Les rappeurs français racontent leur morceau préféré de 2Pac

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Les rappeurs français racontent leur morceau préféré de 2Pac

Alors que tout le monde descend son biopic, « All Eyez On Me », sorti le jour de son anniversaire, Nikkfurie, Dosseh, S.Pri Noir, Seth Gueko, Jarod et quelques autres sont revenus sur leurs titres favoris de Tupac Shakur.

À défaut d'avoir su s'évader d'une célébrité dont les aléas ont fini par devenir une source de schizophrénie et de hantises, 2Pac a toutefois su s'échapper de sa condition de jeune noir élevé par une mère accroc au crack aux États-Unis pour façonner une œuvre qui, aujourd'hui encore, donne l'impression de retravailler obstinément une même glaise autobiographique, romanesque, mélancolique, intime, brassant dans un même élan l'engagement social et l'egotrip, les morceaux festifs et ceux plus introspectifs. Comment une telle succession de tubes planétaires, de brûlots contestataires, de délires paranoïaques et de titres aussi personnels que spirituels a pu se dérouler d'elle-même en une discographie au sein de laquelle il est encore possible de plonger en découvrant de nouvelles nuances et de nouveaux messages, toujours criant d'actualité; on ne le sait toujours pas. Ce qui est sûr, c'est que le mec impose le respect – même Mobb Deep, pourtant en beef avec le bonhomme à l'époque, ont demandé à ce que leur diss-track « Drop A Gem On 'Em » soit retiré des radios par respect pour leur rival, décédé quelques semaines plus tôt. En France, on perçoit le même respect : de la Mafia K'1 Fry à Lucio Bukowski, en passant par IAM ou Sameer Ahmad, tous ont cité au moins une fois le rappeur dans l'un de leurs morceaux. Trois mois après avoir demandé aux MC's hexagonaux leur titre préféré de Biggie, et alors que tout le monde se lâche (50 Cent en tête) sur son biopic, All Eyez On Me (sorti le jour de son anniversaire, le 16 juin dernier), il était donc logique qu'on aille leur poser la même question au sujet de 2Pac. Ça tombe bien, Nikkfurie, Seth Gueko, Espiiem, Kohndo ou encore Dosseh étaient visiblement ravis d'en parler.

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Nikkfurie (La Caution) : « Changes »

« 2Pac n'a pas vraiment été une influence chez moi, mais plus un exemple qui te conforte dans comment faire ressentir l'authenticité de tes lyrics, sans faker. Le travail sur la justesse de l'émotion dans le timbre de voix sur un morceau comme « Peines de Maures », par exemple, relève de ce procédé que 2Pac maîtrisait à la perfection. C'est d'ailleurs très dur de définir un morceau parmi ceux qu'il a composé, tant l'œuvre du bonhomme est dingue. Spontanément, j'aurais dit « Life Goes On » pour le côté morosité mélodieuse faite rap et interprétée parfaitement. Mais, comme une synthèse musicale de ce qu'il représentait, j'opterais finalement, même si c'est un morceau ultra easy listening, pour « Changes », avec ces très mélodieux piano et refrain astucieusement re-taffés – à la base, ils sont de Bruce Hornsby. Le côté mélancolique colle parfaitement au message principal de 2Pac, qui dépeint ici cette morosité sociale pragmatique qui perdure : « And still I see no changes ». Et si certains disent que techniquement 2Pac n'était pas le plus excitant des MC's, son ton, son timbre et ses lyrics rendaient vivant le message, quasi palpable et visible. Et ça, c'est techniquement très difficile à faire. Donc, comme une sorte d'outro à sa carrière de MC à la fois ultra « commercial » et ultra profond, le morceau « Changes », sorti à titre posthume, résonne particulièrement à mes oreilles et reste d'ailleurs criant d'actualité. »

S.Pri Noir : « Changes »

« Quand j'ai commencé à rapper, je me suis renseigné sur les textes des rappeurs américains. En traduisant, je me suis rendu compte à quel point 2Pac était différent des autres. Alors que les cainris ont la réputation de dire de la merde par rapport aux Français, lui, de façon simple et direct, arrivait à des dires des trucs hyper profonds. C'était à la fois accessible et réfléchi, et je pense que ça a vraiment permis à certains de ses titres d'être populaires. C'est le cas de « Changes » que j'ai entendu à la radio à l'époque et qui m'a tout de suite plu. Je trouvais l'écriture vraiment cool, dans le sens où il se remet en question dans le premier couplet, avant d'aborder sa place dans la société, les conditions des Blacks et les maux de la société dans les couplets suivants. Du coup, il y a une espèce de fatalité qui se dégage du morceau que je trouve fascinante. J'ai même essayé de rapper à mes débuts sur l'instru de « Changes », mais c'est loin d'être facile. Il a une vraie aisance à rebondir sur les mots tout en ayant une interprétation impressionnante. On comprend pourquoi il a également fait des films. Je me souviens par exemple de Poetic Justice, que j'ai dû regarder deux fois parce que j'avais serré une meuf la première fois et que je tenais vraiment à le voir en intégralité. J'ai bien fait parce il est assez bien foutu, avec un rôle loin d'être caricatural pour 2Pac, loin de l'image de gangster qu'on lui accordait en général. »

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Dosseh : « I Ain't Mad At Cha »

« Avec Michael Jackson, 2Pac est le seul artiste dont je suis réellement fan. J'avais même des posters de lui dans ma chambre étant gamin. Je ne comprenais pas ses paroles à l'époque, mais j'avais l'impression que ce qu'il disait était très important. C'est bien simple : son attitude, sa façon de parler, son charisme, tout m'impressionnait chez 2Pac. Je voulais être lui. D'ailleurs, quand je suis tombé sur la traduction de ses morceaux, ça n'a fait que confirmer ce que je pensais : le mec réfléchissait clairement de manière différente des autres, il avait à la fois le côté entertainment et le côté plus réfléchi, plus profond. Il n'était pas que dans le divertissement et c'est ce que j'aime chez lui – à mon échelle, c'est d'ailleurs ce que j'ai essayé de reproduire sur mon premier album, Yuri.

Du coup, j'aurais beaucoup de mal à ressortir uniquement un titre. Rien que sur All Eyez On Me, le premier CD que j'ai acheté, il y a au moins dix morceaux dont j'aimerais te parler. Mais bon, si je ne devais en citer qu'un, je dirais « I Ain't Mad At Cha », notamment pour le clip où il met en scène sa propre mort. J'étais en cinquième quand j'ai appris son décès, et ça m'a vraiment touché, c'était comme si j'avais perdu un proche. Pour te dire, j'avais presque les larmes aux yeux. Alors, quand j'ai vu ce clip, ça m'a fait tout drôle… En plus, il a l'intelligence de se mettre en scène au paradis aux côtés de Miles Davis ou Jimi Hendrix, et il faut bien avouer qu'il a clairement sa place aux côtés de ces mecs-là. Comme eux, 2Pac est de ces artistes qui te poussent à avoir de l'affection pour eux. Que ce soit en interview ou dans ses morceaux, que tu sois d'accord ou non avec lui, il dégageait un truc de fou, quelque chose qui ne peut que te toucher. On aurait dit un grand-frère. »

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A2H : « To Live & Die In L.A. »

« À la base, je dois avouer que j'étais plus Biggie que 2Pac, mais quand j'ai capté la dimension hors-rap du bonhomme, j'ai tout de suite eu envie de saigner ses albums. Et là, « To Live & Die In L.A. » m'a tout de suite frappé : c'est un morceau et un clip de rider, fait pour prendre du bon temps et représenter tranquillement sa ville. Ce titre, il te file le sourire, c'est obligé. On sent d'ailleurs qu'il a tourné le clip avec des proches à lui, ou du moins avec des mecs de L.A. qui ont dû accepter de faire ça sans être payés, simplement par plaisir de représenter la Californie, d'approcher sa Cadillac jaune et d'être dans un clip de 2Pac. À l'époque, c'était quand même le boss de la Californie, il imposait un lifestyle, un engagement social, un code de conduite, etc. Même moi, en France, ça me parlait. D'ailleurs, j'ai essayé pendant un temps de rapper sur l'instru de « To Live & Die In L.A. », mais ça ne sonnait pas, je n'arrivais pas à faire groover le morceau comme lui. Ça n'a fait qu'accentuer le respect que je lui porte. Ça et son charisme impressionnant, ce côté magnétique qui a dû lui permettre de baiser toutes les femmes de L.A. à l'époque. »

Seth Gueko : « Me Against The World »

« Je n'ai pas grand-chose à dire sur ce morceau, si ce n'est que je comprends bien le texte, assez simple, certes, sans rimes multisyllabiques, mais vraiment porteur. Moi aussi, tu sais, je me sens seul dans le rap… Toujours à me battre pour prouver ma place… D'autant que je ne me sens encore ni aidé ni soutenu… »

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Senamo (La Smala) : « All Eyez On Me »

« Bon, je dois avouer que je commence à en avoir un peu ma dose de 2Pac, trop écouté, trop mythique, mais ça n'en reste pas moins une référence pour n'importe quel amateur de rap. Sans exagérer, je pense que c'est le rappeur le plus important de l'histoire, celui qui a réussi à marquer le genre de façon intemporelle et qui, au-delà de la musique, a réussi à développer une personnalité fascinante – moi-même, il m'est arrivé de rapper sur ses instrus pour tester mes textes. C'est d'ailleurs un exercice intéressant parce que ça implique d'accélérer le flow, d'être plus rapide dans les enchainements puisque 2Pac double systématiquement le tempo. Personnellement, je ne l'ai toutefois jamais trouvé aussi bon que sur « All Eyez On Me », un son qui a un côté ultra chill, moins politique que les autres. C'est le morceau parfait à écouter en vacances. D'ailleurs, c'est un titre qu'on a saigné avec des potes lors de vacances dans le sud de l'Espagne. Et c'est sans doute pour ça que j'apprécie autant « All Eyez On Me ». Parce qu'il me rappelle une super période, mais aussi parce qu'il symbolise pour moi l'amitié, la détente et le soleil. Je sais que beaucoup le considèrent comme l'un des morceaux les plus new-yorkais de 2Pac, mais son groove et sa voix sont clairement californiens. En l'écoutant, tu sens qu'il avait le soleil autour de lui, il te donne immédiatement envie de te balader dans une décapotable le long de la plage. »

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Marc Nammour (La Canaille) – « Got My Mind Made Up »

« Pour tout dire, j'ai surtout écouté 2Pac entre 1994 et 1997, et notamment les albums All Eyez On Me et The Don Killuminati (The Day 7 Theory). Après, j'avoue avoir moins écouté les albums posthumes, je me méfiais de tous ces sons modifiés. En revanche, à partir de 1994, c'est vraiment le moment où il explosait tout, où il s'est imposé comme rappeur influent de la West Coast avec des morceaux dansants, sombres, engagés ou purement egotrips. Forcément, j'aimais beaucoup ce qu'il représentait, son côté politisé, sa filiation avec les Black Panthers et sa volonté de redonner de la crédibilité au peuple noir. Pourtant, mon morceau préféré du bonhomme n'a rien de politiquement engagé. D'ailleurs, ce n'est même pas un solo de 2Pac puisqu'il y a aussi Redman, Method Man et Kurupt sur le titre. Ça donne un gros freestyle où chacun pose son 16 mesures. C'est moins ghetto que « Ambition Az A Ridah », mais ça fait de ce morceau un véritable ovni sur All Eyez On Me. Le fait d'avoir réuni Redman et Method Man montre aussi à quel point 2Pac prenait du recul sur la guerre East Coast/West Coast, à quel point il avait un côté fédérateur, quelque chose qui lui permettait de réunir facilement des gens autour de lui. »

Jarod : « Strarin' Through My Rearview »

« C'est un peu malhonnête pour moi de ne choisir qu'un morceau tant j'ai saigné les disques de 2Pac depuis que j'ai dix ans. C'est de loin ma plus grande influence, que ce soit pour le rap ou le côté humain. Et je sais que je ne suis pas le seul : un mec comme Kendrick Lamar, par exemple, tu sens bien que 2Pac a été sa raison de faire de la musique. Moi-même, j'ai appris l'anglais à travers ses textes, parallèlement à mes cours. Au début, je ne comprenais qu'une phrase, puis deux, puis trois, puis quelques mots d'argots et j'ai fini par saisir toute la portée de ses textes. Ça m'a souvent aidé quand je ne savais plus trop où j'en étais, plus trop où me situer. Ça me donnait de la force. Par exemple, « Starin' Through My Rearview », j'ai dû l'écouter plus de deux heures d'affilée lorsque j'étais en prison. Ça racontait la vie sous un angle passionnant, avec un aspect très positif malgré la dureté des paroles et des expériences évoquées. En plus, ce que j'aime sur ce morceau, au-delà du flow de 2Pac et du sample de « In The Air Tonight » de Phil Collins, c'est la présence des Outlawz. On peut leur reprocher de ne pas être de bons rappeurs, d'avoir affaibli certains morceaux de 2Pac, mais, selon moi, les mecs apportent quelque chose en plus à chaque fois. Le flow n'est pas précis, mais tu as l'impression que ça ne pourrait pas être dit autrement, que la vérité qu'ils balancent prend toute son ampleur lorsqu'elle est dite ainsi. 2Pac aussi n'est pas le même lorsqu'il est à leurs côtés. Les morceaux sont moins travaillés, davantage enregistrés à l'arrache. On a l'impression qu'il est plus direct, plus brut et plus libéré. Et ça, c'est important de le rappeler : aux côtés des Outlawz, 2Pac révélait une autre facette de sa personnalité. »

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Kohndo : « Dear Mama »

« Comme bien des gens, 2Pac m'a évidemment marqué, et particulièrement sur « Dear Mama ». Personnellement, j'ai l'impression qu'il a écrit ce titre pour se racheter aux yeux de la justice après avoir été mis en accusation pour tentative de viol. Quoiqu'il en soit, c'est un titre qui touche par sa mise à nu et par le fait qu'il n'y avait jamais eu de morceau aussi intime dans le rap auparavant. »

Espiiem : « Temptations »

« Mon album préféré de 2Pac est indéniablement Me Against The World, un disque qu'il a enregistré après la tentative d'assassinat dont il a été victime et qui a été classé numéro 1 des charts alors qu'il était emprisonné. Pour moi, c'est le projet qui retranscrit le mieux sa personnalité complexe, parfois douce, parfois agressive, quasiment schizophrénique. Le morceau « Tempations » par exemple, représente à lui seul toutes ces facettes. D'une part, le contraste de l'instru : rythmique puissante, mélodie douce, etc. Et d'un point de vue textuel : 2Pac s'adresse dans ce morceau à une femme qu'il séduit et avec qui il souhaite passer une nuit, à défaut d'une relation longue qui lui semble impossible. Il confie le stress de sa nouvelle vie de superstar, sa solitude, l'incapacité de se ranger à cause de son train de vie effréné. Il aspire à être un homme bien, mais les tentations qui l'entoure sont nombreuses. »

Isha : « How Do U Want It »

« Mon morceau préféré de 2Pac est « How Do U Want It » avec K-Ci & Jojo, sans hésiter. J'avais dix ans quand le titre est sorti, l'âge où tu commences à être sensible à la musique et aux clips. Dans celui-ci, il a d'ailleurs une gestuelle assez explicite et ça me rendait fou. Si bien que lorsque la vidéo passait sur MTV, je me sentais obligé de monter le son. Je suis le dernier d'une fratrie de cinq enfants et c'est une habitude qu'on avait à la maison. Pareil, avec mes cousins et cousines, on avait pris l'habitude de s'offrir des maxis à chaque anniversaire, et moi j'avais eu la chance d'avoir celui de « How Do U Want It ». Ça m'a marqué. De toute façon, 2Pac a toujours été une influence indirecte chez moi, dans le sens où il dégageait une authenticité, une sensibilité et une intelligence au-dessus de la moyenne, quelque chose qui lui aurait sans doute permis d'être un leader d'opinion, de faire bouger les choses s'il n'était pas mort. Aussi, j'ai toujours été passionné par ses morceaux à connotations sexuelles. Il arrive toujours à réussir cet exercice sans être dégueulasse et cru, tout en amenant des références à la rue et des chanteurs sur le refrain. Ça faisait G, en quelque sorte. D'ailleurs, la façon dont il entre sur ce morceau est dingue, ses douze premières mesures sont tout bonnement exceptionnelles. Je sais que personne ne va être d'accord, mais pour moi c'est l'un des meilleurs couplets de l'histoire du hip-hop. »