Tant que le monde ira mal, At The Drive-In y trouvera sa place sans problèmes

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Tant que le monde ira mal, At The Drive-In y trouvera sa place sans problèmes

À l'occasion de la sortie de « Diamanté », nouveau EP du groupe, nous sommes allés discuter avec Cedric Bixler-Zavala de ses doutes, de sa crise de la quarantaine et du Eric Andre Show.

On ne les avait plus entendu pendant plus d'une décennie, mais on n'a jamais totalement coupé le cordon avec At The Drive-In. La faute à de nombreux projets (Sparta, The Mars Volta, Antemasque) qui nous ont toujours rappelé, au long des années 2000, la flamboyance du groupe texan, son lyrisme alambiquée, ses textes étranges et sa formidable intensité qui concrétisait sur scène les spéculations de l'écoute.

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Pourtant, à l'écoute de leur nouvel album In.ter a.li.a, paru en début d'année, on s'est très vite rendus compte que quelque chose coinçait. Si on y retrouvait bien sûr les nombreuses qualités inhérentes au groupe d'El Paso, impossible de ne pas ressentir un manque tout au long de l'écoute, comme un filtre invisible qui viendrait empêcher toute implication et rendre totalement vain un projet trop appliqué à retrouver le chemin de son glorieux passé.

À l'occasion de la sortie, ce vendredi 24 novembre, du EP Diamanté, et avant un concert très attendu en février prochain à l'Olympia, aux côtés de Death From Above et Les Butcherettes, on s'est arrêtés au chevet de Cedric Bixler-Zavala, chanteur charismatique d'At The Drive-In qui est revenu le temps d'une interview longue distance, sur ses doutes, la crise de la quarantaine et les gladiateurs de l'Amérique qui ont choisi de mettre genou à terre.

Noisey : Cedric, comment c'était d'enregistrer un nouvel album studio d'At The Drive-In 17 ans après Relationship Of Command ? Qu'est ce qui se passait dans ta tête avant d'aller en studio ?
Cedric Bixler-Zavala : Il y avait beaucoup d'inquiétudes. La principale portait sur ma capacité à être un parent et un musicien en même temps, mais aussi sur le fait de me servir de cette opportunité pour me remplir les poches, de revenir en arrière pour aller de l'avant. Mais à un niveau personnel, quand tu es parent, tu essayes d'apporter quelque chose à ceux dont tu as la charge, tout en faisant en sorte de ne pas devoir prendre un métier normal. Et pour ça, tu réalises que tu dois changer et faire évoluer ton art. C'est très personnel pour moi, surtout quand tu as formé une famille et que tu as quarante ans. Et tu réalises que malgré ton âge, tu n'as pas fait le tour de la question.

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C'est ta crise de la quarantaine ?
Oui. Ma crise, c'est de me retrouver de nouveau dans At The Drive-In.

Tu veux dire que le fait de revenir en studio et de jouer de nouveau avec ce groupe, était une manière de surmonter cette crise ?
Oui, mais c'est aussi une manière de montrer à mes enfants ce que je faisais à certains âges de ma vie. Quand mes enfants auront 15/16 ans et qu'ils me demanderont : « Qu'est-ce que tu faisais à 42 ans ? », ils réaliseront que je me comportais toujours comme si j'avais 20 ans. Et que je continue à m'amuser à faire ce que je fais. C'est ça qui me motive.

Tu es père maintenant, est ce que d'autres membres du groupe ont connu ça aussi ? Qu'est ce que ça a changé dans le groupe ?
Tout le monde dans le groupe, à l'exception d'Omar, a des enfants. D'une manière étrange, ça nous a rapproché. Je ne sais pas si c'est le point de vue des autres sur la question, mais nous avons d'autres objectifs dans la vie désormais.

Concernant la musique, est ce que tu étais soucieux de l'alchimie qu'il y avait dansl' groupe à l'époque ? Est ce que c'était un enjeu important au moment d'aller en studio ?
C'était un énorme pari, et si nous n'avions pas essayé, nous aurions passé le reste de nos vies à nous poser la question. Avec Omar, nous avons une alchimie qui est indéniable et je pense que c'est contagieux. Et cette connexion s'est répercutée sur les autres qui l'avait déjà en eux quelque part. Tout le monde s'est finalement concentré sur l'aspect positif de ce pari.

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Si tu regardes le reste de nos projets, tu vois qu'aucun de nous ne s'est arrêté de faire de la musique. Ce n'est pas comme si nous n'avions rien fait pendant 17 ans. Beaucoup de gens ont constaté que notre créativité n'était pas morte, alors pourquoi est ce qu'on ne remettrait pas ça ? Il nous a fallu 17 ans pour en arriver là, et nous en avions besoin de ce temps… En particulier avec le punk, qui nous apprend à être nous même et à faire ce que l'on veut de notre vie, pour le meilleur comme pour le pire. Ça fait partie du défi.

Les gens comprennent ça, les relations dans la musiques sont souvent très conflictuelles, compliqués. Ça parait facile de monter sur scène et de divertir le public, mais ce n'est jamais aussi simple. Quand les gens réalisent ça, ils se rendent compte aussi que c'est justement ce qui leur plait. Ça peut être bien un soir, moins bien un autre, on n'est pas à un show à Las Vegas ou tu paye une certaine somme d'argent et ou ça a plutôt intérêt à être un bon concert.

Pendant les sessions d'enregistrement, as-tu essayé de te détacher de tes anciens morceaux, de ne pas être trop influencé par le passé ?
Je pense que c'est bien de s'en rappeler, parce que j'ai pris beaucoup de mauvaises habitudes, des choses qu'on ne retrouve plus aujourd'hui dans At The Drive-In et j'en suis très content. J'aurais pu revenir en arrière. C'est facile de se rappeler, même si ton esprit te joue des tours parfois. Mais si ça va trop loin, et que tu lis ce que tu écrivais il y a 20 ans, ça peut faire foirer tes idées actuelles.

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Comment se passe la vie en tournée désormais ?
Il y a une meilleure communication entre nous, et c'est vraiment ça le plus gros changement. Il y a d'autres petits changements, mais celui que j'identifie vraiment est le fait que tout le monde a désormais le feu vert pour s'exprimer et donner son opinion.

In.ter.a.lia signifie « entre autre chose » en latin. Est ce que ce titre était une manière de dire qu'il y avait plus de choses qui se passaient dans le monde que l'enregistrement de cet album ? En d'autres termes : est-ce que le contexte politique a été une inspiration ?Définitivement. D'une certaine manière, je pense que le pays où je vis est brisé. Il est tellement divisé que les gladiateurs comme les joueurs de football ou de baseball s'engagent eux aussi, lorsqu'ils mettent genou à terre une fois sur le terrain. Je vis dans une époque où les gladiateurs disent finalement « On vous emmerde » une fois entrés dans l'arène. Et ça me marque vraiment, c'est incroyable de vivre dans une époque ou l'on peut voir ça, ou les gladiateurs disent « Je ne ferai pas ça, j'en ai rien à foutre de combien tu me payes, ça n'a pas d'importance que je vive mon rêve, ça n'en vaut pas la peine. » Nous en sommes à un point où nous devons mettre le genou à terre pour nous rendre compte à quel point nous sommes brisés. Je pense que l'album est un instantané très fort de ce qui se passe en ce moment. Mais je ne veux pas en faire quelque chose de clair, d'évident. Je veux que ce soit plus subtil.

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Est ce que tu penses que ces gladiateurs, c'est une bonne métaphore pour raconter ces deux Amériques ?
Il y a toujours eu deux Amériques. Je pense que le problème est plus profond, on a toujours agi comme si tout le monde pouvait être accepté, mais ça n'a jamais été le cas. Tout ce que tu as à faire, est de rentrer dans un groupe et de voyager à travers les États-Unis pour te rendre compte à quel point c'est un pays divisé. Tu peux aller en Californie ou tout le monde te dira « On vous aime, votre musique est géniale » et te retrouver le lendemain dans le sud, où il ne veulent même pas prendre ta monnaie pour de l'essence parce que tu as l'air Noir ou Gay ou bizarre. Les États-Unis ont toujours été brisés. C'est si grand, si vaste, beaucoup de gens n'ont pas reçu d'éducation.

Le pays était déjà brisé avec Obama, Carter, Nixon. C'est un truc qui est vraiment dur à dire parce que tu dois aller de l'avant et être capable de faire preuve de tolérance et de compréhension. Au moins pour le futur de nos enfants, parce que c'est l'endroit où ils vont vivre et où ils devront se faire accepter à leur tour.

Je me suis penché sur tes textes pour ce nouvel album, et ils sont aussi étranges qu'avant. Quand tu commences à écrire, de quoi est ce que tu pars ? Un mot, une image, un souvenir ?
Je pioche toujours des citations dans les films et dans les listes que je fais. J'ai une liste de mots inventés, de mes mots préférés, d'idiomes que je peux appliquer à ma vie par moments. Je les modifie tout le temps, et j'ai toujours cette base ou les mots, les idées, les références et les blagues se retrouvent. Beaucoup viennent de séries télé ou plus simplement, de mes enfants. J'essaye de tout noter, de tout garder, la seule chose que je ne note pas, ce sont mes rêves, parce que je pense qu'ils correspondent plus à ce que je faisais avec The Mars Volta, alors qu'avec At The Drive-In je m'inspire davantage de la vie de tous les jours. J'ai toujours pensé que The Mars Volta était là pour fuir la réalité, et qu'At The Drive-In était là, au contraire, pour la regarder en face.

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Y a t-il eu des auteurs, ou des séries TV qui ont eu un impact sur ton travail récemment ?
Oh oui, des gens comme Phillip K.Dick. On fait parfois référence à lui comme à un prophète, et je pense que c'est vrai. C'est le prophète de la paranoïa, on a l'impression que tout ce qui se passe dans ses livres se réalise, il était en avance sur son temps. Pasolini m'a beaucoup influencé aussi et le retour de Lynch avec Twin Peaks est surement un des meilleurs trucs qu'il était possible de voir cette année

J'ai aussi vu le film de Flying Lotus, Kuso, qui est un film gore, déstabilisant, très drôle aussi. C'est aussi perturbant qu' Irréversible mais tu dois être capable de regarder ce genre de film pour entretenir la richesse de tes images personnelles. C'est de la poésie. C'est aussi divertissant et absurde que le Eric Andre Show. C'est génial, ça va écoeurer les gens, les faire sortir de la salle mais c'est pour ça que c'est important. Peu de personnes font ça, et surtout des gens qui sont ancrés en partie dans le mainstream. Et Flying Lotus est assez gros maintenant, il a une certaine aura, et c'est pour ça qu'il peut faire ce genre de films.

Tu aimerais être invité dans le Eric Andre Show ?
Honnêtement, je pense que je suis né pour apparaître dans ce show. C'est fou quand tu vois quelque chose et tu te dis : merde, c'est comme ça que mon humour fonctionne. Tu te dis qu'il a un certain courage pour avoir cet humour un peu sombre et de se foutre de tous les trucs de merde qui sont populaires en ce moment.

Au début des années 90, tu étais dans un groupe qui s'appelait Foss, et ton guitariste était Beto O'Rourke. J'ai vu qu'il est aujourd'hui un représentant démocrate qui se présente contre Ted Cruz pour un poste de sénateur du Texas. Tu peux m'en parler ?
Beto m'a appris tout ce que je sais sur la manière de tourner, le punk rock, il m'a fait découvrir le guide édité par Maximumrocknroll [ magazine sur la culture punk lancé en 82 à San Francisco], qui s'appelait Book Your Own Fucking Life. C'est un livre qui recensait les salles, les endroits où manger, ceux ou tu pouvais dormir. Tout ce dont tu pouvais avoir besoin lors d'une tournée, en gros. C'est un artiste et un être humain formidable. Et je suis fier qu'il ait choisi ce nouveau chemin. Je ne sais pas s'il fait toujours de la musique, mais il s'y intéresse encore et ce n'est pas le seul politique que je connais qui va à des concerts de punk rock.

Dernière question : quel est la pire question qu'on t'es posé en interview ?
Probablement quelque chose à propos de mes cheveux. Ça fait un bout de temps que ce n'est pas arrivé, mais au moment où At The Drive-In est devenu populaire, on aurait dit que c'était le seul truc qui intéressait les gens. Pour je ne sais quelle raison, les cheveux bouclés sont considérés comme une anomalie dans le rock. At The Drive-In sera en concert le 28 février 2018 à l'Olympia, à Paris, avec Death From Above et Le Butcherettes. Frédéric Gendarme est sur Twitter.