En plein apartheid, Umoja remplissait les stades d'Afrique du Sud

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En plein apartheid, Umoja remplissait les stades d'Afrique du Sud

Nous sommes allés discuter avec le groupe de « bubblegum music » dont l'album « 707 » vient d'être réédité par Awesome Tapes From Africa.

L'an prochain, lorsqu'on célèbrera les trente ans des disques sortis en 1988, nul doute que l'on oubliera de citer 707. Inconnu en Europe, ce disque n'a pourtant rien d'une rareté en Afrique du Sud. Il est l'œuvre d'Umoja, vedette incontestée d'un genre musical (la bubblegum music, soit des des boucles de synthés, des vocoders et des mélodies entêtantes) qui permit alors à ce collectif de remplir les stades en plein apartheid. Un destin, forcément pas comme les autres, qui a poussé Awesome Tapes From Africa à rééditer le disque, et nous à aller poser quelques questions à la véritable star d'Umoja : Alec Om Khaoli.

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Noisey : Il y a peu d'informations sur toi, mais le peu d'articles trouvés donnent l'impression que tu as eu une vie mouvementée. Tu peux m'en dire plus ? Tu faisais quoi avant de créer Umoja ?
Alec Om Khaoli : J'ai commencé la musique assez jeune. La première fois, ça devait être au lycée, dans un groupe qui a fini par devenir très populaire auprès des étudiants et avec lequel j'ai eu l'occasion d'aller jouer au Zimbabwe. Notre groupe s'appelait The Beaters et le concert était dans le cadre d'un festival de soutien pour le mouvement de l'indépendance. C'était un festival de jazz et on était l'un des rares groupes à ne pas s'inscrire dans cette mouvance. D'ailleurs, ça été un concert assez étrange, notamment à cause des émeutes qui se déroulaient au même moment. Il y avait une vraie tension ce jour-là, à tel point point que la police a fini par ouvrir le feu et abattre cinq personnes dans le stade… Je crois que c'est à ce moment-là qu'on a choisi de se renommer Harari. Non seulement pour rendre hommage à la capitale du Zimbabwe et à ces gens décédés, mais aussi parce que ce concert nous a rendu très populaire. Dans notre pays, en Afrique du Sud, on nous parlait souvent de cette performance. Ça nous a aidé à populariser notre musique, à signer sur A&M Records aux États-Unis et à faire entendre ce que les journalistes ont fini par considérer comme de l'afro-rock.

À cette époque, quel type de musique écoutais-tu ?
Oh tu sais, il n'y avait rien de bien original. On ne suivait pas le jazz ou le punk, on écoutait essentiellement de vieilles musiques africaines. Du coup, on avait l'impression qu'il y avait tout à inventer.

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Umoja a été fondé dans quel but, sachant que tu avais déjà Harari ?
Avec les autres membres d'Harari, on s'est séparé au mitan des années 1980. J'ai alors fondé Umoja en ayant la volonté de fonctionner différemment. Là, j'étais l'unique songwriter et j'avais un meilleur contrôle sur les chansons que je composais. Par contre, tout se passait au même endroit, dans le même studio où on enregistrait nos morceaux avec Harari. C'est là que j'ai composé « Brown Sugar », qui est tout de suite devenu très populaire et qui nous a rendu célèbre dans les coins les plus pauvres d'Afrique du Sud.

Comment tu l'expliques ?
Tout simplement parce que c'était une musique dansante et qu'elle permettait aux gens d'oublier tous ces soucis liés à l'apartheid. En swahili, « Umoja » signifie « unité », et je pense que ça définit bien notre approche.

Justement, c'était comment d'être une pop-star durant l'apartheid ?
C'était surtout un très beau challenge. J'ai toujours cru que la musique avait le pouvoir de réunir les gens, peu importe les couleurs, et c'est ce que j'appréciais le plus dans cette popularité qui m'était accordée : avoir la chance de pouvoir toucher les gens, de les rassembler et de les faire danser ou pleurer tous ensemble. On vivait quand même une époque très difficile, on risquait de se faire arrêter à tout moment dès lors que l'on fréquentait des zones réservées à la population blanche. C'était donc une chance énorme de pouvoir apporter un peu de bonheur, ou de répit, à certaines personnes.

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Tu l'as dit, ta musique est très dansante, très festive. Est-ce qu'une vie nocturne était possible durant l'apartheid ?
Il y avait quelques clubs, mais ils étaient presque essentiellement réservés aux blancs, on n'avait pas trop le droit d'y aller. Pareil pour la radio : malgré le succès que l'on rencontrait, un tas de nos morceaux ne sont jamais passés sur les ondes. Ce qui était très difficile à accepter, surtout que l'on s'investissait vachement dans nos morceaux et que le public semblait réceptif. Et je ne te parle même pas de notre label, Gallo Records, pour qui cette situation rendait l'équilibre économique très difficile à trouver.

Dans ce cas, j'imagine que tu voyais ta musique comme une évasion ?
Oui, c'est exactement ça ! Pour nous, c'était l'occasion de voyager grâce à notre musique, de s'amuser, de faire danser les gens et de penser à autre chose pendant un temps. Cela dit, on se retrouvait toujours confronter à la réalité du moment : la police, par exemple, nous demandait systématiquement où on jouait, exigeait de pouvoir vérifier nos textes avant pour voir si ce que l'on disait était politiquement correct. Heureusement, on a toujours été assez intelligent pour réussir à masquer nos intentions et à ne pas paraître trop explicites.

Quels sont tes pires souvenirs durant cette période ?
C'était le 16 juin 1976, lors des émeutes de Soweto. Il y avait des gens partout dans la rue, prêts à entrer en révolution, ce qui veut dire également qu'il y avait des policiers partout, prêts à défendre l'État en place. Ce jour-là, on aurait dit que c'était la fin du monde…

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D'un point de vue créatif, comment ça se passait ? Où enregistrais-tu tes morceaux ?
En 1984, j'ai ouvert mon propre studio, ce qui était quelque chose d'inimaginable en Afrique du Sud à l'époque. Ça m'a permis d'avoir un peu plus de liberté et de passer un temps fou à travailler ma musique. Lorsque j'ai eu ce studio, c'est bien simple, je crois que je ne suis pas sorti pendant les trois ou quatre premières semaines. Je travaillais sans cesse sur de morceaux et ma femme ne s'inquiétait pas plus que ça de ne pas me voir rentrer. Après tout, elle savait parfaitement où j'étais et ce que je faisais.

Le communiqué de presse parle de Bubblegum Music pour définir le son d'Umoja. Ça veut dire quoi ?
C'est un journaliste qui a défini notre son de cette façon, et c'est resté. Cela dit, je ne pense pas qu'il faille nous rattacher à un style en particulier, que ce soit de la pop, de la bubblegum ou de la musique africaine. Pour moi, c'est juste de la musique, à écouter avec la même attention et le même respect que du jazz ou des musiques classiques.

Toi, comment définirais-tu la bubblegum music ?
Je pense qu'elle a été nommée ainsi parce que les mélodies sonnaient évidentes et qu'elles restaient en tête. Comme je te le disais, ça évoquait l'évasion et ça nous a rendu très populaire. Ça nous est déjà arrivé de remplir des stades. Plusieurs fois, même. C'est dire le pouvoir de cette musique.

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Ton album 707 vient d'être réédité par Awesome Tapes From Africa. Comment s'est faite la rencontre avec Brian Shimkovitz ?
Mon fils m'a parlé de Brian et m'a mis directement en contact avec lui en me disant qu'il serait intéressé par le fait de rééditer certains de mes morceaux. Tout s'est fait par mail, mais j'ai bien aimé son approche et le fait de pouvoir rendre ma musique accessible à nouveau. À un public occidental qui plus est.

Tu ne connaissais donc pas Awesome Tapes From Africa avant ?
Non, mais j'ai fini par me renseigner et je me suis rendu compte que son label avait servi de relais à pas mal de musiques africaines. C'est une belle initiative et, forcément, je suis plutôt heureux d'avoir été repéré par Brian.

Selon toi, qu'est-ce qui fait la force de ce disque ?
Comme la plupart de nos disques, 707 est chanté en anglais, ce qui nous permettait de toucher un large public, surtout dans un pays où il y a plusieurs langues officielles. Surtout, c'est un disque qui chante l'amour, ce qui était très apprécié par le système de l'époque. Ainsi, il ne se sentait pas menacé et nous laissait nous exprimer.

Quelle est ta vie aujourd'hui ?
J'ai toujours mon studio, ce qui me permet d'expérimenter pas mal de choses tranquillement. Sinon, j'assiste et je produis d'autres artistes. Dernièrement, j'ai même bossé avec un artiste de gospel, très religieux. On a collaboré ensemble dans mon studio et ça devrait donner naissance à un projet commun.