Même si c'était possible, College ne retournerait pas vivre dans les années 80

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Même si c'était possible, College ne retournerait pas vivre dans les années 80

David Grellier nous a parlé de son enfance à Nantes, de sa découverte de la techno, de ses voyages aux USA et de ses dix dernières années passées à oeuvrer pour la synth-wave française.

Photo - La première formation de College en 1987

Cette ère d'inconsciente insouciance (les eighties), David Grellier n'a pas attendu de bouffer des memberberries pour la triturer sous tous les angles. Fondateur du collectif et label nantais Valerie en 2007, auteur de l'album Secret Diary en 2008 (et aussi moitié de Sexy Sushi, mais ça c'est une autre histoire), c'est sous l'universel pseudonyme de College que David sévit depuis. En fin d'année dernière, il a sorti son 4ème long-format, Old Tapes, après Northern Council (2011) et Heritage (2013), une compilation de démos inédites qui nous a servi de prétexte pour le skyper. Après dix ans où il a consacré sa vie à la petite musique de chambre d'ado (imaginez Emilio Estevez, bercé du minimalisme mélancolique émanant de son walkman, la main posée sur son hamburger-phone, attendant désespérément un coup de fil de Molly Ringwald, c'est bon, vous y êtes), on a voulu poser quelques questions à David (qui s'apprête à sortir un nouveau projet ayant pour thème la Chine du début du XXème siècle, parfaitement !) sur ses différentes obsessions : les 80's, l'Amérique, la techno et… l'Urbex.

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Noisey : D'où viens-tu David Grellier ?
College : Je suis né à Nantes, en 79. J'ai grandi à côté, dans un lotissement, pas très loin du centre. C'était une ville montée autour d'un lotissement, y'avait tout, l'école, les commerces, etc… C'était comme une communauté, 700 maisons qui étaient toutes les mêmes. Ca s'appelle Gesvrine pour ceux qui veulent faire des recherches ! C'était un peu un modèle de ville, avec des terrains vagues, des jeux pour les enfants, et ça ressemblait pas mal aux banlieues américaines en fait, y'a pas mal d'exemples comme ça je pense dans la France du début des années 80…

Façon Over the Edge
Ouais, voilà, un peu. Je me souviens que j'allais chez des copains, ils avaient la même maison que moi, c'était sympa, moi j'étais content de grandir dans un lotissement, c'était un milieu assez populaire hein, puis après je suis allé au collège juste à côté, à La Chapelle/Erdre. J'ai suivi les potes que je m'étais fait sur Gesvrine. Je garde de très bons souvenirs de la première partie de mon enfance, c'était vraiment bien. C'est d'ailleurs pour ça que mon projet s'appelle College, parce que ça fait référence à ces années-là. C'est aussi une époque où je regardais beaucoup la télé, je pense que c'était une sorte de mélange dans notre tête d'enfant, ce qu'on voyait des suburbs à la télé, ressemblait à notre quotidien en France, ça a laissé pas mal de traces sur ma manière de faire des choses assez nostalgiques avec College et très inspirées par la pop culture américaine…

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Justement, c'est une culture à laquelle tu avais déjà accès dans les 80's ?
Ouais, il y avait quand même TF1 qui passait beaucoup de séries, des vieux trucs, Chips, Starsky & Hutch, puis y'a eu la 5, qui diffusait encore plus de séries, Tonnerre mécanique, etc… J'étais un enfant qui regardait beaucoup la télé, peut-être un peu trop. C'était nouveau à l'époque, comme aujourd'hui avec Internet, j'ai absorbé pas mal de séries, de dessins animés et tout, les références que j'ai aujourd'hui, elles viennent de là.

T'écoutais quoi au collège ?
Mes goûts ont commencé à se définir vers 11/12 ans je dirais, avant j'écoutais ce qu'écoutait mon grand-frère. Je me souviens qu'il écoutait une radio qui s'appelait Maximum et qui passait beaucoup de house, ça devait être vers 86/87, vraiment la grosse période house puis techno ensuite, mon frère cherchait toujours à écouter des choses nouvelles, il allait dans les premières raves… Donc j'ai écouté de la musique électronique assez vite, très peu de musique acoustique en fait. J'ai pas eu de culture rock, quoi. J'ai suivi cette émergence de la techno en pointillé durant mon adolescence avant de redécouvrir ça en 95/96 à peu près. Puis il y a eu le premier album de Daft Punk évidemment, qui arrivait en même temps que plein d'autres

À quel moment tu t'es dit que tu pouvais aussi en faire ?
C'est venu assez tard puisque je n'ai jamais étudié la musique, j'étais plutôt nul d'ailleurs ! La manière dont la musique était présentée, ça ne me plaisait pas du tout… Par contre, en parallèle à tout ça, il y avait l'émergence des premiers PC sur lesquels on pouvait faire de la musique chez soi. J'avais des potes assez geeks qui avaient eu des Amstrad et tout, et j'me rappelle que mon meilleur pote, qui fait toujours de la musique sous le pseudo Forgotten Illusion (il sort des trucs sur Borello A Parigi en ce moment), c'est lui qui m'avait prêté son PC pendant les vacances et c'est comme ça que j'ai découverts les logiciels gratuits pour faire du son. Y'avait Rubber Duck, Reverse… Y'avait Cubase aussi, mais j'ai jamais pu faire quoi que ce soit avec… [Rires] C'était trop compliqué. J'étais fasciné en fait, parce que sans apprendre les notes on pouvait quand même faire des choses. Après je m'en suis acheté un, puis j'ai commencé à faire des choses très techno, j'écoutais beaucoup Underground Resistance, des trucs pas très joyeux d'ailleurs, c'était l'adolescence, ça allait pas trop ! J'écoutais beaucoup de hard techno anglaise, allemande aussi, des trucs durs, Jeff Mills, Fumiya Tanaka, des choses très rapides. Quand je réécoute ça aujourd'hui, je pourrais toujours aller les voir mixer hein, mais c'est sûr que ça correspond à une certaine jeunesse quoi… J'ai des disques qui sont d'une violence extrême.

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Ca se passait comment niveau rave et free party à Nantes ?
Il y avait pas mal de collectifs qui organisaient des trucs, mais plus des soirées électro, y'avait la Guy L'Eclair notamment qui était un événement techno tous les ans, puis y'a eu Scopitone assez vite, qui était assez marqué électro au départ et puis tout ça a muté. Les free parties sont arrivées après, j'ai jamais trop été là-dedans, j'aimais pas le son en fait, je trouvais ça trop violent, j'étais plus branché par des lives électro, Dave Clarke, Vitalic à ses débuts quand il s'appelait Dima, on faisait des heures de bagnole pour aller voir des mecs dont on était fans en Belgique.

Pour revenir à ton cursus scolaire, tu as continué après le collège/lycée ?
Alors moi je voulais faire du dessin, mais j'ai été réorienté dans une filiaire de comptable.

Ok !
[Rires] Mais ça m'a servi, j'ai fait un BTS assistant de gestion, j'ai bossé pendant 7 ans en intérim, et en parallèle de ça, j'avais du temps pour faire de la musique. J'ai jamais suivi de filière artistique, quoi.

Quel truc des 80's te manque le plus ?
Mmm… En fait, j'ai jamais placé ça sur un piédestal. Le regard que je porte sur ces années-là, qui m'ont plu pendant mon enfance, c'est une sorte de fascination en effet, et y 'a toujours un peu de mélancolie là-dedans, mais pourquoi se fixer sur une variable comme ça ? C'est réconfortant sûrement, on est dans une époque où tout va plus vite, tout se mélange, etc. Et c'est générationnel aussi, j'y vois des similarités avec ce qu'on appelle la génération Fight Club, on n'a pas connu de grandes crises, on veut juste pas grandir et… c'est horrible en fait ! [Rires] Je porte un regard assez lucide depuis le début là-dessus… J'aimerais bien faire de la techno, des trucs plus modernes disons, mais c'est pour l'instant ça qui m'a intéressé. J'ai toujours cette insouciance relative aux années 80, l'idée que tout était possible, qu'on pouvait polluer allègrement… Et aujourd'hui, on récolte tout ce qui s'est passé dans cette décennie, et musicalement aussi, il y avait des choses très bien, d'autres beaucoup moins bien… Je ne dirais jamais « je voudrais retourner vivre dans les années 80 »…

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Photo via

Ca te fait quoi de voir qu'on triture ton jouet dans tous les sens, avec cette vague synth-wave qui déferle sur Bandcamp depuis quelques années ?
C'est assez étonnant en fait. J'pense que c'est arrivé après Drive, cette espèce de « wave »… Après on a posé un nom sur quelque chose qui existait déjà, ce qu'on faisait déjà au début avec Valerie. Aujourd'hui, ce que parfois je trouve dommage,  c'est qu'on a toujours aimé partagé nos références, des scans de magazines, y'avait du travail de recherches, et là, sur beaucoup de trucs, t'as un jpg de Delorean, un 85 à la fin du nom et ça fait un projet… [Rires]  J'aime pas trop critiquer ça non plus parce que si on creuse, il y a des choses intéressantes, y'a des mecs qui sont doués, mais parfois c'est vrai que ça vire à l'overdose. Je pense que c'est un problème général, aujourd'hui il y a tellement de moyens de présenter sa musique, qu'il y a beaucoup de projets, qui sortent tout le temps.

Tu penses qu'un jour tu vomiras les 80's comme Randy March vomit les memberberries dans la dernière saison de South Park ?
Alors j'entends beaucoup parler de cet épisode mais je ne l'ai pas encore vu… Je sais pas si je vomirai tout ça, ça fait partie d'un parcours, je ne regrette pas les choses, y'a des fois où je me suis planté, c'était pas forcément bien, mais bon, on avance avec nos erreurs. J'pense pas qu'un jour je renierai tout en disant « c'était vraiment de la daube ».

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Si tu pouvais réhabiliter un artiste des années 80, qui n'est pas Indochine, tu choisirais qui ?
Ah, l'autre jour je réécoutais un morceau de Jil Caplan, « Natalie Wood », y'a un clip aussi, et je l'ai trouvé vraiment pas mal. Mais en ce moment, y'a un retour du chant en français, avec une prod un peu 80, je trouve ça cool, Fishbach notamment, son disque est vraiment bien, Cléa Vincent aussi, mais un peu moins. Y'a des trucs intéressants en tous cas.

C'est l'après Education Française
Ouais, je trouvais qu'à cette période, ça singeait trop la pop anglaise, voire même australienne, alors que là ils chantent pas forcément très justes, mais la prod est sincère, ils essaient pas de copier, et puis ils chantent moins haut aussi, à un moment je comprenais pas quoi… Ces mecs qui chantaient avec des voix beaucoup trop hautes, en anglais en plus…

T'as déjà vécu aux Etats-Unis ?
Non, j'y suis déjà allé plusieurs fois, puisque j'ai eu la chance de faire trois tournées là-bas, mais je ne sais pas si j'aurais envie d'y vivre ! [Rires] C'est un pays qui me fascine, comme les années 80, j'aime y aller, j'ai des amis là-bas mais c'est particulier. J'ai eu la chance de beaucoup voyager et je réalise que j'aime la France, pour plein de raisons. Les gens se rendent pas forcément trop compte qu'on a beaucoup de chances, en fait… Après, c'est dans notre culture, on est un pays de râleurs, et je trouve ça bien aussi, qu'on soit pas tous d'accord. C'est bien de se rendre compte qu'il y a des choses qui fonctionnent bien dans notre pays, même si tout n'est pas rose.

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Ces tournées aux USA, elles ont découlé de ta présence dans la B.O. de Drive j'imagine ?
Alors la première a eu lieu autour de Valerie, on y avait été avec Anoraak notamment, et puis après effectivement, la deuxième était en 2012, avec Electric Youth, et la troisième c'était pour la promo de mon EP Save the Day il y a deux ans. On a vraiment fait le tour, la plupart des grandes villes, y'a que Las Vegas que j'ai jamais fait.

Ce coup de pouce de Nicolas Winding Refn, il a eu un vrai impact sur la trajectoire de College ?
Déjà ça m'a permis de continuer à faire de la musique parce que j'étais arrivé à un peu au bout, en 2011, j'aurais continuer je pense, hein… Mais moi j'suis indépendant, j'ai mon propre label, et au bout d'un moment, il faut vendre des disques pour continuer à en faire, et pour continuer à faire des concerts, être intermittent, et ça m'a en effet permis de continuer jusqu'à aujourd'hui à faire que ce que je veux, c'est une chance énorme.

Tu peux me parler de ton dernier clip, « Autopilot » ?
Il a été réalisé par Dan Bell, un réalisateur, qui fait des vidéos sur Youtube depuis des années, fasciné par les endroits abandonnés, on regroupe ça sous l'appellation « Urbex ». Il est assez connu mais je l'ai découvert tardivement, l'année dernière je crois, notamment pour son travail sur les malls américains et les galeries commerciales à l'abandon… Et c'est vraiment global, parce que tous les hypermarchés américains, Sears, Macy's, JC Penney, ce sont des chaînes qui marchent plus du tout, avec le commerce en ligne et Amazon notamment, les gens ont changé leur manière d'aller dans les centres commerciaux, ce qui fait que tous ces lieux là meurent… Et je trouvais ça intéressant de le contacter parce que ça fait aussi écho à ce que je fais en musique. Je fais référence à ces années où ça allait bien et aujourd'hui, je porte un regard un peu triste là-dessus. Le morceau « Autopilot » est un peu mélancolique aussi, c'est glauque mais en même c'est beau ! J'aime bien les endroits abandonnés, mais sur Internet il n'y en a pas beaucoup qui son aussi doués que Dan Bell, même si là c'est tourné en caméra cachée et que les angles sont pas évidents à prendre… C'est quelqu'un qui a une vraie photographie, et il a accepté de remonter d'anciennes images pour le clip. Il documente ce qu'il fait en plus, parfois il met des extraits de JT d'époque quand les galeries ont été ouvertes, il fait des recherches, il raconte comment ça s'est cassé la figure, les histoires de gang, c'est hyper mégalo tous ces projets-là…

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Vous avez un projet de création originale ensemble ?
J'aimerais bien ouais, je trouve que c'est quelqu'un qui a un talent de metteur en scène, il devrait réaliser des choses plus importantes, mais c'est aussi quelqu'un qui est dans l'air du temps, très présent sur Youtube il a beaucoup de followers, il maitrise très bien les réseaux sociaux, j'crois qu'il m'avait dit qu'il avait été contacté par des chaînes de télé pour faire des programmes. Aujourd'hui, les chaînes de télé essaient d'aspirer les gens comme ça, qui font des choses sur Internet, pour leur filer des idées un peu novatrices. Moi je le considère un peu comme un Indiana Jones des temps modernes, un type qui va visiter des lieux en ruines, et ça fait aussi partie de notre culture.

Tu as de nouveaux projets dans ce sens-là, ou d'autres, avec College ?
Là j'ai un nouvel album qui va sortir fin avril, sur le label anglais Invada Records. Ca va s'appeler Shanghai, c'est un album qui est inspiré par la ville de Shanghai et aussi par une période bien précise de cette ville-là, la guerre de l'opium au début du siècle…

Tu vas bousculer tes fans là !
Carrément ! C'est un projet très compliqué, mais j'avais déjà fait Northern Council, inspiré par la Guerre froide, qui était sorti au moment de Drive, et les gens n'avaient pas forcément imprimé l'info… Ce sera un disque ambient de 14 morceaux, sans batterie, et j'ai bossé sur un clip avec un réal qui avait déjà réalisé « Les Automates » pour moi, et là il a fait un superbe clip, je peux pas trop en parler encore… Tout ça sortira fin avril, après j'espère tourner un peu, sinon j'ai pas trop de vues…

Quoi, les producteurs de Stranger Things t'ont pas encore appelé ?
[Rires] Nan nan, mais je connais les mecs qui ont fait la B.O., c'est marrant, on avait parlé de leur musique sur Valerie en 2008 ou 2009, et de voir qu'ils ont été jusque là, c'est cool, c'est bien ! Ca prouve que des inconnus sont capables de faire des choses.

College est en tournée dans toute l'Europe (les dates sont ici). Son dernier disque, Old Tapes, est toujours dispo via Valerie.

Rod Glacial retournerait sans problème en 1983. Il est sur Twitter.