À Atlanta, le nouveau « Roi De La Jungle » s'appelle SahBabii

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À Atlanta, le nouveau « Roi De La Jungle » s'appelle SahBabii

Nous sommes allés passer quelques jours avec le nouvel espoir de la scène rap d'Atlanta pour parler de spiritualité, d'environnement, d'argot et de Bob L'Éponge.

« C'était complètement barnacle » lance SahBabii en sortant d'une salle bourrée de fans plus frénétiques que des anchois dans un épisode de Bob l'éponge. Le géant filiforme, avec ses bracelets cloutés et son jean noir moulant, avait débarqué quelques heures plus tôt à bord d'une Lamborghini rouge, aux côtés de son père, un type se faisant appeler Sup (prononcez « Soup »). Tous les deux affichaient un large sourire laissant apparaître des dents ornées du même éclat métallique.

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La comparaison faite plus haut avec Bob l'éponge n'est pas innocente : le terme « barnacles » provient justement du dessin animé de Nickelodeon - et fait désormais partie du champ lexical de SahBabii et de son entourage. Dans Bob l'éponge, le terme est utilisé pour exprimer l'énervement ou la honte, remplaçant en gros toutes les insultes pouvant potentiellement choquer les spectateurs de moins de 12 ans. SahBabii lui, l'utilise pour tout et n'importe quoi. Et on n'a jamais vu personne d'aussi « barnacle » que les centaines d'ados entassés cette nuit là devant la scène où se produisait le rappeur, suant, hurlant et implorant un rappel, aggripés à leurs smartphones.

SahBabii et sa bande inventent et modifient constamment leur langage. « Quand je partirai en tournée, il y aura un dictionnaire de notre jargon en vente sur le stand de merch », nous annonce t-il d'entrée. Ce ne serait pas du luxe, en effet. Sa musique est bourrée de références et de mots inventés dont il est souvent impossible de saisir le sens. Sur « Eazy », il nous informe par exemple que « all these bitches 'moocheesey' ». Quand je lui ai demandé ce que ça voulait dire, il s'est marré et a répondu qu'il ne le savait même pas lui-même, avant d'admettre que c'était en fait son petit frère qui avait trouvé le terme. Plus tard, quand son frère a débarqué en backstage, on lui a tous demandé en choeur : « Hey, ça veut dire quoi 'moocheesey' ? » Il a ri et nous a confié : « Ça vient de l'espagnol. Ça veut dire 'trop' ou 'beaucoup'. Je l'ai twisté et l'ai adapté à notre jargon. Et je lui ai donné ma propre signification. Toutes ces salopes sont too much, extra, moocheesey ! »

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Dans un monde de hashtags et de référencement permanent, créer des nouveaux mots et de nouvelles expressions a quelque chose de rafraîchissant. La dernière mixtape de SahBabii s'intitule SANDAS, un acronyme de « Suck A Nigga Dick Ah Something ». C'est d'ailleurs plus qu'un simple titre : c'est carrément sa marque. Les T-shirts et les bracelets SANDAS sont partout - et Sup, le père du rappeur, en est largement responsable. Bien avant que le projet ne sorte, au lieu de graver des mixtapes sur CD, Sup a imprimé des centaines de cartes avec un QR code qui renvoyait au lien de la tape, accompagné du slogan « #1 Mixtape in the Streets ! » Et la prophétie s'est réalisée : quelques mois plus tard, Sah inondait Instagram de hashtags SANDAS, accompagnés de vidéos de gens en train de chanter, danser ou de vivre leur vie au son de sa musique. Et très vite, suivront une co-signature avec Drake et Young Thug et un deal avec Warner Bros, présentant Sah comme le nouvel espoir d'Atlanta.

« Papa est comme l'incroyable Hulk, il lâche rien » lance-t-il à propos de son père. « Il croyait en ce qu'on voulait faire. » Le frère aîné de Sah, T3, a été le premier à s'intéresser à la musique, à l'âge de 12 ans, et Sup a aussitôt soutenu les envies créatives de son fils en lui achetant l'équipement nécessaire et un appareil photo pour qu'il tourne ses vidéos. Quand l'heure du petit frère est venue, T3 maîtrisait déjà tous ces appareils.

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« On dit que les gauchers ont beaucoup de talent » continue Sah. « C'est lui qui fait tout. C'est pour ça qu'on l'appelle T3. Parce qu'il est chanteur, compositeur et producteur. » Mais ce surnom ne donne en réalité qu'une infime idée de l'importance et du talent de T3. Car c'est également lui qui a dessiné la pochette de SANDAS, qui a enregistré et mixé la tape dans sa chambre, et qui épaule depuis des années Sah sur ses lyrics et ses clips.

« On avait Cubase depuis un moment » se souvient Sah. « C'est là-dessus qu'on enregistrait tout. On avait fait un petit groupe avec des gamins du quartier qui s'appelait 1095. C'était le numéro de notre maison, sur Osborne Street. Tout le monde à Atlanta faisait de la musique à cette époque : Rich Kidz, Polo Kidz, des gamins comme moi. Donc je me suis dit qu'il fallait que j'essaie. Et j'ai rejoint 1095. On faisait notre musique, et évidemment, c'était vraiment merdique au début. »

Mais après des années d'entraînement avec T3, SahBabii a fini par trouver son identité et a sorti deux mixtapes, intitulées Pimpin' Ain't Easy et Glocks & Thots. SANDAS n'est sorti qu'en octobre 2016, mais il le titre éponyme a été écrit et enregistré en 2014. Tout le projet a été conçu autour de ce morceau et, loin du système Soundcloud/YouTube qui privilégie les morceaux individuels, SANDAS fait preuve d'une vraie cohésion. La bande-son d'une promenade smooth, tôt le matin, au son du chant des oiseaux - samplés sur le disque, SahBabii souhaitant donner un côté très nature au projet. SANDAS est un safari dans une jungle fantasmée, peuplée d'animaux imaginaires et de super héros, un lieu dont la langue officielle serait l'argot de SahBabii.

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« Il faut vraiment l'écouter du début à la fin et enchaîner une chanson après l'autre - ça créé une vibe générale. C'est une balade lyrique », précise Sup, s'enthousiasmant sur le taf de son fils. « Je le dis aux gens : 'mettez-vous à l'aise pour écouter cette mixtape, relaxez-vous, servez-vous un verre de vin. Ma femme et moi, nous buvons du Liberty Creek et je peux te dire que la vibe est parfaite avec SANDAS en fond. »

Pour avoir une idée de ce qui animait SahBabii, je lui ai demandé d'imaginer un espace vide, sans limite de taille, et de le remplir. Sans hésiter, il s'est lancé : « L'herbe est verte et épaisse. Il fait beau. Le ciel est bleu. Il y a des arbres. Un papillon passe. Tu entends le gazouillis des oiseaux. Il y a probablement des super héros qui se battent un peu plus loin. Wolverine. Hawkeye. Des petits enfants qui jouent, en regardant Bob l'éponge. Des animaux qui gambadent, qui discutent. Il y aura sûrement les Frères Wayans dans un coin, en train de déconner, ce sont mes acteurs préférés. » Il fait une pause, réfléchit et poursuit : « Je réunirai tous mes amis et ma famille. Maman en train de cuisiner. Ça sent le poulet Alfredo. Hmm. J'adore le maïs à la mexicaine. Elle en fait aussi. Papa cause à tout le monde. Des potes à moi jouent à 2K. Un morceau de SANDAS résonne en fond, une très belle mélodie. »

Ce fantasme qui mêle animaux, amis et famille, n'est pas pour SahBabii une façon de s'évader. C'est une manière de voir le monde. Il décrit l'idée qu'il a eu pour le clip de « King of The Jungle » : « Je voulais transformer le quartier en une jungle avec les policiers à l'extérieur. Les gens de l'extérieur voient le hood comme une jungle, avec des arbres qui sortent des maisons, des oiseaux. Mais pour moi, c'est juste le quartier dans lequel je vis. Dans une scène, je checke un de mes potes, je me retourne et une langue de serpent sort de sa bouche, ses yeux changent de couleur. Des arbres poussent d'un coup, il y a du bruit, ça devient fou. La vigne se met à pousser. »

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Son premier hit, « Pull Up With Ah Stick », a été un succès sur YouTube (16 millions de vues), mais pour SahBabii, c'est un clip très ordinaire, totalement conforme aux standards rap actuels. « Je suis beaucoup plus créatif que ça », déclare-t-il. « Tu me suis ? Montrer des flingues dans une vidéo, c'est vraiment trop simpliste. J'ai beaucoup plus d'imagination que ça. »

SahBabii a développé sa propre forme de spiritualité : l'« Unknownism », qui englobe son empathie pour les animaux, l'environnement et les gens qui l'entourent. Son ouverture d'esprit et sa tolérance semblent découler de cette philosophie, qui se rapproche du fameux précepte de Socrate : « Tout ce je sais, c'est que je ne sais rien. »

Ses tatouages faciaux sont un reflet de ce mode de pensée. « 666 : 6 protons, 6 électrons, 6 neutrons » - soit les composants chimiques de la mélanine. Cette philosophie le pousse à s'intéresser au monde extérieur, à en apprendre plus sur les sujets qu'il ignore, à contribuer à rendre le monde meilleur. Une attitude qui se manifeste notamment via son intérêt et ses préoccupations concernant l'environnement - « On continue à polluer l'air, la couche d'ozone va se barrer, la Terre va prendre feu ! »

Sah aimerait aussi vivre dans un monde où les Noirs réclament ce qui leur est dû sur le plan culturel. Et pas pour des raisons bassement matérielles. « Je pense qu'on prête bien trop d'attention aux biens matériels » soupire t-il. « Il faut qu'on fabrique nos propres trucs. C'est pour ça que je veux créer ma propre marque de vêtements. Tous ces accessoires, ces ceintures, portent le nom de vraies personnes. Versace a existé, Gucci aussi. On peut être les prochains. »

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Quelques jours après le concert, je croise Sah aux studios PatchWerk à Atlanta, où l'ingénieur du son de Young Thug, Alex Tumay, est en train de remasteriser SANDAS avec l'aide de T3 en vue d'une réédition sur Warner. Le plan était d'ajouter quelques titres (« Geronimo », « Marsupial Superstars » et « Gas Mask ») à la tape originale, afin de toucher un public plus large. Parmi les gens présents dans le studio, on trouvait aussi Su$h! Ceej, un producteur réputé pour ses mélodies lumineuses, partie intégrante du son de SahBabii (« No trap beats, Melodic Sound With Hard 808s » a tweeté Sah lorsqu'il demandait à des beatmakers de lui envoyer des instrus par mail). Il y avait aussi Zack Fox, un comédien et journaliste qui est peut-être aujourd'hui le fan le plus bavard du rappeur (il a même évoqué la réédition de SANDAS dans un communiqué de presse).

À l'étage, Sah et ses potes jouent un billard et font mine de se bagarrer. « C'est une squidisation ! », crie l'un d'entre eux après qu'on lui ait asséné une claque amicale un peu trop appuyée. Le terme « squid » [calmar] est une autre entrée essentielle du vocabulaire de SahBabii. Lui aussi veut dire plein de choses, mais le plus souvent, le terme se réfère aux femmes ou aux amis proches. « 'Squid' peut aussi dire que tu es frais », précisé Sah. « Dans ce cas, on dit que tu es 'squidé' ».

Après une heure à bavasser, Zack s'est emparé de la sono pour jouer un truc un peu différent de la playlist très Future-iste qui tournait en boucle. Il a sélectionné un morceau intitulé « Suck My Nuts » de Lil Toenail, dans lequel un rappeur demande à une fille pourquoi elle refuse de s'engager oralement avec ses testicules. La chanson a complètement fait vriller les gens présents dans la pièce. Sah a répondu au choix excentrique de Zack en enchaînant avec « My Neck, My Back » d'un certain Richard Cheese - une reprise swing du morceau du même nom de Khia. Tout le monde dans la pièce éclate de rire—sauf Sahbabii. Qui s'est discrètement retiré, complètement stone.

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La foi et l'engagement de SahBabii, inculqués et entretenus par sa famille, sont tout sauf du flan. Il suffit de l'entendre répéter « crois-le » à chaque fois qu'il exprime une idée pour être convaincu de son assurance et de sa dévotion. Ce n'est pas juste du jargon, c'est la clé de son identité. Il y a six mois, il était encore magasinier dans une grande enseigne d'articles de sport. « Ça me pompait tellement ma sève que je finissais par rêver de palettes la nuit » se souvient-il. Ce qui lui a permis de tenir le coup, c'est cette foi indéfectible en lui-même, alors que tous ses collègues, eux, baissaient les bras : « Ils étaient piégés, leur esprit était déjà parti, ils avaient accepté le fait qu'ils feraient ce job jusqu'à la fin de leur vie. Ils ne me croyaient pas, ils voyaient juste un renoi qui blablatait. Ils pensaient que c'était une blague. »

Alors qu'il était considéré comme un des meilleurs employés de la boîte, une altercation avec un vigile a fini par le pousser vers la porte. « Mes collègues me demandent maintenant ce que je vais faire, comment je vais trouver de l'argent. Ils se foutent de ma gueule. » Un mois après son licenciement —appelez ça une intervention divine ou un juste retour des choses—sa musique a finalement décollé. Chaque jour, des tas de gens découvraient « Pull Up With Ah Stick » et postaient leur version du clip sur leur compte Instagram. Les dominos se sont mis à tomber, un par un, les labels ont commencé à appeler, et Sah n'aura probablement jamais plus à retoucher une palette.

Maintenant, il fréquente un studio d'Atlanta où une quantité innombrable de hits rap et RnB a été produite. Lorsque nous sommes sortis afin de prendre quelques photos à l'extérieur pour illustrer l'article, SahBabii a commencé à clamer haut et fort, sans s'adresser à personne en particulier : « Avant de réussir, tu dois y croire. Tu dois accomplir des choses avant de réussir. Tu dois réussir avant de te retirer. Tu captes ? » Je capte. Et même plus : j'y crois.

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