Il est temps de rendre justice à Jack Dangers, héros oublié de la musique électronique

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Il est temps de rendre justice à Jack Dangers, héros oublié de la musique électronique

Sous le nom de Meat Beat Manifesto, il a posé les bases du big beat et du dubstep, collaboré avec David Bowie et influencé les producteurs de « Matrix ». À l'occasion de la sortie de son nouvel album, on s'est entretenus un long moment avec lui.

Jack Dangers baigne depuis 30 ans dans une fusion indus, dub et hip hop bien à lui. En créant à la fin des années 80 sous le nom de Meat Beat Manifesto un univers et un son inédits, constitués de breaks, d'électronique et de psychédélisme parsemé de samples, il est devenu une figure incontournable de la scène musicale - une des plus sous-estimées, également. C'est sans doute ce qui explique que ce gallois de 52 ans qui vit aujourd'hui à San Francisco, qui a joué un rôle central dans l'explosion de genres tels que le big beat, le trip hop, le breakbeat et le dubstep et qui a collaboré avec David Bowie, Depeche Mode, Nine Inch Nails, The Orb, Public Enemy, David Byrne ou encore Aphex Twin sorte ces jours-ci son 10e album, Impossible Star -le premier depuis 8 ans- dans une scandaleuse discrétion. Soucieux de rendre justice à ce héros oublié de l'électronique, nous sommes allés passer un long moment avec lui, pour discuter d'incendies, de têtes qui explosent, de hip-hop anglais et de sa participation à la bande originale de Matrix. Noisey : En 2007, tu as sorti Archives 1982-88, tu es né en 1965, il semble donc que tu aies commencé à faire de la musique à 17 ans… Qu'est-ce qui t'a amené à faire de la musique ?
Jack Dangers : Je ne sais pas. Les seules choses pour lesquelles j'étais doué à l'école, c’était l'art et l'anglais et je ne jouais d'aucun instrument de musique quand j'étais gamin. Je n'étais pas issu d'une famille musicale mais mon frère était un peu plus âgé que moi, il avait 16 ans de plus que moi, et il s'intéressait à de la musique qui ne m'aurait probablement pas intéressé s'il avait eu le même âge que moi. J'ai donc entendu des choses comme Tangerine Dream et [Isao] Tomita, par exemple, au milieu des années 70. Puis j'ai découvert Kraftwerk et « Trans-Europe Express ». Je l'ai entendu à la radio. Il y avait un programme de radio BBC 1 où ils demandaient à des personnes célèbres de lister leurs chansons préférées et Phil Lynott de Thin Lizzy l’avait sélectionnée !

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C'est surprenant, venant de lui.
Ouais ! C'était vers 1979. C'était la première fois que j'y ai été introduit, et puis j'ai découvert des choses comme The Human League, Gary Numan, John Foxx, des gens comme ça. Et puis à ce moment-là, John Peel était sur Radio 1. Il nous faisait découvrir énormément de choses. C’est comme ça que je me suis ouvert à ces influences et que j’ai eu envie de faire de la musique. La première fois que je suis allé en studio, c’était en 1981, j'avais seulement 16 ans. Assez tôt finalement.

En 1986, tu as lancé le groupe Perennial Divide, et tu avais déjà l'air d'être branché ambiances répétitives et hypnotiques, ce qui est toujours ta marque de fabrique. Pourrais-tu décrire ce qui t'y attire ? Tu sembles te focaliser beaucoup là-dessus…
Je suppose que c'est l'influence manifeste de Tangerine Dream. Ils ont plus ou moins créé ce genre de choses séquencées envoyées dans une machine à écho que beaucoup de gens utilisent encore aujourd'hui et que Kraftwerk utilisait beaucoup. Ils ont utilisé le séquenceur Moog Modular et le Moog t'offrait ce son. Ils n'avaient pas de beats ou quoi que ce soit de tel, tout était synthétisé. Ils ont certainement eu une grande influence sur moi, Tangerine Dream, c'est sûr.

Puis, Meat Beat Manifesto commence. Comment tu as trouvé ce nom ?
Ça venait des paroles de « Strap Down » qui fut l'une des premières chansons que j'ai écrite en 1986, et il y a une phrase dedans où je dis « it's the meat of the beat », ça vient de là.

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Quelques singles sont sortis, puis il y a eu la compilation Storm The Studio, qui regroupe des versions différentes de titres comme « God O.D. » ou « Strap Down ». Tu as également enregistré un album qui a été perdu dans un incendie et que tu as ré-enregistré sous le titre Armed Audio Warfare. C'était son titre original ?
Eh bien, à l'origine, il devait s’appeller Storm The Studio, justement, mais une partie a été détruite dans l’incendie dans un appartement à Soho, donc j'ai dû retourner en studio pour le refaire. Sans cet incident, il serait sorti en 1988 et ça aurait été le premier album.

Ce disque de versions est assez représentatif de ce que vous faites en live, où les morceaux sont parfois complètement ré-arrangés. « God O.D. » par exemple, est très différent sur scène.
Proposer quelque chose de différent, c’était le but même de la scène pour moi. Nous avions beaucoup de visuels, de danseurs et de trucs qui faisaient que c’était une tout autre expérience. Storm The Studio regroupait des versions alternatives des maxis qui étaient déjà sortis à ce moment-là. 3 ou 4 versions de chaque chanson, toutes complètement différentes. Et le live était une extension de ça. Si tu en fais une nouvelle version, qu'est-ce qui fait que ça reste la même chanson ? Les paroles, la voix ? « God O.D. », si tu la mets sur un pad ambient, tant que les paroles y sont, c'est une version de "God O.D". [ Rires]

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Et puis tu as sorti le maxi Helter Skelter/Radio Babylon.
Ouais, au départ, c'était un remix de « Psyche-Out » de l’album 99 % , qui a fini par devenir un morceau à part entière. Ça regroupait un tas de chansons différentes de l’album, en vérité. Il y avait les éléments de 3 ou 4 morceaux et ça a fini par devenir autre chose. Dès le premier jour, j'ai réalisé que ça allait être une bonne chanson et j'ai abandonné l'idée du remix. Et « Radio Babylon » est une version de « Helter Skelter » que j’ai bidouillé durant les deux jours de studio qui me restaient.

Je pense que tu as trouvé un son breakbeat unique avec ces deux morceaux. Tu es souvent crédité pour être le pionnier de ce genre de breakbeat que l'on a pu retrouver par la suite chez les Chemical Brothers par exemple. As-tu eu le sentiment d'apporter quelque chose de nouveau quand tu as fait ces morceaux ou penses-tu que tu as toi-même creusé dans des choses qui étaient sorties avant ?

Ouais, j'ai été plus ou moins inspiré par le premier maxi de Depth Charge. En entendant ça… Tu peux le jouer à différentes vitesses. Il n'y a pas de samples vocaux qui le fassent sonner accéléré ou ralenti. Et je me rappelle avoir aimé ça. Bien que j'aie utilisé des samples vocaux sur « Helter Skelter » et « Radio Babylon », il n'a pas été conçu pour être joué à plusieurs vitesses mais je l'ai fait à un tempo plus rapide puis je l'ai multiplié par 2 en quelque sorte. Et puis il n'y avait pas encore la technologie pour faire des choses comme de la jungle ou de la drum'n'bass. Pour ça, il fallait un programme qui s'appelait Recycle.

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Oui, je m'en souviens.
Ouais, il est sorti en 1994. Nous avons expérimenté en coupant les beats en petits morceaux. Ça se faisait déjà en 1990 mais ce n'était pas aussi bien qu'avec ce programme, alors j'ai abandonné cette idée. Donc, la façon dont j'ai fait sonner ces rythmiques était juste en les envoyant à travers différentes machines et en découpant le beat autant que je le pouvais ! Je sais que les Chemical Brothers ont samplé une rythmique de « God O.D. (Part 1) », mais ce qu’on faisait était plus dur, plus compressé et distordu, notre inspiration, c’étaient des gens comme Adrian Sherwood, ce qu'il faisait avec tous les groupes avec lesquels il travaillait dans les années 80. Adrian Sherwood a toujours été une grande source d'inspiration pour moi.

On avance à Satyricon en 1992, un album très branché écologie, politique, philosophie. C'est le dernier album dans lequel tu rappes, enfin si on exclut le morceau « Solid Waste », sorti en 2008.
Exact.

Et pourtant, tu rappes encore en live ! Pourquoi as-tu arrêté à l'époque ? Parce que j'ai l'impression qu'en termes de hip-hop britannique, tu sembles être l'un des premiers rappeurs de l'époque ! [ le hip hop britannique prend forme en 1986. Meat Beat Manifesto rappe dès 1987 sur le single « Suck Hard »]
Ouais ! Je suppose que c'est vrai ! Moi et le gars de Stereo M.C.'s [ Rires] Il était assez précurseur pour un gars blanc maigrichon d'Angleterre essayant de rapper dans un style américain. Il n'y en avait pas beaucoup !

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Oui, mais ça fonctionnait. En revanche, quand Subliminal Sandwich est sorti en 1996, il n'y avait plus rien de tout ça, tu avais totalement abandonné le rap. Tu te rappelles pourquoi ?
Il y a du rap sur Subliminal Sandwich et même sur Actual Sounds + Voices, l’album suivant. Je le fais juste d'une manière différente. J'ai fait Storm The Studio en hurlant, en criant dans un micro, puis j'ai entendu Eric B & Rakim. Rakim avait toujours l'air décontracté, comme s'il était assis sur une chaise à faire son truc. Donc, je suis allé un peu plus loin, je me suis mis à utiliser le chuchotement. Ça n'a jamais vraiment été relevé, mais je l'ai toujours mis dans tout ce que j'ai fait. Une seconde, tu cries dans un microphone distordu et la suivante, tu chuchotes de sorte à ce qu'on puisse à peine t'entendre…

Donc, tu n'es pas vraiment sur le point de refaire des chansons pleinement rappées comme tu l'as fait dans « Solid Waste » par exemple ? Ça ne te branche plus du tout ?
Pas vraiment… J'aime le faire en live, mais tu sais, je l'ai fait il y a 30 ans. Je suis complètement dans l'optique d'avoir un son différent d'un album à l'autre. C'est ce que j'ai toujours essayé de faire. Tu ne peux pas continuer à répéter la même chose encore et encore. Ressasser sur Trump en ce moment, encore et encore, c'est tellement une cible facile qu'il est parfois préférable d'aborder ces choses sous un angle différent, et je l'ai fait en quelque sorte sur le nouvel album, sur le morceau « TMI » où je fais où je fais les voix dans un sorte de demi-chuchotement… Je ne rappe pas, je parle de ce qui se passe en ce moment, mais pas d'une manière complètement évidente. Je n'ai jamais fait ça non plus. Je n'ai jamais été complètement tape-à-l'œil. Quand j’ai envie de faire ressortir mon agression, ma colère, je vais plutôt aller vers un morceau de noise ou quelque chose du genre.

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Peu de temps après, tu as fait des remixes pour David Bowie [« You've Been Around » et « Pallas Athena » en 1993]. Tu as eu l'occasion de le rencontrer ?
Eh oui, en fait, ce qui est plutôt rare. De tous les remixes que j'ai faits, il y a seulement quelques personnes que j’ai eu l'occasion de rencontrer. Bowie travaillait avec Nile Rodgers de Chic qui était son producteur sur cet album, Black Tie, White Noise. Nile Rodgers a entendu Satyricon, il l'a aimé et l'a passé à David Bowie qui a contacté mon label de l'époque et a organisé une réunion à Londres. Je suis donc allé passer du temps avec lui toute une nuit. C'était super, Bowie était un de mes héros. J’ai eu la chance de rencontrer John Peel aussi. J’étais à Bruxelles et on est allés d'un bar à l'autre, à devenir de plus en plus saouls au fur et à mesure que la nuit avançait. [ Rires]

Tu as enregistré une Peel Session dans son studio ?
Oui, à Maida Vale, aux studios de la BBC. Avant que tout change et qu'il ne déménage chez lui.

Je suppose que c'est à peu près à l'époque où tu as déménagé à San Francisco ?
Oui, en 1993.

Pourquoi as-tu quitté Londres ?
En fait, je ne vivais pas à Londres à ce moment-là, je vivais dans une ville appelée Swindon qui se trouve dans l'ouest de l'Angleterre.

Oui, au Pays de Galles.
Oui, j'y avais vécu pendant 30 ans à ce moment, enfin, environ 28 ans. Je me suis juste dit que ce serait un bon changement.

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Et ça a été un changement radical pour toi.
Oh, ça oui !

Tu n'es jamais revenu.
Eh bien, je devais revenir ! [ Rires] Mais je suis toujours à San Francisco. Ça devait être temporaire. Mais j'ai trop de disques ! Je pourrais faire une maison avec tous les disques que j'ai, et, genre, vivre au milieu. Je suis piégé avec toutes mes possessions sacrées. Je devrais me débarrasser de tout et aller vivre sur une île dans le Pacifique. [ Rires]

Mais le reste du groupe, Meat Beat Manifesto, tel qu'il était à l'époque, s'est-il effondré à cause de ton déménagement aux États-Unis ou tu avais déjà des problèmes internes avec eux ? Comment ont-ils pris le fait que tu voulais déménager ?
Eh bien, j'ai toujours écrit la musique, donc, tu sais, où que je vive, ce serait la même chose. Si j'habitais en France, ça aurait été la même entité. C'est juste un travail avec différentes personnes en concert. Il y a eu quelques occasions où j’ai travaillé avec différents chanteurs, notamment sur Autoimmune [2008]. Mais oui, d'habitude, c'est moi tout seul qui écris tout et ensuite nous partons sur la route. L’endroit où je vis n’a aucune incidence là-dessus. Maintenant, on est juste deux. C'est juste moi et Ben Stokes. Donc il est beaucoup plus facile de tourner ces jours-ci qu'il y a 30 ans quand j'avais 15 danseurs et tout le barnum.

Meat Beat Manifesto sur scène en 1989, en version XXL, avec danseurs et mise en scène. Qu'est-ce qui t'a fait choisir San Francisco plutôt que New York ou Chicago qui étaient probablement plus branchées musique industrielle ?
N’importe quel endroit valait mieux que Swindon à ce moment-là. Londres aurait été plus pratique, mais je l'avais déjà fait. Je vivais à Londres dans les années 80. Et puis, je travaillais avec Consolidated et The Disposable Heroes Of Hiphoprisy à San Francisco et cela semblait être un bon endroit pour avoir une base. De plus, la scène musicale ici, tu sais, c'est comme à New York… Chicago, par contre c’est différent. Chicago est un endroit étrange. Il n'y avait pas de hip hop à Chicago dans les années 80, par exemple. Ou même dans les années 90. Il n'y avait pas de house ni de techno. Quant à l'industriel, ouais, il y a Wax Trax… Mais San Francisco est comme Londres ou Paris ou New York. Tout change très vite. J'aime bien ça, d'une certaine manière. Il n'y a que quelques endroits comme ça aux USA et San Francisco en fait partie.

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C'est là que tu as fait Subliminal Sandwich en 1996, justement. Comment se fait-il que le 2ème CD de cet album soit sorti en édition limitée seulement ? C’est dommage, il est vraiment incroyable !
C’était supposé être un double. Je l'ai fait et pensé comme un double et il est sorti en double vinyle, double CD. Mais en Europe, le label a préféré ne sortir qu'un seul CD. C'était complètement débile. Je continue à ce jour à me demander pourquoi ils ont fait ça parce que c'était juste stupide.

Puis Actual Sounds + Voices sort en 1998, tu reviens à des beats plus rapides et « Prime Audio Soup » finit sur la bande originale de Matrix. Quel impact a eu le succès du film sur Meat Beat Manifesto ?
À peu près aucun ! Quand on le jouait en live, le public ne réagissait pas particulièrement ! [ Rires] Je sais que pendant le tournage, ils ont utilisé 6 titres de Actual Sounds + Voices. Ils les passaient sur les haut-parleurs. Mais pour la B.O., les maisons de disques ont mis leur grain de sel, comme souvent. Elles ont fait pression pour caser d'autres groupes, etc. Au final, ils n’ont gardé que « Prime Audio Soup », et il n'y en a qu'un tout petit extrait dans le film. A vrai dire, on a même eu de la chance qu'ils gardent un titre ! [ Rires]

Mais cela n'a pas suscité d'intérêt pour le groupe ? Vous n'avez pas vendu plus de disques ?
Pas vraiment. Je crois qu'il y avait une publicité qui voulait utiliser ce titre parce qu’il était dans ce film, mais ça n’a pas fait circuler le nom du groupe. La meilleure chose qui soit arrivé à propos de « Prime Audio Soup », c'est que nous l'avons sorti en single et que Boards Of Canada en ont fait un remix. Il est génial. Le meilleur remix que j'ai jamais eu. Ils ont passé un temps fou à le faire.

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Puis, en 2002, RUOK? sort, et on sent qu’à partir de là, tu cherches à aller plus loin dans les explorations des grooves dub et que tu essaies d'atteindre un certain objectif, comme si tu essayais de trouver le beat parfait. « Looking For The Perfect Beat » ["À La Recherche Du Rythme Parfait"], comme le chantait Afrika Bambaataa.
Ouais ! [ Rires] Je suppose que c'est juste un retour aux racines. J'ai fait beaucoup de dub dans les premières années. Tu sais, il y a une chanson sur Subliminal Sandwich qui était sur un tempo dubstep, 70 BPM / 140 BPM. Ça a toujours été présent, dans tout ce que j'ai fait. Il y a toujours eu une basse dub. Je ne sais pas, c'est juste que j’essaye toujours de faire quelque chose que je n'ai pas entendu auparavant, et mes influences s'y faufilent toujours au final. Je serai donc toujours « À La Recherche Du Rythme Parfait ». [ Rires] Je cherche toujours ! Je ne l'ai toujours pas trouvé.

Tu as eu une utilisation intensive de samples de films au cours des années donc je suppose que cela indique que tu es un peu cinéphile…
Oui, mais un peu moins ces jours-ci ! Je l'ai été, en grandissant en Angleterre, à Swindon. Il n'y avait pas grand chose d'autre à faire que d'écouter John Peel et regarder des films…

Tu as déjà eu envie de composer pour des films ?
Non, pas vraiment.

Je suis surpris !
Ce serait un travail difficile.

Oui, mais ta musique a tous les éléments pour faire une bonne musique de film, surtout quand on voit ce que peuvent faire aujourd’hui Trent Reznor & Atticus Ross, par exemple
Ouais… J'essaierais de le faire pour moi-même si j'avais envie d'en faire un… Mais je fais beaucoup de vidéos ! Après, un film entier d'une heure et demie… Si tu veux faire un truc vraiment pro, tu dois être plus ou moins basé à L.A. pour le faire. Et je ne me vois pas faire ça et vivre là-bas. Et je pense juste que ce serait beaucoup de travail qui ne m’apporterait pas vraiment d'épanouissement, pour être honnête avec toi. Déjà, je ne pense pas que tu aies le contrôle à 100 % quand tu fais cela. Parce que bon, qu'est-ce qui va se passer si tu fais la musique et qu'ensuite ils décident de tout changer, en gros ? C'est comme de pointer, c’est comme un boulot… Et ce n’est pas la raison pour laquelle tu fais de la musique.

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Mais je pourrais totalement t'imaginer faire la bande-son pour quelque chose de très indépendant et peut-être expérimental sur lequel tu aies le contrôle…
Ouais. C'est marrant que tu dises ça ! Nous avons fait un concert à Los Angeles il y a quelques mois. C'est un peu cliché dit comme ça, mais, un type est venu me parler après le show et m'a dit qu'il faisait un film de science-fiction et qu’il voulait utiliser ma musique. Après, on en est au tout début du projet. Je ne sais pas comment ça va tourner. S'ils veulent juste ma musique telle quelle, ça ira, mais s'ils veulent que je travaille avec le Kronos Quartet, avec des arrangements de cordes et que je l'enregistre au Skywalker Ranch, ça ne va pas le faire.

Tu as été constamment prolifique au fil des ans, et pourtant, 7 années se sont écoulées depuis Answers Don't Come In Dreams, sorti en 2010. Qu'est-il arrivé ?
Les choses habituelles de la vie… J'ai dû déménager, ce qui m'a pris beaucoup de temps. Je travaillais dans un autre studio depuis 2 ans, et tout ce que j'y ai fait, j'ai dû le refaire parce que je n'aimais pas la façon dont ça sonnait. Je n’ai pas pu développer grand chose durant cette période. J'ai fait le Test EP. Je faisais The Forger. J'ai fait des vidéos pour ça. J'ai commencé à faire beaucoup de vidéos, ce qui m'a pris beaucoup de temps - celle de « Synthesizer Test » m’a pris une éternité. Et puis j'ai fait des albums non-stop pendant près de 25 ans. J’ai voulu ralentir un peu et faire un album qui, selon moi, est parfait. Après, parfait dans mon esprit ne veut pas dire qu'il est parfait pour tout le monde.

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Il est suffisamment bon en tout cas !
[ Rires] Mais j’aimerais faire un album imparfait. C’est juste que ça prend plus de temps que de faire un album parfait. [ Rires]

Comment compares-tu ton nouvel album, Impossible Star, aux précédents ? J'ai le sentiment que tu vas vers une musique de plus en plus minimale, à l'opposé, par exemple, de Actual Sounds + Voices, qui était assez chargé en production.
Je pense probablement qu'en fait, Actual Sound + Voices est un peu plus minimal que Impossible Star. Tu sais, c'était plutôt un dubstep genre dub dépouillé, alors que celui-ci est plutôt une sorte de retour aux années passées, au fond. Avec celui-ci, j'avais une bonne trentaine de morceaux à choisir et je n'ai jamais eu ce luxe auparavant. Cela rend les choses différentes, et certains des autres morceaux qui n'ont pas fini sur l'album, je les sortirai à un moment donné, j'en suis sûr. Mais, tu sais, cet album aurait pu être, genre, triple ou quadruple mais je voulais juste qu'il soit réduit à 12-13 pistes, y compris les morceaux sur bande plus abstraits, parce que j'utilise encore beaucoup de bande pour faire de la musique, sous forme de musique concrète, évidemment. Ils n'ont pas de rythmes parsemés de trucs dub, donc je suppose que ça peut sonner minimal aussi. Donc, c'est plus une question de techniques que tu utilises, et sur ce disque, j'utilise toutes celles que j'ai pu utiliser depuis 32 ans. C'est comme de vrais instruments, il y a de l'ambient, de la musique concrète, du noise, des morceaux avec plein de trucs qui se passent. [ Rires]

J’ai terminé cet album il y a 2 ans, mais il est toujours à l’ordre du jour, en quelque sorte. Un titre comme « TMI », au niveau des paroles, a encore plus de sens aujourd'hui qu'il y a deux ans. Comme lorsque nous jouions il y a deux ans avant que Trump soit président et que tout le monde pensait qu'Hillary Clinton allait gagner. J’avais une vidéo en direct de la tête de Trump en train d'exploser, comme dans Scanners. Tu connais le film, Scanners ?

Oui, absolument !
J'avais superposé la tête de Trump.

Tu avais déjà utilisé les visuels de Scanners dans tes précédents concerts.
Oui, c’est un de mes préférés. J'ai une énorme collection de têtes qui explosent. [ Rires] J’avais donc fait ça il y a 2 ans et cet album était censé sortir à ce moment-là. Mais il a été une fois de plus retardé par les rouages de l’industrie musicale…

Cela signifie-t-il que tu travailles déjà sur la suite ?
Oui, je suis dessus en ce moment même ! Je fais un remix de certains des morceaux de cet album et nous allons le sortir en maxi dans 2 mois, ou un mois, quelque chose comme ça. Ça prend beaucoup plus de temps quand tu fais du vinyle. Si tu le sors numériquement, tu peux le sortir le jour même. Mais avec le vinyle, c'est tout un cirque pendant 3 mois pour faire le mastering vinyle, obtenir les test pressings, récupérer les illustrations en plus de toutes ces choses. On s’est débarrassés de tout ça et maintenant tout le monde veut que ça revienne. [ Rires]

Tu as sorti Original Fire il y a 20 ans, sur lequel figuraient beaucoup d'inédits. As-tu l'intention de remettre ça un jour ?
Ouais, on va probablement faire ça cette année ! Juste parce qu'il y a tellement de morceaux. Ce nouvel album, j'ai 13 titres dessus. J'ai énormément de musique en stock.

Vas-y, fais péter !
Laisse-moi le temps de préparer ça. [ Rires]

Et côté tournées, quels sont tes projets ? Vous venez de faire une date aux États-Unis. Je pense qu'il y en a d'autres qui ont été annoncées.
Eh bien, non, pas encore, aucune n'a encore été annoncée mais ouais, nous voulons vraiment avoir plus de concerts. J'essaie aussi d'aller en Europe. Nous ne sommes pas allés en Europe depuis 2011. Donc, j'espère que nous pourrons aller là-bas, mais, tu sais, il est plus facile de jour aux USA, tout simplement parce que nous vivons ici. Pour aller en Europe, il faut passer par tout un processus, obtenir un carnet de preuves d'achat de notre équipement, ce genre de choses. Mais j'espère que nous y arriverons aussi cette année.

As-tu quelque chose à dire sur la nouvelle configuration live ? À quel point sera-t-elle différente de la précédente ?
En fait, ce sera similaire. Juste moi et Ben, comme les concerts que nous avons faits en 2011. Nous utilisons encore beaucoup de samples vidéo en live et nous avons quelques nouvelles astuces et choses que nous faisons, nous avons de nouveaux lapins dans notre chapeau… Et nous faisons plus de vieux morceaux qu’en 2011. Récemment à Los Angeles, nous avons fait « Psyche-Out » que nous n'avions pas fait en live depuis 1993 je crois. On remonte dans les vieux morceaux en les réinventant et en les collant sur de nouveaux visuels, ce genre de choses.