Gary Numan veut livrer une guerre sans merci à la nostalgie
Photo - William Lacalmontie pour NOISEY

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Gary Numan veut livrer une guerre sans merci à la nostalgie

« Les tournées de reformation d'artistes has been des années 80 ou 90, c'est ridicule. J'ai envie de sortir un bazooka et de détruire tout ça. Je combattrai ça jusqu'à l'âge de 100 ans s'il le faut. »

Pas forcément simple de rester crédible dans le milieu de l'indus ou du synth-rock quand on ressemble de plus en plus à un sosie biomécanique de Nicolas Sirkis. Pas simple, non, mais pas impossible - c'est ce que prouve chaque jour Gary Numan. Délesté de toute forme de nostalgie, méchamment cabossé par la vie, obsédé par le besoin d'avancer et la jeunesse éternelle, la légende londonienne revient avec Savage: Songs From A Broken World, 21ème album post-apocalyptique qui vient confirmer ce que cet éternel gamin de 59 ans continuera aussi longtemps que dame synthé lui prêtera vie. On a profité de son récent passage à Paris pour rencontrer le Benjamin Button de la musique électronique.

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Noisey : Ce nouvel album décrit un monde post-apocalyptique. Qu'est ce qui t'a donné envie d'écrire là-dessus ? La Route de Cormac McCarthy ? Mad Max ?
Gary Numan : Je n'ai pas lu La Route mais tu dois être le troisième à m'en parler depuis une semaine. Je vais donc devoir le lire. Il y a un film avec Viggo Mortensen, non ? Ça, je l'ai vu, mais ce n'est pas ce qui m'a inspiré. Ni Mad Max, que j'adore pourtant. J'essayais d'écrire un roman depuis pas mal de temps. Presque 7 ans. Une roman qui se passe dans un futur post-apocalyptique. Je n'avais pas encore décidé à quel moment l'apocalypse allait se produire mais ça, c'est un autre sujet. Je voulais une histoire sur des gens qui retournaient à l'état tribal dans un monde désertique. Ce n'est que récemment que j'ai commencé à me dire qu'une bonne réponse au fait que ce monde soit devenu ainsi serait une apocalypse globale. J'ai eu cette idée assez récemment, peut-être vers 2015. J'étais vraiment embêté par ce roman, je travaillais dessus depuis des années.

Tu penses en venir à bout un jour ?
Je n'en sais rien. Il faut dire que je n'écris que très occasionnellement, quand je ne fais pas de musique et que je ne m'occupe pas des enfants. C'est comme pour ce nouvel album. Au début, je n'avais qu'un ou deux morceaux. Impossible de savoir de quoi ça allait parler, vers quoi on allait aller.

Ça fait plus de quarante ans que tu es dans la musique, ce doit être sacrément difficile de se renouveler à ce stade.
Bien sûr. Mais les choses que j'écris sont avant tout personnelles. Si je ne vis rien, je n'ai rien à écrire ou à raconter. Je parle de choses qui me sont arrivées ou qui m'arrivent aujourd'hui. Avec ma femme, on a perdu des enfants dans des fausses couches, puis notre bébé est mort. Les évènements de ma vie, même sombres, nourrissent mon œuvre. Avec ce nouvel album, c'est un peu particulier. Ma vie était chouette. J'avais déménagé à Los Angeles, les enfants étaient heureux, tout se passait bien avec Gemma, ma femme. Tout allait vraiment bien, mon précédent album avait marché comme jamais. Il avait été bien reçu par la critique et par le public puisqu'on en a vendu pas mal. Bien sûr, c'était loin d'être des millions d'albums mais pour moi, c'était pas si mal. Quand j'ai commencé à écrire Savage: Songs From A Broken World, je n'avais donc aucun problème.

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C'est pour ça que tu étais parti sur l'écriture d'un roman ?
Oui. Juste pour susciter de l'inspiration puisque ma vie ne m'en donnait plus trop. C'est ce qui m'a donné envie de faire un album sur un monde post-apocalyptique. Et cerise sur le gâteau, c'est à ce moment là que Trump s'est pointé sur la scène politique et a commencé à parler de choses ridicules et à débiter des tas d'insanités. Mon histoire commençait à se mettre en place.

Justement, que raconte cet album ? Je n'ai pas tout saisi.
Ça se passe dans un monde dévasté. Par un homme seul, stupide mais si puissant qu'il a eu assez d'influence et de pouvoir pour endommager le monde entier. Les gens étaient trop effrayés pour l'arrêter. Toute cette histoire, je l'ai imaginée grâce à Trump. Ou plutôt à cause de lui. L'album a fini par reposer intégralement sur ce concept d'un futur dégradé par un homme seul. Tout est parti de ce roman. À part un morceau, « Bed of Thorns », que j'ai écrit dès le début et qui parle surtout de la pression que j'ai pu ressentir en faisant cet album puisque le précédent, Splinter, avait vraiment pas mal marché. J'étais assez inquiet, j'ai cru qu'avec mon album précédent j'avais atteint le sommet dans mon come-back et que je ne ferais jamais mieux.

Photo - William Lacalmontie pour NOISEY

Comment expliques-tu d'ailleurs le succès de ce précédent album ?
Il a reçu de très bonnes critiques. Je crois que mon songwriting a beaucoup progressé, aussi. À la fin des années 1980, début des années 1990, je ne savais plus trop comment écrire une bonne chanson. Mon songwriting n'était pas fameux à cette période. Je m'étais un peu perdu en essayant de retrouver le lustre de mes jours de gloire. J'essayais de faire des morceaux à la manière de ceux que je faisais à mes débuts. Mais ça ne marchait pas du tout. Je faisais pas mal de merde. En tout cas, je ne parvenais pas à écrire ce que je voulais écrire. J'étais moins impliqué. En 1994, j'ai sorti l'album Sacrifice. C'est à partir de là que je me suis rendu compte que j'avais envie de m'y remettre, que j'aimais ça. C'est aussi le moment où j'ai trouvé une nouvelle direction musicale. Avec Splinter, j'ai atteint, avec mon producteur, un niveau encore plus élevé. Et puis il y a aussi une partie de chance. L'alignement des planètes. Au bon endroit au bon moment. C'est sûrement un peu grâce à tout ça que l'album a marché. Des gens ont fait des covers, la presse y a prêté une attention particulière,…

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Tu parlais de tes jours de gloire. Ne penses-tu pas que tu es arrivé trop tôt sur la scène électronique et trop tard dans la musique indus ?
C'est sûrement vrai. Ce que j'espère, c'est enfin être au bon moment au bon endroit aujourd'hui ! Bien sûr, j'ai reçu énormément de considération comme pionnier de la musique électronique. Mais ce n'est pas la considération qui te fait vivre. Surtout que je ne suis pas un pionnier de la musique électronique. Prends Jean-Michel Jarre, par exemple. Il était là des années avant moi. Des années ! Lui c'est un pionnier, un homme qui a fait quelque chose de totalement différent de ce qui se faisait auparavant. Pas uniquement d'un point de vue design ou conceptuel. Ce qu'il faisait était radical. Même si on me présente souvent comme un pionnier, je ne me sens pas du tout l'âme, ni le droit. Jarre en est un. À mes débuts, je faisais de la musique assez inhabituelle, mais plus par accident que par volonté. Je je savais pas comment on écrivait une chanson, et je ne maîtrisais pas totalement le matériel électronique que j'avais. Alors j'expérimentais, j'essayais, je testais. Et peut-être par chance, j'ai fini par faire quelque chose d'assez original.

Aujourd'hui, tu maîtrises totalement ton matériel. Est-ce toujours aussi drôle et excitant de produire cette musique ?
Peut-être pas, mais je suis bien plus fier de mes morceaux actuels que je ne l'étais avec ceux de mon groupe Tubeway Army, par exemple. On me ramène tout le temps à cette période supposée ma meilleure, et ça m'agace. Je ne regarde jamais en arrière. Si le meilleur de moi est sorti il y a 40 ans, à quoi bon continuer ? Pourquoi résumer une vie de création à un seul moment ? C'est tellement caractéristique des journalistes, ces idées. Ce retour en arrière permanent m'a probablement empêché d'avoir plus de succès à un moment donné. Ça fait souvent penser aux gens qui pensent que tu appartiens à une époque révolue et que ce que tu fais aujourd'hui n'a plus aucun intérêt. Tu aurais donc donné ton meilleur à 20 ans. Et ensuite ? Plus rien ? C'est ridicule. Aux États-Unis, ça fonctionne comme ça, un peu moins en Angleterre. Je me bats contre ces idées reçues.

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Photo - William Lacalmontie pour NOISEY

Toi qui a connu le succès, ça a dû parfois énormément t'agacer.
Durant ma carrière, j'ai refusé des shows télé à de nombreuses reprises. Des émissions de radio aussi. Des interviews dans la presse. Parce que ces gens voulaient uniquement m'emmener sur la nostalgie, les souvenirs de la bonne vieille époque et ne pas parler de mon nouveau disque. Conneries ! À chaque fois que je voyais un journaliste c'était la même chose. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'hier ne m'intéresse pas. Alors ce qu'il s'est passé il y a 30 ou 40 ans, j'en ai absolument rien à foutre. Ce que j'aime c'est ce que je fais maintenant, et ce qui m'excite le plus, c'est que je pourrais faire demain. Ce qui me plaît, c'est de faire un truc que je n'ai jamais fait avant. Ce qui m'excite, c'est les nouvelles technologies. Trouver des manières de les utiliser pour produire de nouveaux sons. Pas dans un sens expérimental, mais avec la volonté d'aller de l'avant, d'évoluer. Je ne suis pas un grand expérimentateur, il y a des gens bien plus talentueux que moi sur ce créneau. Je veux avancer, alors quand on me ramène sans cesse à ce que j'ai fait en 1979, je peux devenir très méchant [Rires]. Et puis, franchement, il n'y aurait rien de bien glorieux à vivre sur l'héritage de quelques morceaux que tu as fais 40 ans avant. Ce serait minable.

Tu n'as donc jamais eu envie de faire fructifier ton héritage en profitant de la retromania ?
Franchement, les tournées de reformation d'artistes has been des années 80 ou 90, c'est ridicule. J'ai envie de sortir un bazooka et de détruire tout ça. Jamais je ne participerai à un truc comme ça. Quand t'y vas, c'est que tu admets n'avoir plus rien de neuf à offrir. Même si c'était le cas, je ne pourrai jamais l'accepter. Je combattrai ça jusqu'à l'âge de 100 ans s'il le faut. J'ai accepté une fois de rejouer un de mes albums intégralement, parce que c'était vraiment un moment particulier. Mais je n'irai jamais plus loin que ça dans la nostalgie.

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Photo - William Lacalmontie pour NOISEY

Financièrement, ça aurait quand pourtant pu être intéressant pour toi de creuser le sillon de ton tube « Cars » sorti en 79.
C'est sûr, mais j'aurais eu honte de moi. J'ai fait exactement l'inverse, toujours m'éloigner un peu plus de « Cars ». Parfois, ça signifiait prendre des décisions assez dures. J'ai refusé pas mal de choses qui m'auraient pourtant rapporté beaucoup d'argent. Le truc, c'est que quand tu as un succès très tôt dans ta carrière, tu es en train de tapisser l'intérieur de ton cercueil sans t'en rendre compte. Et les gens qui t'entourent, ton manager, ton label, veulent tous leur part du gâteau. Alors ils essayent d'enfoncer les clous dans le cercueil pour que tu creuses le même sillon. Même tes fans sont comme ça. « Tu sais, Gary, on adore vraiment "Cars" et tes vieux morceaux ». Franchement, les mecs… C'est hyper frustrant pour moi d'entendre ça. C'est très compliqué de gagner cette bataille contre la nostalgie. L'avant-dernier album, ce nouvel album, ce sont des rejets de mes débuts et des gens qui veulent tout le temps m'y ramener. Avec ce nouvel album j'y suis arrivé je crois. Il a été numéro 2 en Angleterre. Gary Numan numéro 2 ! Pour moi, c'était énorme. La confirmation que les choix radicaux que j'ai depuis 30 ans étaient les bons et que les sacrifices consentis ont enfin payé.

L'évolution de la technologie a forcément eu une influence importante sur ton travail et ta manière de fonctionner.
C'est évident. Aujourd'hui, je ne travaille plus du tout sur des synthés analogiques. Uniquement sur ordinateur. J'utilise des dizaines de logiciels. Par exemple, j'adore Omnisphere, un synthé hybride virtuel sorti par Spectrasonics. Le nouveau modèle est fascinant. Je n'ai pas beaucoup d'intérêt pour les vieux synthés analogiques. Probablement parce que j'ai grandi avec et que je n'ai donc pas de nostalgie pour ça. En vérité, je me fous de ce qui va produire le son, ce qui m'intéresse c'est de savoir si le son est bon ou non. Analogique, digital, ordinateurs, peu importe. On pourrait même tout mélanger. Ce qui compte, c'est le résultat. J'ai passé beaucoup de temps avec un magnétophone pourri, à marcher dans des villes, à écouter, à capter des bruits, des sons. Il y a de ça un an j'étais dans le métro londonien, et j'ai remarqué qu'à chaque fois qu'il ralentissait, le son était hallucinant. Comme un animal qui reculait. J'ai enregistré plusieurs fois ce bruit car j'avais du mal à avoir un enregistrement propre puisque les gens parlaient tout le temps. Mais j'ai fini par l'avoir.

Tu penses que les musiciens électroniques actuels ont la même approche ?
Le problème, c'est que beaucoup de personnes viennent à la musique électronique car ils semblent plus intéressés par l'appareil qui produit le son que par le son lui-même. « T'as un mini-Moog, t'as tel vieux truc obscur ? ». Quel snobisme ! J'en ai rien à foutre, je ne suis pas un geek fan de vintage. Ce qu'il me faut, c'est mon studio, un ordi, mon magnéto pourri, et c'est tout. Je ne suis pas sur internet tous les jours pour consulter les fanzines obscurs qui sont tenus par des malades de synthés. Je n'ai aucune raison d'aller sur Synthopia ou Sovietchild. Mais peut-être devrais-je y aller ?

Ce nouvel album rappelle parfois les sonorités de Nine Inch Nails. Quels sont tes rapports avec Trent Reznor ?
On a collaboré ensemble sur des concerts, mais jamais en studio. Il en parle parfois. En tout cas, il en a parlé il y a longtemps. En 2009, quand ils ont fait leurs concerts d'adieux, on s'est retrouvés à Los Angeles. Trent parlait d'une collaboration, mais ça ne devait ni ressembler à du NIN, ni à du Gary Numan. Ça devait être unique. Mais ça ne s'est pas encore fait. Je le connais très bien, on est de très bons amis. Il habite à peine à 20 minutes de ma maison à Los Angeles, donc on se voit très régulièrement. C'est quelqu'un qui ne fait que bosser. En permanence. Il est toujours en train de faire quelque chose, de produire des sons, des morceaux. Pour Nine Inch Nails ou pour des films. C'est un mec incroyablement occupé. De mon côté, je suis plutôt passif, je ne le pousse pas pour qu'on fasse un titre ensemble. Ça ferait vraiment le mec qui essaye de profiter de sa notoriété, je trouve. Si ça doit se faire un jour, ça se fera. Albert Potiron est sur Noisey. William Lacalmontie aussi.