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Sports

La femme qui a révolutionné le marathon en se cachant derrière un buisson

En 1966, Roberta "Bobbi" Gibb a montré que les femmes pouvaient participer à un marathon.
Photo: YouTube

Vêtue du sweat de son frère et d'un short pour dissimuler sa féminité, Roberta Gibb s'est cachée derrière des buissons de la rue Hopkinton, très près du départ du marathon de Boston. Après le début de la course, alors que le gros des compétiteurs était passé, elle est sortie de sa cachette et a rejoint le peloton.

C'était le 19 avril 1966, la première fois qu'une femme courait au milieu d'une course d'hommes. « Je pensais qu'on allait m'arrêter ou me virer, explique Roberta Bobbi Gibb, aujourd'hui âgée de 73 ans. Mais comment démontrer qu'on est capable de faire quelque chose si personne ne nous laisse le faire ? »

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Lorsqu'elle a franchi la ligne d'arrivée trois heures et 21 minutes plus tard, Gibb, qui avait alors 23 ans, est devenue la première femme à avoir couru le prestigieux marathon de Boston.

Cette année, l'épreuve mythique a célébré le cinquantième anniversaire de l'exploit avec plus de 14 000 femmes inscrites : la majorité d'entre elles n'aurait jamais imaginé que pendant très longtemps il était interdit aux filles de courir le plus vieux marathon du monde.

« J'ai concouru dans un sport professionnel pendant vingt ans et je n'ai connu que l'égalité, remarque Deena Kastor, athlète olympique et recordwoman américaine du marathon. Je suis éternellement reconnaissante du courage dont a fait preuve Roberta qui a fait un pas vers l'inconnu dans le but de poursuivre son rêve. C'est une super-héroïne, une pionnière et une leader de notre sport ».

A l'heure actuelle personne n'envisagerait la possibilité d'exclure la moitié de l'humanité d'une course. Photo Brian Fluharty, USA TODAY Sports

Dans les années soixante, la situation était très différente. Les femmes ne couraient pas en publique et, le cas échéant, le faisaient que sur des distances courtes. En 1966, la course de femmes la plus longue autorisée par l'Amateur Athletic Union (AAU) était de deux kilomètres et demi. Aux Jeux olympiques, le seuil pour les femmes était encore plus bas : 800 mètres.

Mais Gibb aimait courir. Quand elle était petite elle partait souvent faire du jogging dans la forêt proche de la maison de ses parents à Boston. À l'école elle étudiait les mathématiques, la physique et la chimie ; quand elle courait elle pensait aux atomes et aux molécules.

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Dans les bois, Bobbi se sentait liée à la nature et courait à grandes foulées, libérée de la pression sociale et des stéréotypes. Pour Gibb, courir c'était la vie, un voyage spirituel de l'esprit et du corps.

More than 14,000 women will run the @bostonmarathon tomorrow. In 1966 there was 1. Thank you Bobbi Gibb #thanksbobbi pic.twitter.com/tZnHcN3Snd
— Boston Marathon (@bostonmarathon) April 17, 2016

Bobbi n'y connaissait rien aux sports ni aux courses, mais en 1964 elle a assisté au marathon de Boston avec son père. « Je n'ai pas réfléchi si c'était des hommes ou des femmes. Je suis tombée amoureuse du marathon, j'ai su que c'était ma destinée. Je n'en ai jamais douté bien que ce fût terriblement mal vu par la société », se rappelle-t-elle..

Une blessure l'a empêchée de s'incruster dans le marathon de 1965, mais l'année suivante elle avait pu s'entraîner et elle se sentait prête à réaliser son rêve et a donc écrit une lettre à l'Association Athlétique de Boston (BAA), organisatrice de la course, pour solliciter une inscription officielle.

Son enthousiasme s'est rapidement transformé en frustration lorsqu'elle a reçu une réponse négative. « Les femmes sont physiologiquement incapables de courir un marathon et il leur est interdit de participer à un marathon pour hommes », précisait la lettre.

50 years ago, Bobbi Gibb became the first female #BostonMarathon runner. (Photo via @BAA) pic.twitter.com/MDanfx102J
— NBCSN (@NBCSN) April 18, 2016

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Gibb était furieuse. Cela faisait des années qu'elle s'entraînait et elle savait qu'elle était parfaitement capable de couvrir cette distance. Le marathon s'est alors converti en une opportunité unique de faire passer un message en démontrant que les préjugés était totalement infondés.

« Mon espoir était, si je pouvais courir la course et en plus la réussir, de pouvoir changer la façon de penser des gens par rapport aux femmes et de détruire une bonne fois pour toutes les stéréotypes, explique Gibb. De cette manière, une question plus importante pourrait se poser : De quoi d'autre les femmes sont-elles aussi capables ? ».

Aux états-Unis, le 19e amendement avait garanti aux femmes le droit de vote en 1919, mais peu d'autres choses avaient évolué quant au rapport entre les genres au printemps de 1966. C'est cette même année que la National Organization for Women a été fondée dans le but de lutter en faveur de l'égalité complète entre les hommes et les femmes.

Les femmes étaient encore considérées comme « faibles, stupides et inconséquentes », selon Gibb. Si elles travaillaient, la majorité étaient secrétaires ou femmes au foyer. Lorsque Gibb a passé un entretien pour intégrer une école de médecine, on lui a répondu qu'elle était trop jolie et qu'elle serait une distraction pour les garçons.

À l'époque, on attendait des femmes qu'elles se marient et qu'elles aient des enfants…et c'est tout. On n'attendait certainement pas d'elles qu'elles courent des marathons. Quoi qu'il en soit, tout en sachant qu'elle ne serait pas la bienvenue, Gibb était bien décidée à participer.

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Son père était contrarié contre son plan de participer à l'événement ; il pensait qu'elle délirait et qu'elle pouvait se blesser. Sa mère, en revanche, lui a préparé un rôti pour le dîner et s'est proposée de l'emmener près de la ligne de départ le lendemain.

« J'ai dit à ma mère que j'allais aider à libérer les femmes, raconte Gibb. Cette phrase l'a particulièrement remuée parce que c'était une femme belle, intelligente et talentueuse qui n'a jamais pu atteindre son plein potentiel. »

Gibb ne savait pas à quoi s'attendre ce jour-là lorsqu'elle s'est jointe à plus de 500 hommes qui couraient le marathon, mais elle s'est rapidement rendu compte que ceux qui couraient à côté d'elle étaient accueillants et qu'ils l'encourageaient.

« Je plaisante toujours sur le fait que j'étais un garçon maigre et un peu geek qui ne pouvait même pas obtenir un rendez-vous : mais bien sûr que les hommes voulaient des femmes dans la course, raconte Ambrose Amby Burfoot, vainqueur du marathon de Boston en 1968 et auteur de First Ladies of Running. Nous, les coureurs, étions une minorité dans le sport. Tout ce qui pouvait aider à la croissance de notre sport, et à faire en sorte que nous ayons moins l'air de "bêtes de foires", était le bienvenu ».

La chaleur envahissant tous les coureurs, Gibb luttait pour ne pas enlever son haut et révéler son corps de femme. Les hommes qui l'accompagnaient l'ont encouragée à le faire en l'assurant qu'ils la protégeraient de n'importe quel problème.

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Près de la ligne d'arrivée de la rue Boylston, la douleur s'est rajoutée à l'équation : c'était la première fois qu'elle courait autant avec des chaussures de sport – qui en plus étaient neuves – sur l'asphalte, puisqu'elle s'entraînait sur des chemins de forêt.

Aujourd'hui, c'est tout à fait normal de voir des femmes courir avec des hommes, ce qui n'était pas le cas avant. Image vía Flickr

« Je savais que je devais terminer, se rappelle Gibb. J'avais une très grande responsabilité. J'étais venu démontrer que les femmes pouvaient courir, mais si je n'arrivais pas à terminer, je retardais le changement d'encore cinquante ans. » À ce moment-là tout le monde savait qu'il y avait une femme dans la course et toute la presse l'attendait sur la ligne d'arrivée.

Après avoir couru une grande partie de l'épreuve pour parvenir à passer en dessous de la barre des trois heures, les derniers kilomètres se sont transformés en une véritable torture. Quand elle a aperçu la ligne d'arrivée, elle courait sur la pointe des pieds, les pieds en sang : une foule l'attendait.

« C'était exactement ce que je voulais », explique Bobbi, qui a terminé devant les deux tiers des compétiteurs.

Le lendemain, le Boston Globe a titré sa deuxième page : « Une fille termine le marathon ». La prestation de Gibb a fait le tour des médias nationaux, mais elle a été traitée plus comme un fait divers que comme un résultat sérieux.

Un photographe qui a visité la maison de son père lui a demandé qu'elle mette une robe. « Pour les gens, cela a été difficile de juxtaposer le stéréotype de la femme qui fait la cuisine avec l'image d'une femme qui concoure avec force et liberté. Ils n'en croyaient pas leurs yeux. »

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Amazing female boston marathon winner Atsede Bayasa gives her trophy to Bobbi Gibb #wbz pic.twitter.com/eit5o34l5m
— Paul Burton (@PaulWBZ) April 19, 2016

« Boston n'était pas prêt à voir une femme au foyer blonde sortir des buissons pour écraser l'ego masculin », publiait le Sports Illustrated du 2 mai 1966.
« Sa performance devrait aider à éliminer l'idée dépassée selon laquelle une femme est trop fragile pour les courses de longues distances », écrivait le journaliste Gwilym S. Brown.

L'organisation a choisi de nier l'évidence. « Gibb a simplement pris le même itinéraire que la course officielle pendant que celle-ci était en cours, mais aucune fille n'a jamais couru le marathon de Boston », déclarait à l'époque le directeur de l'épreuve, Will Cloney.

Gibb ne s'est pas découragée et a continué à prendre part au rendez-vous les années suivantes : en 1967 elle été rejointe par Katherine Switzer, qui a été la plus maligne et a réussi à s'inscrire officiellement en utilisant uniquement l'initiale de son prénom pour tromper les organisateurs.

Pendant l'épreuve, un juge de course nommé Jock Semple a essayé de lui arracher son dossard et un photographe a immortalisé le moment, qui est devenu une icône éternelle de la lutte pour les droits de la femme.

On considère souvent Switzer comme la première femme ayant pris part à un marathon, étant donné qu'officiellement elle a été la première inscrite. L'honneur, cependant, revient en réalité à Roberta Bobbi Gibb. Depuis son apparition en 1966, la course à pied s'est libérée progressivement des préjugés et a fini par devenir l'un des sports les plus ouverts de la planète.

Aujourd'hui, l'équilibre hommes femmes au marathon est presque absolu…et tout ça grâce à une femme courageuse qui a décidé de se cacher derrière un buisson.