux ou trois étoiles et je sais que dans mes textes, il y a des phases à une étoile. Je rature très peu mais si je le faisais comme les mecs pointilleux dont tu parles, je pourrais avoir que des couplets trois étoiles. C'est ce que j'essaie de faire en ce moment, en cherchant à ne faire que de la frappe, mais c'est pas évident !

Du coup, ça signifie que t'es pas trop du genre à te retourner sur tes lyrics?
Non, je deviens assez vite spectateur. Le texte sort et je sais avant même le mixage et le mastering que telle ou telle phrase me dérange, mais je vais la laisser. Comme par exemple dans « L'Augmentation, Pt.1 » où je dis « Vrai frère, j'fais la fierté du bled » mais en fait j'aurais du dire « Vrai gars » parce que ça rimait avec « Reste là » de la phase d'avant. En live, ça me pique mais après l'imperfection fait aussi partie de la musique. Tous les artistes que j'aime en ont dans leur musique. Je pense à Nessbeal par exemple. C'est un mec bordélique, très peu scolaire, tu sens sa folie. En gros, au niveau du rap français, j'écoute tous les mecs qui ont une folie artistique comme Joe Lucazz, Nubi de Futuristiq, 16ar de L'Skadrille, ILL, HiFi…

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Pourquoi t'es-tu dirigé dès le début vers un rap sombre et introspectif ?
Je fais du rap que j'aime écouter. Et je n'aime pas écouter des types dont je ne sais toujours rien de la vie après 4 morceaux. J'ai besoin de connaitre leur parcours. Rien que de savoir le prénom des rappeurs c'était déjà un truc de fou. C'est important pour moi de comprendre le personnage. Après, il y a aussi des moments où j'essaie de ne pas parler de moi et quand j'y arrive, je suis assez content. Ça permet au projet de respirer. Mais ce côté introspectif est ancré dans mon ADN.

C'est quoi ta vie à toi en ce moment?
Une vie rythmée par la musique, le boulot, la famille, les moments avec mon enfant. Je pense que je suis à un tournant. Elle est beaucoup plus simple qu'elle ne l'a été. À une période, c'était compliqué. J'ai eu des problèmes avec l'alcool. Après, il y a plein de jeunes qui ont eu le même parcours que moi. Ça ne me dérange pas d'en parler, d'ailleurs j'y fait référence dans mon prochain projet. J'étais un peu le pote que t'hésites à ramener en soirée. Ça a été difficile mais j'ai réussi à tout arrêter il y a deux ans. Je ne m'en rends pas trop compte mais pour mon entourage c'est un Isha 2.0, avec toute sa tête, moins vener, plus stable. C'est beau d'en parler au passé.

Dans « Master Cheff act.1 », tu écris « le rap français, j'ai mis ma queue entre ses eins ».
C'est de l'ego-trip. C'est le rappeur qui pense qu'il fait partie de l'élite. Quand les mecs de la Fonky Family sont arrivés, ils se disaient certainement ce genre de choses, pareil pour le Secteur Ä et c'est ça qui fait qu'ils ont réussi. Quand Maitre Gims n'était personne, il disait aussi ça… C'est important pour moi de penser comme ça et je me suis toujours dit que j'étais dans la bonne division, la bonne league, que ce soit au niveau du contenu ou des productions. Et je ne pense pas me mentir à moi-même car il n'y a pas beaucoup de types qui me mettent la pression.

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Qui te met la pression en ce moment ?
Josman, Sopico, Makala, Hamza…

C'est quoi la prochaine lucarne que t'as envie mettre ?
Je ne suis pas dans les chiffres, l'argent… Je suis plus dans la qualité ! C'est surtout être reconnu par de vrais connaisseurs comme Mehdi Maïzi et son équipe, comme Azzedine Fall des Inrocks, comme Disiz qui a dit que je rappais bien… Je ne le connais pas mais à travers sa musique je sens que c'est un mec qui digge, qui sais ce qu'il fait et de quoi il parle. Rien que d'avoir des gens que je respecte, qui sont pour moi des références et qui valident mon son, c'est déjà un truc de fou. Je préfère ça que de vendre des milliers de disques et que ces mecs là ne me calculent pas. En fait, je veux faire un classique! Faire un truc intemporel qui puisse être aussi une source d'inspiration pour d'autres.

T'as voulu faire de « LVA » un message d'espoir, mais pour qui ?
C'est un peu typique de le trentaine mais je croise encore beaucoup de gens avec qui j'ai grandi et je vois que dans leurs yeux il n'y a plus grand chose. Ils sont là, ça ne bouge pas, on dirait qu'ils n'ont plus de rêves. À 30 ans, je pense que tout est encore faisable, que tu peux décider d'entreprendre. Je sais que y'en a beaucoup pour qui s'est baisé mais y'en a aussi que tu peux récupérer. Ce qui est en train de se passer pour moi, même si c'est rien, je sais que ça a réveillé pas mal de mes potes. Je le vois, je le sens, ils me le disent. Sans parler de responsabilité, mais si mon humble parcours peut servir à quelque chose autant le faire. Autant en parler, trouver un concept qui rallie tout le monde dans la cause. Je veux faire comprendre à tous ces mecs qui sont bloqués dans le délire de la rue qu'il faut en sortir.

On doit s'attendre à quoi pour La vie augmente Vol. 2 ?
Je suis actuellement à la moitié et ça s'annonce lourd !

Que des phases à 3 étoiles, donc.
Ouais ! J'ai fait plus de bangers. Ça va être plus dynamique que le volume 1. Mon public me donne beaucoup et je veux le remercier en lui donnant ce qu'il veut ! On prévoit une dizaine de titres pour la fin d'année. Isha sera en concert ce jeudi 19 octobre à Paris, au Folie's Pigalle, avec Hamza, Krisy et L'Or du Commun.