Comment Napalm Death a changé la face de la scène metal en Indonésie

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Comment Napalm Death a changé la face de la scène metal en Indonésie

Ils sont vénérés à travers tout le pays et le président lui-même les compte parmi ses groupes favoris.

Les moments de l'Histoire que l'on peut associer avec précision à la naissance d'une scène musicale sont rares. Il y a le concerts des Sex Pistols à Manchester, en 1976, qui aurait provoqué la formation des Buzzcocks, de Joy Division, des Smiths et de Factory Records. Il y a le concert de Black Flag à New York, en 1981, qui a rassemblé les scènes de Washington D.C., de New York et de Californie. Le moment où le premier EP des Strokes a atterri dans les bureaux de la presse musicale anglaise. Et, en Indonésie, le moment où l'album Harmony Together, de Napalm Death, est arrivé dans les bacs.

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Au début des années 90, l'Indonésie avait déjà développé une certaine obsession pour le heavy metal, mais tout ce que le pays avait à se mettre sous la dent à l'époque, c'était les gesticulations hair metal de Mötley Crüe et des Guns N' Roses, ou le son anglais plus classique d'Iron Maiden. Metallica était grosso merdo le truc le plus violent disponible sur le marché local.

Tout ça se passait bien avant internet, à l'époque où la musique nouvelle arrivait en Indonésie dans les valises et les walkmans des voyageurs revenant de l'étranger. Les albums étaient ensuite dupliqués, puis circulaient entre les membres de la scène – peu nombreux, mais dévoués à la cause. Et les metalheads locaux attendaient désespérément quelque chose de plus brutal que …And Justice For All.

Et voilà qu'arrive Napalm Death. C'est avec Harmony Corruption que la plupart des indonésiens ont découvert le death metal. C'était la première fois qu'ils entendaient un groupe à ce point vénère et lourd - à tel point qu'il atomisait toute concurrence. L'album est d'abord arrivé dans le pays sous la forme d'une cassette piratée ; il a ensuite rapidement été diffusé au niveau local par le label Indo Semar Sakti, sous la référence KG-1060891. Aujourd'hui, c'est un numéro emblématique que beaucoup d'indonésiens connaissent encore par cœur.

La presse musicale indonésienne était extatique. Le critique Heru Emka dit de l'album qu'il « sonnait comme un train en acier qui s'écrase dans un mur de béton. » Bimo Samyayogi, boss du label de metal indonésien Undying Music, se souvient avoir lu dans le magazine musical Hai une critique du genre : « Napalm Death et Morbid Angel ont rabaissé Slayer au niveau de Poison et Faster Pussycat. », après quoi il s'était immédiatement levé de son siège pour foncer acheter l'album.

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Arian 13 (Arian Ariffin de son vrai nom), chanteur du groupe de metal indonésien Seringai, a expliqué à Noisey que la première fois qu'il a entendu Harmony Corruption, c'était sur une cassette bootleg que lui avait passée un pote de lycée : « L'album était copié de cassette en cassette, la qualité n'était pas super » raconte-t-il. « C'était autour de 1990, quand il venait de sortir. Le death metal et le grindcore étaient en plein essor. C'est comme ça que j'ai entendu Napalm Death pour la première fois. La cassette est sortie officiellement en Indonésie un an ou deux après. »

C'était grâce aux cassettes pirates que la plupart des indonésiens découvraient les nouveaux genres occidentaux comme le metal, le hardcore ou le hip-hop. Les bootlegs tournaient et s'échangeaient au sein des scènes concernées, avant d'être sortis officiellement par un label local. Ce sont ces connections qui ont jeté les bases de la scène DIY du pays, toujours vivace aujourd'hui.

Très vite, Harmony Corruption était partout. « Harmony Corruption a été l'un des premiers album de death metal/grind disponible au niveau national » raconte Arian 13. « Évidemment, l'impact a été énorme. »

Mais l'artwork morbide de l'album a également valu quelques problèmes aux plus jeunes fans du groupe. Un professeur avait par exemple confisqué la cassette de Revan Bramadika, batteur du groupe Rajasinga, et l'avait écoutée. Il ne lui avait fallu qu'une seule chanson pour envoyer Bramadika devant le conseiller d'orientation et le principal du lycée, afin de recevoir quelques « mises en gardes ».

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« Je me rappelle d'eux me disant que c'était de la 'musique satanique', que c'était indécent et que ce n'était pas le genre de chose qu'un lycéen devait écouter', nous a raconté Bramadika. « Ils m'ont dit d'aller plutôt écouter Ricky Martin, dont le tube du moment était le morceau officiel de la Coupe du Monde 98. Mais dès qu'ils ont eu le dos tourné, j'ai récupéré la cassette. »

L'influence d'Harmony Corruption a été gigantesque. C'est avec cet album que les groupes de metal indonésiens ont appris à s'accorder en Ré. Le chant ressemblait à un grognement guttural. Les riffs groovaient. Rapidement, les groupes locaux comme G.A.S., de Surabaya, et Warhammer, de Yogyakarta, ont ajouté une reprise de « Suffer The Children » à leur setlist. Et Death Vomit reprenait à la fois « Suffer The Children » et « Circle Of Hypocrisy » sur scène, pendant qu'à leurs côtés, un poète déclamait ses textes critiques de l'Ordre Nouveau du général Suharto.

C'est Napalm Death qui a poussé la plupart des fans de musique « extrême » ayant grandi dans les années 90 à fonder des groupes de death metal à leur tour. JASAD, légendaire groupe de metal de Bandung, était très fortement influencé par leur son. Le chanteur de Tengkorak confie avoir appris à hurler en prenant exemple sur le style de Barney Greenway, de Napalm Death.

Pour Arif « Gobel » Budiman, de Rottenomicon, son groupe n'aurait pas existé sans Harmony Corruption. « Leurs riffs de guitare sont dingues, et les lignes de voix sont intéressantes elles-aussi » explique-t-il. « Mais surtout, leur influence est arrivée pile au bon moment. »

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Le concert de Metallica à Jakarta, en 1993, qui s'est terminé en émeute, est probablement le concert de metal plus célèbre du pays ; mais celui de Napalm Death à Ancol, en 2005, est sûrement le plus légendaire. Des milliers de fans s'étaient massés sur le site du festival en bord de mer, pour voir leur groupe préféré pour la première fois en live. C'est ce concert qui a définitivement placé l'Indonésie sur la carte du tour du monde de la musique extrême.

Arian 13 faisait partie de l'équipe de production responsable du concert de Napalm Death. Il raconte que leur venue était tellement importante pour la scène metal du pays que même ses membres les plus âgés se sont transformé en ados énamourés devant le groupe.

« Quand je suis allé récupérer le groupe à l'aéroport, Ombat [chanteur du groupe grindcore Tengkorak] était tellement nerveux qu'il n'a pas réussi à dire un mot à Barney » se souvient-il. « Il était pétrifié d'admiration ! »

La fanbase de Napalm Death a des ramifications jusque dans les plus hautes sphères du gouvernement indonésien. Le Président Joko Widodo, fan de metal notoire, a déclaré à la presse locale que ses groupes préférés étaient Metallica, Megadeth, Lamb of God et, bien sûr, Napalm Death. On l'a vu porter des t-shirts Morbid Angel et Napalm Death lors de certaines rencontres avec la presse.

En 2015, le groupe a essayé de profiter de cet intérêt pour pousser Jokowi à renoncer à son intention de faire exécuter les trafiquants de drogue étrangers Andrew Chan, Myuran Sukumaran, et Lindsay Sandiford.

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Voilà un extrait de la lettre adressée par Greenway, le chanteur du groupe :

En tant que fan de notre groupe Napalm Death, vous devez avoir conscience que nos textes ainsi que notre philosophie de vie s'attachent à contester le cycle ininterrompu de la violence dans le monde, qu'elle provienne d'un état ou d'un individu. Si on ne combat pas cet état de fait, et qu'on n'y remédie pas, je pense que l'humanité ne progressera jamais véritablement.

Je comprends bien que vous avez la position d'un dirigeant déterminé à améliorer la situation de votre pays, et je crois qu'accorder la grâce serait un grand pas en avant dans cette quête d'amélioration. Je suis conscient que l'héroïne peut être destructrice à bien des niveaux, mais je pense que c'est une question bien plus complexe, à laquelle on ne peut pas répondre, ni régler, en prenant la vie des gens.

Le groupe n'a pas réussi à influencer la décision du président ; mais Napalm Death et Harmony Corruption continuent d'influencer toute une nouvelle génération de metalheads indonésiens. Budi Santos, propriétaire du magasin Deep Rock Music, situé dans le centre commercial Blok M de Jakarta, continue de vendre encore beaucoup de cassettes de l'album mythique.

« La cassette peut se vendre à 35 000 roupies (2,20 €) ou plus, selon son état », a-t-il expliqué à Noisey. « Le repressage vinyle tourne autour de 400 000 roupies (25 €). À moins qu'il ne s'agisse d'un premier pressage, auquel cas on dépasse facilement les 500 000 roupies (31 €). » Le vinyle n'est peut-être pas donné. Mais 27 ans après sa sortie, l'influence d'Harmony Corruption sur la scène metal indonésienne n'a pas de prix.