Le mystère Actress reste entier

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Le mystère Actress reste entier

Toujours aussi énigmatique et insaisissable, le producteur londonien nous parle d'urbanisme, de Vanilla Ice et du fabuleux « AZD », son disque le plus réussi et ambitieux à ce jour.

Bric-à-brac foireux ou fulgurance géniale, les avis divergent au sujet d'Actress et de sa discographie. Une chose est sûre, l'Anglais mérite le respect. Déjà, parce qu'il parvient systématiquement à intriguer et à bousculer les vieilles habitudes d'écoute avec des albums qui se fichent de savoir s'ils doivent sonner techno, hip-hop, expérimental ou dance. Ensuite, parce que le mec est à la tête de Werkdiscs depuis 2004 et que ça lui a permis de mettre en avant les premiers travaux d'Helena Hauff, Moiré ou encore Zomby. Enfin, parce que son dernier album, AZD, potentiellement son plus réussi, ne peut qu'inciter les plus réfractaires - c'est-à-dire ceux qui ne l'écoutent pas, ou seulement d'une oreille distraite - à privilégier désormais la deuxième hypothèse évoquée. Car oui, la musique d'Actress est faite d'intentions inédites et d'idée mélodiques souvent bien plus efficaces et fascinantes que celles proposées par ses contemporains. Mais ça, l'Anglais s'en contrefiche : il n'a pas le temps d'écouter la concurrence.

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Noisey : Tu vis toujours du côté de Crystal Palace ?
Actress : Oui, je suis toujours dans le sud de Londres.

Et tu penses que AZD, ton nouvel album, est inspiré par cette partie de la capitale anglaise ?
Je pense que Ghettoville et Hazyville, mes précédents albums, l'étaient nettement plus. C'étaient presque des expériences sociologiques, des réactions aux différentes évolutions de la ville, ainsi qu'à la situation de la classe ouvrière dans les Midlands. AZD, pour le coup, est nettement plus centré sur ce que je peux voir au jour le jour. Il a été entièrement composé dans mon studio et, ce qu'il faut savoir, c'est que mon local donne une vision presque panoramique de la ville. Ça me permet donc d'avoir une vue d'ensemble sur ses différents quartiers et sur le paysage urbain.

Dans ce cas, comment tu juges l'évolution de Londres depuis quelques années ?
C'est difficile pour moi de juger, d'autant que je n'ai pas toujours vécu ici. Mais ce qui est sûr, c'est que de là où j'ai composé l'album, j'avais l'impression d'assister à quelque chose de futuriste, avec tous ces grands bâtiments en train d'être construits. Ça pousse de partout et ça donne un paysage finalement très métallique.

Le communiqué de presse compare AZD à une « vitamine musicale de la métropole ». C'est juste un gimmick marketing ou ça veut dire quelque chose ?
Toutes mes chansons ont toujours été composées à partir de mes souvenirs et AZD a été réalisé de la même façon. Ce que je veux dire par là, c'est que, dans mes souvenirs, Londres me paraissait moins gentifrié, il y avait nettement plus de zones pour s'exprimer, de lieux undergrounds, etc. C'est donc une façon, un peu autobiographique je l'avoue, de dire que mes morceaux cherchent à renouer avec cette vision de Londres, qu'ils sont un moyen, pour tout le monde j'espère, d'apprécier au mieux leur expérience au sein des métropoles.

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Le même communiqué décrit AZD comme la conclusion de la persona d'Actress. Tu penses être à un tournant de ta carrière ?
Pour être honnête, je ne réfléchis pas vraiment en terme de carrière. Quand j'ai commencé la musique, c'était surtout pour satisfaire mes envies et me convaincre que je pouvais m'approprier différentes technologies pour composer mes propres morceaux. Ça m'a toujours fasciné et c'est encore le cas aujourd'hui. J'avance ainsi, sans me soucier d'une certaine cohérence ou non. Là, c'est mon cinquième album, et je pense qu'il vient conclure quelque chose que j'ai entamé avec Hazyville en 2008, quelque chose de narratif et de très immersif. Que ce soit Ghettoville, Hazyville, R.I.P, ou AZD, tous reflètent, je pense, le personnage que je me suis inventé en tant qu'Actress, celui d'un homme qui marche au milieu de différents paysages désolés, morts, peuplés d'ouvriers et d'accrocs aux cracks. À présent, les technologies évoluent et j'ai l'impression d'être arrivé à un stade où j'ai besoin de proposer une nouvelle version de ce personnage.

En terme de composition, tu as du mal à t'arrêter lorsque tu composes un album ? À partir de quand tu arrives à te dire : « Ok, j'ai suffisamment de sons, c'est fini, voici mon disque ! » ?
Le truc, c'est que je bosse constamment et que je ne me retrouve jamais dans cette situation. Ce qui est sûr, c'est que je ne force pas les choses et que je ne me dis pas : « tiens, là il faut que je compose un morceau pour tel ou tel projet ». Je vis ma vie, j'enchaine les expériences et j'essaye de créer le projet le plus cohérent possible une fois les morceaux composés. Chaque album correspond à une période d'écriture spécifique et à un état d'esprit qui était le mien pendant quelques mois ou quelques semaines.

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Dans ce cas, qu'est-ce qui a été le plus difficile à réaliser durant la conception d'AZD ?Disons qu'il a été assez long à produire… Je me suis procuré de nouveaux logiciels et il m'a fallu du temps pour les maitriser. Ça n'a pas toujours été facile, j'ai passé beaucoup de temps à me renseigner et à lire différents modes d'emploi, mais je pense que ça m'a permis de faire évoluer mon son. Ça et le fait d'avoir utilisé de vieilles technologies également, des instruments qui m'ont permis de me rapprocher parfois du son qu'avaient des groupes comme Depeche Mode et Pet Shop Boys. Ça pourrait paraître étrange, dans le sens où je me considère comme un musicien très porté sur la modernité, mais ces instruments me fascinent énormément, ils me semblent tellement actuels.

Au-delà de la musique, j'ai l'impression que c'est également très important pour toi d'être indépendant…
Non, c'est juste que c'est ma manière d'approcher la musique. Je ne vois pas la musique comme un secteur avec des chapelles et des individualités, je la vois comme un tout, avec plein de styles à l'intérieur pouvant être mélangés et confrontés. Quand j'ai commencé, ça me paraissait important de faire la musique qui représentait au mieux ma personnalité, sans me soucier des genres. Peut-être que les gens n'entendent pas toutes mes influences en écoutant mes morceaux, mais j'essaye de faire au mieux pour qu'ils puissent s'imaginer qui je suis, ce que j'essaye de véhiculer et ce que j'aime. L'important, c'est ça pour moi. Pas d'être indépendant ou non. Si j'avais la possibilité de faire ma musique sur des labels plus gros, je ne serais pas forcément opposé à l'idée.

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C'est n'est pas trop difficile d'être à la marge de l'industrie musicale ?
Forcément, il faut accepter l'idée d'être moins exposé et de vendre moins de disques, mais je n'ai aucun problème avec cette démarche. D'ailleurs, dans mon cas, je ne pense pas que ce soit si difficile, c'est juste un choix de vie. Ça ne m'a jamais empêché de tourner, même si certains tourneurs et programmateurs ne savent toujours pas comment me classer… Certains me considèrent comme un artiste techno, d'autres comme un mec venu du hip-hop ou de la musique expérimentale… Mais ça me va très bien. J'aime profondément toutes ces musiques, et le fait d'être rattaché à tous ces genres musicaux me permet de tourner dans plusieurs endroits différents.

Tu penses que tu aurais pu vivre la vie d'un DJ si les choses s'étaient passées différemment pour toi ?
Pour tout dire, je pense l'avoir vécu ces dix dernières années. Même si ce n'était certainement pas de la même façon que des tas d'autres DJ's bien plus populaires que moi, j'ai eu l'occasion de donner un sacré nombre de dates. Ma chance, ça été de le faire sans jamais être mal à l'aise, sans être lassé par les concerts. Je ne joue pas tous les week-ends et ça me va très bien, ça me permet d'avoir un équilibre de vie que j'apprécie. Je ne suis pas de ceux qui vont se lancer dans des sets de sept ou huit heures, ce n'est pas du tout pour moi. En plus, pour faire ce genre de set, il faut être hyper calé sur ce qu'il se crée actuellement, ce qui n'est pas trop mon cas.

Tu penses qu'il y a suffisamment de diversité dans les musiques électroniques aujourd'hui, ou alors que la house et la techno sont dominées par des artistes qui ont transformé ces genres musicaux en un marché hyper marketé ?
Déjà, le truc de la démarche marketing, ça concerne tous les courants musicaux aujourd'hui, personne n'y échappe. Ensuite, même si je n'écoute pas tout ce qui se crée, je préfère me réjouir de la créativité des artistes ces dernières années. N'importe qui peut faire de la musique aujourd'hui, tout est fait pour que ce soit plus accessible, moins cher, et c'est très bien comme ça. Je pense que ça incite à s'ouvrir perpétuellement à de nouveaux genres musicaux. Moi, par exemple, je n'écoute pas seulement des musiques électroniques, et pas seulement des musiques électro-acoustiques. Je suis ouvert à tout, tant qu'il y a une vraie démarche artistique derrière.

Tu te rappelles du premier album que tu as acheté ?
Le premier album, ça devait être Ice Ice Baby de Vanilla Ice, mais le premier disque underground devait être une production de Jeff Mills ou Robert Hood. Après ça, j'ai découvert Kevin Saunderson et je suis devenu complètement fou du son de Détroit. La marginalité de leur son me fascinait. Pareil quelques années plus tard : quand les Daft Punk, que j'ai vu en festival durant l'adolescence, ont émergé, ça été une énorme claque, mais j'étais encore plus à fond dans la house de Chicago ou Drexciya, un artiste très important pour moi. Ensuite, comme je te le disais, j'ai eu des périodes très orientées sur certains sons : comme la techno allemande avec des labels comme Mille Plateaux, la drum'n'bass ou des artistes américains comme Tony Humphries et Farley "Jackmaster" Funk.

Tout à l'heure, tu parlais de Depeche Mode et Pet Shop Boys. Aujourd'hui, si on te propose de produire une pop-star, tu choisis qui ?
Honnêtement, je serais prêt à travailler avec n'importe qui. Ça me plairait même beaucoup de réaliser le portrait sonore d'artistes de cet acabit. Après, je pense que Solange a malgré tout ma préférence ces derniers temps. Selon moi, elle vient de publier l'un des albums les plus importants de ces dernières années. AZD sort demain 14 avril sur Ninja Tune.