Dans la rue d'Istedgade, à Copenhague, on peut passer d'un extrême à l'autre en moins de deux kilomètres : d'un côté, on trouve la partie embourgeoisée avec des enfants en poussette et des adultes sirotant des cafés latte ; de l'autre côté, plus cru, on trouve des prostituées en attente de clients et des toxicos à la recherche d'une veine.Cette rue est située dans le quartier de Vesterbro, connu au Danemark pour abriter nombre de drogués et de dealers. Aux alentours, on trouve également Mændenes Hjem, le foyer pour sans-abri, et les deux salles de consommation à moindre risque (SCMR) de Copenhague : Skyen (« le Nuage ») et la plus récente, H17.
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En 2013, au moment où la première SCMR (« le Nuage ») a ouvert ses portes, le photographe Casper Christoffersen, qui habite dans le quartier, a commencé à prendre des photos du voisinage et des gens qu'il rencontrait dans la rue. Aujourd'hui, en regardant à nouveau ces photos, il est évident que beaucoup de choses se sont améliorées depuis l'ouverture des SCMR et depuis que les usagers ne se piquent plus sur les trottoirs.« J'habite à quelques minutes du foyer Mændenes Hjem, et presque tous les matins je retrouvais des seringues et des déchets devant ma porte d'entrée. Maintenant, ça n'arrive presque plus. Mais si vous êtes familier avec ce quartier, vous comprendrez que le changement ne s'effectue pas sans conditions », explique-t-il.Les SCMR sont des salles où les toxicomanes peuvent se piquer sans risquer de faire une overdose, de se faire agresser ou de mourir de froid une fois défoncés. Depuis l'ouverture de ces salles, on trouve également beaucoup moins de seringues usagées dans les ruelles et les cages d'escalier. Cependant, ce changement n'a pas été que positif : les SCMR ont attiré des toxicomanes venus de toute la ville, ce qui a rendu la vie du quartier un peu plus violente et chaotique.Lasse Glavind a vécu à côté du foyer pour sans-abri, Mændenes Hjem, pendant des années ; il fait partie de ces habitants qui ont poussé les autorités à mettre en place des salles de shoot. Il décrit l'ambiance de la rue avant l'arrivée des SCMR comme « apocalyptique », mais il admet également que le succès du « Nuage » n'a pas forcément amélioré la vie des habitants du quartier.
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« Il y avait des gens dans les escaliers devant chez moi, avec le pantalon baissé jusqu'aux chevilles, en train de s'injecter une dose, raconte-t-il. Ça arrive moins ces jours-ci. Néanmoins, les SCMR ont attiré d'autres gens dans la rue ; c'est devenu une usine à shoot. »Michael Lodberg Olsen est un activiste local à l'origine de Fixelancen, une ancienne ambulance qu'il a transformée en salle de shoot, la première au Danemark. Selon lui, à Vesterbro, il y a environ 800 usagers. Pourtant, rien qu'au « Nuage », on compte plus de 3 800 personnes inscrites – la plupart font le trajet jusqu'à Vesterbro pour prendre leur dose en toute tranquillité. Michael Lodberg Olsen est cependant d'accord avec Lasse Glavind quant au fait que les deux SCMR auraient dû ouvrir plus loin l'une de l'autre, pour le calme à la fois du quartier et des usagers.
« Il n'est pas normal que les usagers des autres quartiers de la ville n'aient pas accès à des salles aussi huppées. Et là, on dirait que la ville a créé la plus grande SCMR du monde pile au milieu de ce quartier ravagé par la drogue. Tous ces usagers sont complètement différents les uns des autres, et entasser autant de personnes distinctes et vulnérables au même endroit va forcément mener à des tensions ou des violences », explique Michael.« En tant qu'habitant du quartier, je suis habitué aux contrastes sociaux ; malgré tout, ça reste dingue de voir des gens boire leur bière artisanale dans des restos branchés, alors qu'à l'extérieur des exclus de la société recherchent désespérément de la drogue », explique Casper Christoffersen, qui a pris la majorité de ses photos en allant et en revenant du travail.
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« Au bout d'un moment, vous reconnaissez certaines personnes et vous vous rendez compte que, même si leur vie a l'air impitoyable, elles s'amusent quand même. C'est quelque chose que je voulais retrouver dans mes photos. Quelqu'un en train de prendre un bain de soleil tout en se piquant, un couple qui s'envoie en l'air derrière un conteneur ou un mec qui grimpe sur une moto de flic pour une photo rigolote : ce sont toutes ces situations qui constituent notre vie de quartier. »L'activiste Michael Lodberg Olsen connaît bien le milieu de la drogue à Vesterbro et a accepté de commenter ci-dessous certaines des photos prises en 2013 par Casper Christoffersen.