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Salo au Canada

Le gouvernement canadien dissimule 7 000 pages de preuves pour ne pas avoir à indemniser les victimes qui ont survécu.

Une photo de classe de l'école industrielle indienne St. Paul, à Middlechurch, Manitoba. (photo via)

Au début des années 1990, une association de Kapuskasing, dans le district de Cochrane au Canada, ainsi que des inspecteurs de James Bay, appartenant à la Police de la province d'Ontario (OPP), ont été chargés d’enquêter sur l’un des plus gros scandales d’abus sexuel et de violences physiques infligés à des enfants de l’histoire du Canada. Les témoignages qu’ils ont réunis – au travers de centaines d’entretiens avec des survivants du pensionnat de Sainte-Anne, à Fort Albany, dans l’Ontario – forment un ensemble terrifiant. L’enquête a produit 7 000 pages d’histoires qui ne feraient pas tâche dans des mémoires de survivants des camps de concentration ou d’individus coincés dans un pays où l’épuration ethnique est une politique gouvernementale.

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Les récits d’abus sexuels et de violences physiques sont brutaux et nombreux – des viols hétéro et homosexuels, des enfants battus avec des lanières en cuir ou des fouets rudimentaires, des ingestions forcées de substances toxiques (du porridge périmé que les enfants vomissaient et qu’on les forçait à réingurgiter), des attouchements sexuels, de la masturbation forcée… la liste est longue. Mais l’un des exemples les plus consternants des traitements indignes qu’ont subis les enfants de Sainte-Anne est celui où ils ont été attachés et torturés sur une chaise électrique faite maison, quelquefois en guise de punition, mais d’autres fois simplement pour divertir les missionnaires, qui, en commettant ces actes, gardaient bien à l’esprit leur mission, celle de « civiliser » les Indiens.

Edmund Metatawabin était le chef de la Fort Albany First Nation dans les années 1990, et le premier à avoir porté ces allégations à l’attention de l’OPP. Lui et ses pairs avaient été attachés à la chaise électrique, et il raconte ces expériences telles quelles : « Les jambes des jeunes garçons volaient devant eux… la vision d’un enfant se faisant électrocuter et ses jambes volants devant lui faisaient beaucoup rire les missionnaires… ils augmentaient la puissance et la durée des passages sur la machine au fur et à mesure. C’est là qu’on souffrait vraiment. Certains perdaient connaissance. »

En 1997, l’OPP a conclu son enquête et sept ancien employés de Sainte-Anne ont été reconnus coupables de plusieurs agressions. Les victimes n’ont jamais été indemnisées et les 7 000 pages de preuves collectées par l’OPP durant leur enquête ont été cachées quelque part dans la ville d’Orillia. Aujourd’hui, les victimes cherchent à être dédommagées, et le gouvernement fédéral – qui a par la suite atterri sur le banc des accusés dans cette affaire d’abus sexuels et de torture d’enfants avec une chaise électrique – tente d’empêcher ces documents de voir un jour la lumière, peu désireux de dédommager les victimes encore en vie. Le gouvernement justifie son manque de transparence en invoquant des « raisons de confidentialité » ; le serpent se mord la queue.

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J’ai discuté avec Fay Brunning, une avocate d’Ottawa qui représente les victimes de Sainte-Anne dans leurs demandes d’indemnisation.

« Dans les demandes d’asile pour le Canada, a dit Fay, le gouvernement fédéral considère l’électrocution comme une forme de torture. C’était de la torture, selon beaucoup de mes clients, d’être attaché à une chaise puis électrocuté. »

Fay a été en contact avec le détective Greg Delguidice, un agent de l’OPP qui a travaillé sans relâche sur cette affaire le long des années 1990, et qui a corroboré – dans sa déclaration, que Fay m’a fournie – les accusations terribles des survivants de Sainte-Anne. Mais il indique aussi que le gouvernement fédéral ne révèle pas les preuves les plus cruciales d’abus dans cette école : « Aucune de ces preuves n’est publiée dans les documents divulgués par le gouvernement fédéral sur Sainte-Anne, qui sont censés dévoiler tous les documents sur les abus sexuels ou violences physiques qui se sont produits à l’école pendant ses années d’activité. »

J’ai directement appelé Delguidice à son bureau de Kapuskasing pour voir s’il était prêt à faire un commentaire ou à donner un point de vue sur l’affaire, mais il a poliment refusé, affirmant qu’il était « en pleine procédure en ce moment » et que « le département des relations publiques s’en occup[ait] ».

Les documents que le gouvernement ne divulgue pas sont d’une importance vitale dans la procédure, parce que sans eux, les allégations d’abus faites par ces victimes seront facilement rejetées, ne se fondant que sur des témoignages et des souvenirs abstraits. Fay Brunning m’a dit : « Le gouvernement fédéral devrait admettre sa responsabilité face aux anciens élèves qui ont été électrocutés… Les anciens élèves ne devraient pas avoir à passer devant le juge un par un pour le convaincre qu’il y avait une chaise électrique. En outre, il ne devrait y avoir aucun doute sur l’indemnisation que méritent les personnes qui ont été électrocutées. »

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Vu que le gouvernement est l’accusé dans cette affaire, le fait qu’il puisse légalement avoir son mot à dire sur quelles preuves devraient ou ne devraient pas être présentées semble inique. « Le fait est, a déclaré Charlie Angus, député de la circonscription de Timmins-James Bay, que le gouvernement fédéral est l’accusé dans cette affaire. Est-ce qu’on autorise les accusés dans n’importe quelle autre affaire de viol à décider quelles preuves peuvent être utilisées ? Non. »

J’ai appelé Charlie pour obtenir le point de vue d'un juriste et homme politique sur la dissimulation par le gouvernement de preuves d’abus dont, désormais, quasiment tout le monde connaît l’existence dans le nord de l’Ontario. Ce n’était pas surprenant – pour un membre du Nouveau Parti démocratique qui critique ouvertement l’Office des affaires autochtones et le ministère de la Justice (et déteste aussi Twitter) –, mais il s’est montré extrêmement franc sur le sujet. Voilà ce qu’il a dit :

« Il essaye de contourner le problème – des contournements légaux qu’il a l’habitude de faire avec les Premières nations [ndlr : les peuples autochtones] – pour que, lorsque le moment sera venu d’aborder le problème et de s’expliquer, le gouvernement fédéral n’ait pas à dire à ces survivants que “ouais, on sait où sont les preuves, on ne va juste pas les fournir”.

C’est un gouvernement qui parle sans cesse de se battre pour les victimes et d’être sévère envers les criminels. Eh bien, est-ce qu’il est en train de nous dire qu’il y a deux genres de victimes dans ce pays ? Les indigènes et les non-indigènes ? Et que les indigènes devront simplement faire avec ce qu'on leur donne, et accepter de voir leurs droits bafoués et les preuves de torture sexuelle et d’abus sexuels sur des enfants supprimées ? Pourquoi, pour économiser quelques dollars ? Je trouve ça consternant. Le fait qu’il était au courant, qu’il savait que ces documents étaient là. Qu’il n’ait fait aucun effort pour les fournir, c’est incroyable. »

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J’ai ensuite demandé à Charlie s’il pensait que le gouvernement pouvait se rattraper – s’il pouvait retourner la situation, dédommager les victimes du pensionnat de Sainte-Anne et présenter des excuses officielles en respectant l'engagement qu’il avait pris auprès de la Commission de la vérité et de la réconciliation :

« Il le peut. Le timing est important. Il faut qu’il fournisse ces documents rapidement. Je sais qu’au niveau provincial, des gens sont prêts à apporter leur aide, on sait que l’OPP est prête à aider. Les gens veulent que justice soit faite. Qui serait d’accord avec le fait de dissimuler ou de nier des tortures sexuelles et physiques dont les victimes sont des enfants ? Vouloir aller dans ce sens demande un niveau de dépravation particulièrement élevé. Je pense donc que le ministre de la Justice va faire ce qu’il faut et que le gouvernement rendra ces documents publics. Ils ont été découverts. Tout le monde en parle. Il est temps de faire le bon choix. Il est temps que justice soit faite. »

Renâcler à dévoiler ces documents montre que le gouvernement actuel a été malhonnête dans ses excuses, dont les Premières nations ont dit qu’elles n’avaient apporté aucun changement substantiel à leur mode de vie au Canada. C’était visiblement des mots creux. Et aujourd’hui, le Gouvernement nie les allégations et dissimule les preuves de torture commises sur des mineurs. C’est franchement tordu. Stephen Harper avait fait de belles promesses en présentant des excuses historiques. Il est désormais temps d’agir concrètement et d’améliorer la vie des victimes indigènes du Canada.

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Dave est sur Twitter : @ddner

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