Fat White Family, interview
© Ben Graville
Music

Après toute cette merde, Fat White Family respire enfin la santé

Le secret d'un troisième album réussi ? Fuir les démons de la grande ville, se recentrer sur les petits détails qui comptent, puis gérer tranquillement le passage de l'héroïne à la kétamine.

Vous ne croyez pas aux miracles et vous avez tort. Car ici, il ne s’agit pas d’un mais de plusieurs tombés sur le crâne des Londoniens de Fat White Family. Déjà, leurs corps bougent toujours, malgré les wagons de substances ingurgitées, prohibées ou non. Une étude montre même leurs cerveaux plus vivants que jamais. Enfin, venant d’un groupe qui nous réjouissait avec sa country paillarde dégénérée, mais monomaniaque et autodestructrice, il se trouve que leur troisième album, Serfs Up!, offre autant un trip hallucinant qu’une mise en perspective inattendue.

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Fat White Family y décroche des médailles d’or dans à peu près toutes les disciplines que comptent les JO de l’indie music : balades aux larmes certifiées non artificielles avec cordes et chœurs gros comme ça, psychédélisme mystique, électro glam-funk, chants de petits grégoriens, dance-rock à la DFA largué en pleine cérémonie vaudou, BO de Délivrance remixée par Trevor Horn, hymnes de supporters avinés leurs lunes bien dans le caniveau… C’est à la fois double bol de quinoa et foire à la saucisse pour tous.

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© Sarah Piantadosi

Cette réussite, elle tient paradoxalement aux récréations que les cerveaux du groupe se sont accordés, Insecure Men pour Saul Adamczewski, et les Moonlandingz, sortes de Cramps montés sur Korg MS20, qui ont conduit Lias Saoudi dans la ville de Sheffield pour ce combo créé avec les producteurs Adrian Flanagan et Dean Honer d’Eccentronic Research Council. Le chanteur y a découvert la tranquillité provinciale et l’électronique bon marché, deux ingrédients vitaux dès qu’il a fallu s’atteler à la suite de Songs For Our Mothers, et qu’il y a alors embarqué une partie du groupe afin de fuir Londres et ses tentations.

Pendant ce temps, Adamczewski se sauvait, dans tous les sens du terme, en désintox, avant de les rejoindre pour reconstituer la famille et accoucher de Serfs Up! L’amour était dans le pré de Sheffield, une belle histoire que le jovial Saoudi et le laconique Adamczewski racontent, accompagnés de Nathan Saoudi, le petit frère en charge des claviers.

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Noisey : Lias, il y a deux ans avec les Moonlandingz, tu disais que Songs For Our Mothers serait un jour compris à sa juste valeur, est-ce le vrai point de départ de Serfs Up! ?
Lias Saoudi (chant) : Ah j’ai dit ça ? Je devais être dans un accès de bonne mégalomanie ! Bon, c’est vrai qu’où tu vas aller sera toujours déterminé par là d’où tu pars. Donc en ayant ça en tête, les deux albums forment une progression naturelle.

En le réécoutant, on y découvre une première approche électronique mais sans la richesse et la diversité de Serfs Up!…
Lias : On a fait notre premier, Champagne Holocaust, en mode DIY, à une époque où on prenait du bon temps. Tout le monde se foutait de qui on était et on n’attendait rien de spécial. Puis on a été sur la route pendant des années, sans arrêt… et d’un seul coup, on est partis en studio enregistrer. Ça a donc été une pression de dingue avec toutes les tournées qui avaient fini par épuiser chacun de nous autant physiquement que chimiquement. Ça a été dur, on n’était pas dans un endroit super agréable, ça a affecté nos capacités à communiquer entre nous… Tout a été plus compliqué du fait de ces conditions. On n’a donc pas eu le temps de vraiment développer des idées comme pour ce troisième album où on a pris une année à penser à ce qu’on allait faire.

Saul Adamczewski (guitare) : C’est pour ça que l’album représente parfaitement ce que nous étions. C’était une époque épouvantable et l’album sonne de manière épouvantable, même si je l’aime beaucoup.

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© Sarah Piantadosi

Entre-temps, vous avez tous eu vos propres projets plus pop, plus électro comme Insecure Men, Moonlandingz, Warmduscher… Ont-ils ont été importants musicalement ?
Lias : Là où ils ont été le plus important, c’est qu’ils nous ont permis d’arrêter de nous sauter à la gorge au sujet de Fat White. On avait tous déjà travaillé sur d’autres projets et ceux des autres. Mais là, c’était bien de pouvoir laisser le groupe de côté, de réaliser quelque chose d’autre et que ça se passe bien. Ça nous a apporté une forme de sécurité, moins de peur aussi.

Saul : Ça nous a aussi permis d’élargir nos horizons musicaux, d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la façon de composer. Avec Insecure Men, j’écris les chansons de façon totalement différente, de manière plus pop, ce qui correspond aussi à une évolution sur Serfs Up!.

Lias : D’ailleurs des membres d’Insecure Men ont participé à l’album, comme le saxophoniste Alex White et Ben Romans-Hopcraft, qui ont joué un rôle important, avec des visions différentes des nôtres. Ben est un très bon multi-instrumentiste qui peut jouer de tout, chanter, et c’est une super personne. Avant, quand nous étions en plein chaos, ça aurait été impossible pour des musiciens de pénétrer le groupe comme ça. C’était juste nous, point final. Là, il y a eu d’autres voix, y compris d’un point de vue technique. Des amis nous ont aussi aidés comme Liam D. May, un collaborateur de longue date qu’on a appelé alors que le groupe était aux deux tiers de l’album et piétinait. On l’a aimé pour son background acid house. Il a été important pour nous pousser vers la ligne d’arrivée, à ce moment où tu crois que c’est fini mais où ça ne l’est pas et que ça devient de plus en plus dur.

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Saul : Il faut aussi mentionner le producteur Clive Langer sur « Rock Fishes » et un peu « Feet ». C’est un ami de Lawrence Bell, le boss de notre nouveau label Domino. J’étais perplexe de l’avoir dans le bateau mais il a fait un super boulot.

Tes amis de Sheffield des Moonlandingz ont-ils aussi joué un rôle dans le déclenchement de Serfs Up ?
Lias : Globalement, l’idée de quitter Londres pour quelque part dans le Nord, d’un peu isolé et moins cher, représentait une solution à nos problèmes, avec ou sans ces gars. Sauf qu’ils nous ont ouvert les portes d’une petite communauté de musiciens de Sheffield où on a pu avoir facilement un studio et de l’aide quand il y en avait besoin. Que ce soit pour trouver des endroits pour bosser ou vivre, emprunter du matériel, bref pour tout ce qui était de l’ordre pratique. C’était donc plus simple que si on avait débarqué dans une ville du Nord sans connaitre personne. Là, on a pu nous poser et nous mettre au travail. Il nous fallait vraiment évacuer Londres de nos têtes car c’était vraiment le chaos.

Les textes ont l’air moins désespérés et sombres que par le passé…
Lias : Ils sont aussi dark que possible pour moi et peut-être un peu plus personnels. Il y a effectivement un peu plus de lumière, peut-être parce que je ne me sentais pas comme au pied d’une montagne à ce moment-là, c’est plus respirable intellectuellement. J’ai eu le temps de lire quelques livres, de réfléchir à des idées. La plupart des chansons parlent de gens que je connais, se rapportent à des expériences personnelles.

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Saul : D’autres thèmes sont abordés comme sur « Feet » qui parle d’un réfugié.

Lias : Je lisais Un captif amoureux de Jean Genet et j’ai voulu retrouver l’idée en format pop, pour le dire de façon prétentieuse. Saul : Il y a une chanson sur Kim Jong-un, une autre sur la masculinité et le mâle blanc, ce ne sont pas que des douces chansons sur tes amis.

Lias : Non bien sûr, c’est bien plus que ça. Mais au final, rien n’a changé, nous restons intéressés par le même genre de sujets. Il n’y a cette fois pas de chanson sur Goebbels mais ça aurait pu.

Votre obsession pour l’Allemagne se serait donc un peu calmée ?
Saul : Cette obsession sur le dernier album était due au fait que les choses étaient comme ça à l’époque. Ce n’est peut-être plus la peine de chanter là-dessus aujourd’hui.

Lias : Il y a des années, on a parié sur le fascisme et il a fini par arriver !

La chanson sur la masculinité dont vous avez parlé, c’est « When I Leave » ?
Saul : Elle a un peu été écrite en réponse à Dory Previn, une chanteuse country américaine, et sa chanson « Lady With The Braid » sur la claustrophobie d’une relation. C’est un peu un hommage à cette chanson.

Lias : C’est une femme en totale insécurité, en panique, et tu n’entends jamais la voix de l’homme, c’est un truc psychotique.

Saul : Quelque part, cette chanson est aussi une sorte de #metoo.

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© Duncan Stafford

Les cordes de « Oh Sebastian » le font démarrer comme un « Over The Rainbow » tordu…
Lias : C’est une jolie description. C’est le seul titre écrit il y a quelques années, inspiré de mon meilleur ami Sebastian et de plein d’autres Sebastian, comme Saint Sebastian. Il y en a eu plein tout au long de l’Histoire et le prénom méritait bien un « Oh » devant.

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Saul : Saint Sebastian est une icône gay. La chanson exprime l’échange intellectuel entre deux hommes passionnés.

Chaque morceau possède vraiment sa propre direction musicale, comme « Vagina Dentata » et son psychédélisme mou…
Lias : C’était plutôt drôle pour nous de faire ça au vu du précédent album, et bien d’avoir une chanson presque lounge, avec un son majestueux et sensuel.

Saul : Elle rappelle justement les chansons d’Insecure Men ou ce que fait Nathan à travers ses projets solo. Certains groupes restent dans leur truc et ne vont jamais en dévier. Les musiques qu’on aime vont de la pop, la folk à des trucs metal et autres.

Lias : C’est un peu comme quand Lou Reed a réalisé Metal Machine Music juste avant Coney Island Baby. Pour moi, c’est la trajectoire ultime.

N’êtes-vous pas les premiers surpris de vous voir capables de tant de diversité ?
Lias : C’est le seul moyen de rendre les choses intéressantes. C’est un peu comme jouer avec les gens qui t’écoutent, qu’ils ne puissent s’attendre à ce qui suivra, ça permet de garder l’intérêt pour ce que tu fais. Après, si tu es vraiment vraiment bon à faire la même chose, il n’y a évidemment pas de mal à ne faire que ça. Mais nous ne sommes pas des puristes de tel ou tel truc.

Nathan, en tant que claviers, comment as-tu été impliqué ?
Nathan Saoudi (claviers) : J’ai commencé à écrire des chansons pour le groupe. Dès que j’ai touché de l’argent sur les droits, j’ai acheté des synthés.

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Lias : Il a écrit « Feet » et « Tastes Good With The Money ».

Nathan : J’aime la pop, les hits des années 50 à 80.

Lias : C’est une catégorie assez large !

Saul : Il veut dire qu’il aime les hits, les trucs puissants qui claquent, quoi.

Lias : C’est pour ça que sa contribution a été importante cette fois et c’est une explication de cette ouverture nouvelle dont on parlait.

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© Ben Graville

Sinon, qu’avez-vous à raconter sur votre séjour à Sheffield ?
Saul : Beaucoup de kétamine.

Lias : On vivait sur London Road à Sharrow, un quartier à la limite des coins à la mode trop chers pour nous. On avait loué une grande maison mais n’avions pas trop de vie sociale au final. Au moins, on ne prenait plus ni héroïne, ni cocaïne, juste de la kétamine. On avait un salon pour la première fois depuis des années où on a pu écouter de la musique. Ça nous changeait de toutes ces chambres d’hôtels Travelodge qu’on a trop connues. En réalité, je me rends compte que je n’ai pas grand-chose à raconter de ces moments. J’allais quand même pas mal à Londres les weekends mais c’était vraiment une période de travail sans trop de distractions.

Votre biographie pour cet album évoque l’écoute de faces B de Wham et de Kanye West, c’est un bon résumé de vos influences ?
Lias : Ça me rappelle moi sous kétamine à Sheffield. L’album de Kanye a un côté totalement grotesque. Le magazine new-yorkais Talkhouse, où des artistes parlent d’autres artistes, m’a demandé d’écrire dessus. Ils m’ont envoyé un numéro où Lou Reed écrit sur Yeezus. Moi je n’avais jamais écouté Kanye, j’ai dit merde… Mais Lou Reed était enthousiaste et je me suis dit que ça ne pouvait pas être si mauvais, je m’y suis donc intéressé. Kanye a cette brutalité que j’aime, liée à sa mégalomanie de niveau international.

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Saul : Pour moi, c’est un album qui sent l’argent, ou comment en faire… J’écoutais plutôt des trucs vraiment obscurs. Jah Wobble a été une grosse influence. Et puis toujours les mêmes trucs, avec un peu plus d’électronique. J’ai plus été influencé par des chansons que par des artistes. Et puis il y a eu ces chansons qu’ils avaient démarrées que j’ai essayé de faire coller avec ce que j’avais commencé à bosser. Pour tous les albums que j’ai réalisés, j’ai eu des références très claires en tête, sauf pour celui-là. J’ai pris ce qu’ils avaient fait, associé à mon envie d’aller vers des trucs plus pop, avec en fond le dub et donc Jah Wobble que j’avais beaucoup écoutés.

Et la présence de Baxter Dury sur « Tastes Good With The Money », c’était pour vous rappeler Londres ?
Saul : Je le connais depuis que je suis ado, il a produit mon premier groupe, The Metros, quand j’avais 17 ans. Il a toujours été fan de Fat White Family. La chanson parle de West London dont il est le prince.

Comment vous sentez-vous au milieu de la nouvelle scène rock londonienne ?
Saul : On est un peu les parrains !

Lias : Oh non… faut qu’on survive à ça.

Saul : Je trouve que c’est super. Quand on a débuté c’était dur de trouver de la bonne musique dans le sud de Londres. Maintenant, tu peux entendre des bons trucs tous les soirs de la semaine. Tous les groupes ne sont pas influencés par nous à part un ou deux.

Lias : C’est une sorte de scène ouverte très DIY. Nous n’étions pas les seuls, d’autres groupes ont joué un rôle, d’autres personnes aussi qui ont contribué à ces soirées. Ça a créé un truc et maintenant, tu as plein de kids qui jouent tous les genres de musiques. On n’a plus rien à voir avec ça mais j’imagine qu’on a joué un rôle au début.

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Saul : C’est bien de se souvenir d’où on vient, quand même.

C’est d’ailleurs drôle vos clashs avec les Sleaford Mods qui ont balancé que vous sonniez comme un groupe de reprises de Moby
Lias : C’est une blague. Il y a quelques années, Jason Williamson a écrit cette chanson, « Six Horsemen », où il se moquait des musiciens de Brixton. Bon, là, c’est en réponse à un tweet, c’est une petite dispute d’amoureux. J’adore vraiment les Sleaford Mods, Jason est une sorte de héros du peuple, il aime bien balancer des trucs et qu’on se cherche un peu.

Habituellement ses cibles sont des groupes comme Shame ou Idles car lui se revendique de la vraie working class…
Saul : J’en ai rien à foutre de cette idée de working class, c’est vraiment pénible. En revanche je crois que juste qu’il n’aime pas les mêmes vieux groupes indie à guitares fatigués de gars qu’on a déjà entendus un million de fois. Et j’avoue que je suis d’accord avec lui.

Lias : Oui, oui c’est clair. Bon, Shame, c’est un peu comme des petits frères, on ne peut pas en dire du mal. Mais bon, être critique entre nous reste un truc naturel.

Saul : Shame… c’est vraiment de la merde. [Hilarité générale]

L'album Serfs Up! de Fat White Family sort le 19 avril chez Domino / Sony.

Le groupe sera en concert le 30 mai à Nîmes (This Is Not A Love Song), le 31 à Strasbourg (Laiterie) et le 13 juin à Paris (Élysée-Montmartre).

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