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Si Shannon Wright jette l'éponge, vous ne vous le pardonnerez jamais

L'intrigante chanteuse américaine nous parle d'Atlanta, de Donald Trump, de son rapport ambigu avec la presse et de son brillantissime nouvel album « Division », qui pourrait bien être le dernier...

Photos - Jason Maris Depuis ses débuts au sein de Crowsdell en 1991 jusqu'à son récent Division, en passant par ses disques avec Yann Tiersen ou ses tournées aux côtés de Nick Cave et Low, Shannon Wright n'a jamais été de ces artistes qu'il faut adorer détester, ou inversement. L'Américaine n'a jamais été dans la hype, ni dans la course au buzz. Il y a même de fortes chances pour que la grande majorité des auditeurs ne prêtent plus attention à ses dernières sorties, trop sombres, trop sincères et trop sophistiquées pour ce monde qui ne s'enthousiasme que pour le clinquant et le vulgaire. Pourtant, aux yeux d'une certaine frange de passionnés, de Noisey, de moi, l'intrigante Shannon reste l'auteur des albums rock les plus dévastateurs, bouillonnants et tendus écoutés ces vingt-six dernières années.

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Alors qu'elle rentrait à Atlanta, on l'a donc chopé un matin via Skype pour parler de sa sensibilité maladive, de son rapport ambigu avec la presse et, fatalement, de Donald Trump. Telle une lanceuse d'alerte, elle en profite également pour nous prévenir : par lassitude, par manque d'argent, par envie de s'essayer à autre chose, Division pourrait bien être son dernier album.

Noisey : J'ai lu que la pianiste française Katia Labèque avait joué un rôle important dans la conception de l'album. Tu peux me dire en quoi ?
Shannon Wright : Ce qui est marrant, c'est que je connais le petit-ami de Katia depuis longtemps, mais que je n'avais jamais eu l'occasion de la rencontrer. Après un concert en Suisse, elle est venue me voir backstage. Je me sentais très mal, je venais de donner un très mauvais concert et j'avais envie de tout arrêter, l'impression que la musique était devenue une perte de temps. J'étais en pleurs quand elle est arrivée, mais elle m'a redonné beaucoup d'énergie ce soir-là. Elle me disait qu'elle n'avait jamais vu un concert comme ça depuis trente ans. Je l'ai remercié, lui ai dit que je pensais arrêter tout ce cirque, mais elle n'était visiblement pas d'accord [Rires].

Il s'est passé quoi ensuite ?
Elle m'a invité dans son studio à Rome, m'a dit que je pourrais y rester une semaine, juste histoire de pratiquer la musique, sans pression et sans nécessité de sortir quelque chose de ces sessions. Et elle avait raison : je me suis éclaté avec tous ces pianos autour de moi. J'avais l'impression qu'il suffisait d'en jouer quelques notes pour que ça sonne super beau. Ça a fini par faire ressortir des mélodies qui étaient dans ma tête depuis plusieurs années, mais qui ne sortaient pas parce que ce n'était jamais le bon moment ou parce qu'elles n'auraient pas collé à mes précédents albums. Trois chansons sont nées à ce moment-là, et c'est comme ça que Division a commencé. Avant de le finaliser à Paris.

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Tu joues de presque tous les instruments sur ce disque. C'est parce que tu as un côté très autoritaire ?
[Rires] Non, c'est juste que j'ai une idée très spécifique de ce à quoi mes morceaux doivent ressembler. Je préfère donc écrire les parties de batterie et de synthés plutôt que de laisser ça à quelqu'un d'autre. C'est probablement frustrant pour les musiciens présents, mais c'est aussi un challenge dans le sens où ils ont quelque chose de précis à exécuter.

J'ai l'impression qu'il y a la nécessité d'explorer certains sentiments intimes sur Division. C'est le cas ?
Le titre de l'album dit beaucoup de choses. Même si j'ai cherché à laisser la porte ouverte aux interprétations, c'est comme s'il s'agissait pour moi de me débarrasser de mon passé, de mes peurs. Mais ce n'est pas nouveau : j'ai toujours cherché à étudier mes sentiments. Je ne sais pas d'où ça vient, mais je sens que j'ai un tas de pression à évacuer et que, oui, je suis vraiment quelqu'un de très émotionnelle. Parfois trop, sans doute. Cela dit, le mot « sensible » me conviendrait mieux, je pense. Après tout, ce n'est pas comme si je pleurais constamment, que ce soit de joie ou de tristesse.

Peux-tu vivre ainsi sans jamais être déçue ?
Non, c'est impossible [Rires] ! Heureusement, j'ai la musique pour expulser toutes ces frustrations et les partager avec différents types de personnalités. C'est déjà ça !

Je trouve qu'il y a finalement peu de mots sur Division. Tu penses que l'atmosphère prime sur les lyrics ?
Comme je le disais, j'aime laisser l'opportunité aux auditeurs de se faire leur propre idée. Du coup, les mots que j'emploie n'ont pas besoin d'être descriptifs ou narratifs. Ils doivent simplement nourrir poétiquement un paysage que je tente de dessiner à travers les mélodies.

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Il y a des disques que tu as entendu ces dernières années qui t'ont donné envie d'adopter ce genre d'approche ?
Pas vraiment, non. Mais c'est surtout que je n'écoute pas de musique lorsque j'écris mes morceaux. C'est peut-être bizarre, mais j'ai l'impression que ça m'empêche d'être moi-même. Le seul artiste que j'ai écouté en 2016, finalement, c'est David Bowie. Mais c'est parce qu'il est décédé en début d'année et que ça m'a rendu tellement triste que je ressentais le besoin d'aller réécouter ses disques. C'est comme si j'avais perdu un proche. Ça m'avait fait pareil avec James Brown, à l'époque. Ce ne sont pas du tout des musiciens auquel on peut me rattacher musicalement, mais leur façon de croire en ce qu'ils faisaient est très inspirante.

Je ne sais pas si c'est le cas aux États-Unis, mais, en France, les médias comparent souvent tes premiers albums à Patti Smith et les suivants à Cat Power. Ça te dérange ?
Je trouve ça super ennuyeux, oui. Ces comparaisons sont tellement datées et incohérentes que ça devient gênant de voir à quel point certains journalistes n'écoutent pas ce que je fais. Peut-être qu'ils sont surchargés ou qu'ils ne sont pas consciencieux, mais ces comparaisons me paraissent terribles. Déjà, parce qu'elles ne sont pas pertinentes. Et puis parce que je n'ai presque jamais lu une chronique me comparant à un artiste homme. Comme si une femme ne pouvait pas s'inspirer d'un chanteur, et inversement. C'est très sexiste, finalement. Alors, attention, je n'ai rien du tout contre Cat Power, Patti Smith ou même PJ Harvey, à qui on m'a également comparé, mais je ne les écoute pas, elles ne m'influencent pas et je n'ai pas envie d'être elles. De plus, je pense que l'on a chacune une approche différente de la musique, du studio et de la scène.

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Actuellement, en France, tu es en couverture de New Noise. L'avis de la presse, ça t'importe ?
C'est dur de répondre à cette question après ce que je viens de te dire [Rires]. Pour New Noise, ça me fait simplement plaisir d'échanger avec des journalistes passionnés, qui n'ont pas peur d'évoquer leurs émotions et ne se contentent pas d'être génériques dans leurs articles. Je ne connais certes pas l'ensemble du magazine, mais ils me paraissent sincères, et très au fait de mon travail. Ça fait vraiment du bien, et ça prouve qu'il y a certains médias et certains journalistes qui font encore bien leur travail, qui connaissent les groupes dont ils parlent et qui n'hésitent pas à bousculer un peu l'artiste lorsque celui-ci se révèle un peu contradictoire.

Tu penses être mieux considérée en France qu'aux États-Unis ?
En quelque sorte, oui. Mais il faut dire que je passe tellement de temps en Europe que ça joue sans doute. Là, je viens de rentrer à Atlanta, mais ça faisait plusieurs mois que je n'étais pas revenue en Amérique. Ça crée forcément des liens privilégiés.

C'est parce que tu ne te sens pas en phase avec la culture américaine que tu y retournes si peu ?
J'ai la chance de me sentir aussi bien en Amérique qu'en Europe, donc c'est plutôt confortable comme situation. Cela dit, je n'aime pas du tout ce qu'il se passe en ce moment aux États-Unis, j'ai l'impression que l'on vit des heures très sombres. Donc je réfléchis très sérieusement à la possibilité de revenir assez rapidement en France [Rires]. D'autant que, oui, je m'identifie très bien à la culture française, très riche et très bien défendue par certaines personnes que j'ai la chance de considérer comme des amis. Donc oui, j'aime beaucoup la France, sans doute plus que les États-Unis, finalement.

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Quand tu parles d'heures sombres, tu fais allusion à Trump, j'imagine. Ça va, il ne t'a pas demandé de chanter à son investiture ?
[Rires] Non, mais je suis très heureuse d'avoir laissé cette mission à quelqu'un d'autre ! C'est tellement dingue que ce mec soit notre nouveau président, il est si horrible. À chaque fois, ses discours me paraissent plus choquant que la veille. J'en viens même à me demander ce qu'il va bien pouvoir trouver de pire à dire lors de sa prochaine intervention… Heureusement, je vis à Atlanta, une ville toujours très marquée par la lutte des droits civiques. Ça offre un certain recul.

Comment son élection est perçue aujourd'hui à Atlanta ?
Ici, 58 % des habitants sont Afro-américains, donc autant te dire que le mec est vu comme un idiot. Je ne connais personne ici qui a voté pour Trump. De toute façon, il a surtout obtenu ses voix dans le centre des États-Unis. Ce sont tous ces états qui vont lui permettre de foutre la merde pendant quatre ans. Le plus dingue, c'est qu'il ne va même pas résider à la Maison Blanche, mais dans sa tour à New York. Je ne sais même pas si c'est légal. Et des tas de gens ne semblent même pas s'en inquiéter.

Tout à l'heure, tu disais qu'il t'arrivait d'avoir envie d'arrêter la musique. C'est toujours le cas après Division ?
Là, au moment où l'on se parle, oui. C'est un métier assez difficile quand il est fait dans mes conditions : je ne me fais pas beaucoup d'argent, je suis souvent sur la route, etc. Le truc, c'est que je n'ai malheureusement pas de plan B pour vivre et ne pas m'enfermer dans un métier que je n'apprécierais pas. Il est là le dilemme : l'amour de ma musique, le fait que je prends énormément de plaisir à composer… Certes, la situation n'est pas facile, j'en pleure parfois, mais le plaisir que j'en retire vaut tellement le coup. J'ai la chance de voyager à travers le monde, de rencontrer des gens formidables et de vivre de ma passion : c'est un cadeau, franchement. Malgré tout, je me dis parfois que je m'éclaterais peut-être tout autant en ouvrant un magasin.

Dans ce cas, il faut que je te dise quoi pour te convaincre de continuer ?
Si tu peux me promettre que je vais gagner plus d'argent, ça me va [Rires]. Attention, je ne souhaite pas devenir millionnaire : tant que j'ai de quoi payer mes factures, honnêtement, ça me va. Ce que je veux dire, c'est que j'aimerais trouver un job en parallèle qui me permettrait de faire autre chose tout en continuant d'écrire, de composer et de tourner. Malheureusement, c'est hyper compliqué de trouver un travail aussi flexible. Je donne parfois un coup de main à deux amis qui bossent dans le business du cinéma, mais je reste à l'affut de nouvelles opportunités. Le rêve américain, quoi [Rires]. Division sort aujourd'hui 3 février sur Vicious Circle. Vous pouvez le commander directement ici.

Prochaines dates : 24/02 • SAINT-NAZAIRE (44), Le VIP
25/02 • CHOLET (49), Festival Les Z'Eclectiques
01/03 • PARIS (75), Le Café de la Danse
02/03 • PÉRIGUEUX (24), Le Sans Réserve
03/03 • MONT-DE-MARSAN (40), Le Café Music'
04/03 • ANGOULÊME (16), La Nef
05/03 • LAVAL (53), Le 6PAR4
08/03 • NÎMES (30), La Paloma
09/03 • BESANCON (25), La Rodia
10/03 • LYON (69), Le Marché Gare
11/03 • VEVEY (CH), Le Rocking Chair
11/05 • SAINT-ETIENNE (42), Le Fil
12/05 • GRENOBLE (38), La Bobine
13/05 • ANNECY (74), Le Brise Glace
15/05 • AMIENS (80), La Lune des Pirates (solo)
16/05 • BRUXELLES (B), Le Botanique
20/05 • BORDEAUX (33), Le Krakatoa
06/07 • ROUEN (76), Festival Les Terrasses Du Jeudi