Shoegaze, Hitler, nostalgie : Slowdive répond aux questions qui fâchent

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Shoegaze, Hitler, nostalgie : Slowdive répond aux questions qui fâchent

Comment une blague montée par la presse anglaise a pu devenir un style musical ? Comment réagir quand on dit de votre groupe qu'il est « pire que Hitler » ? Est-il vraiment possible de se reformer et de sortir un excellent album après 22 ans de silence ?

Ride, Pixies, Jesus And Mary Chain… À se demander si on en finira un jour avec le retour des icônes des années 90. Certains reviennent pour le pire, d'autres pour le meilleur. Slowdive fait partie de la seconde catégorie. Pourtant entre un dernier album totalement incompris (l'excellent Pygmalion) et une presse de plus en plus hostile au groupe, l'affaire semblait pliée - et salement pliée. C'est donc à un véritable rescapé de l'indie-rock qu'on a affaire aujourd'hui : Neil Halstead, leader de Slowdive, qui a navigué pendant 22 ans entre albums acoustiques en solo et projets plus ou moins notables (Mojave3, Black Hearted Brother) avant d'opérer ce come-back inespéré. Nous sommes allés discuter un moment avec lui de cette renaissance, du nouvel album du groupe et de la façon dont le mouvement shoegaze avait été monté de toutes pièces par la presse anglaise avant d'être descendu en flammes.

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Noisey : Vous voilà de retour avec un nouvel album, sobrement intitulé Slowdive. Et la surprise, c'est qu'il est vraiment bon.
Neil Halstead : Ahah, merci. On l'a produit nous mêmes, comme la plupart de nos albums d'ailleurs. Chris Hufford avait été crédité pour Just For A Day, mais en vérité, il n'avait fait que le mixage pendant une ou deux semaines - ce n'était pas un véritable travail de producteur. De même, Chris Coady a mixé ce nouvel album. On aimait bien son boulot pour Beach House.

John Leckie, Flood, Nigel Godrich… Dans les années 90, les producteurs étaient presque aussi starifiés que les groupes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Aujourd'hui, tu peux faire quelque chose de très abouti sur un simple laptop. C'est fascinant. Dans les 90's, ce n'était pas possible. Tu devais passer par la case studio et c'est pour ça que les groupes, en tout cas sur disque, sonnaient si professionnels. À un moment, le lo-fi est devenue le truc à la mode. C'était perçu comme une forme de rébellion, un refus de la norme. Palace Brothers, Sebadoh ou Ween pouvaient enregistrer ce qu'ils voulaient, on les considérait comme cools. Ils parvenaient à faire des albums excellents sans dépenser des fortunes. Aujourd'hui, l'argent et la qualité d'un album n'ont rien à voir. Dans le R'n'B actuel, tu trouves des albums incroyables, avec des productions étonnantes. Et certains d'entre eux sont conçus sur laptop. C'est bien plus excitant de faire de la musique aujourd'hui que ça ne l'était à nos débuts. Personnellement, j'ai toujours trouvé le monde de l'indie rock incroyablement ennuyeux dans les 90's.

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Le morceau qui ouvre ce nouvel album s'intitule « Slowmo ». C'est un peu votre art de vivre, non, le slow motion ?
Quand je ne tourne pas, oui. Évidemment. D'autant que je vis vraiment dans un coin paisible et reculé de l'Angleterre. Si on parle du groupe, je dirais que non. Cet album a même un tempo plutôt rapide si on le compare avec nos trois premiers albums. Je ne me suis rendu compte de ça qu'en les réécoutant récemment, tout particulièrement Souvlaki. « Slowmo », c'est un titre de travail qui est resté. Au départ, je voulais l'intituler « The Lady Of The Ship ». Mais personne ne voulait de ce titre, alors on a gardé « Slowmo ». Ça arrive assez souvent. Parfois c'est l'inverse. « Sugar For Pill » par exemple s'est longtemps intitulé « Song 4A ».

Votre précédent LP, Pygmalion, date de plus de 20 ans. Pendant ce temps, Slowdive est peu à peu devenu un groupe culte. Comment avez-vous vécu ça ?
Ça nous a un peu pris par surprise. Ce qui est incroyable, c'est que notre musique de l'époque continue d'avoir une résonance aujourd'hui. On n'avait pas vraiment réalisé ça, jusqu'à ce qu'on se remette à faire des concerts en 2014 . À ce moment là, on s'est dit qu'on devait avoir eu un peu plus d'importance que ce qu'on pensait. Ce qui était étonnant, c'est que le public était très jeune. Il y avait bien sûr des vieux fans du groupe mais on voyait beaucoup de gamins. Cette évolution, c'est très intéressant. Même quand nous étions à notre pic dans les années 90, on restait un petit groupe. On avait connu notre plus gros succès au moment du premier album. À partir de là, ça n'a fait que décliner. Idem pour la scène shoegaze, d'ailleurs. À la fin, Pygmalion a créé encore un peu plus de confusion chez nos fans les plus hardcore et chez Creation, notre label de l'époque. Quand le groupe s'est arrêté en 94 ou 95, on avait 23-24 ans. On voulait faire autre chose, découvrir. On avait pris du bon temps avec le groupe, sorti 3 albums, mais il était temps de tourner la page. On avait l'impression d'avoir donné tout ce qu'on avait à donner. C'était vraiment étonnant de relancer tout ça en 2014.

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Le mouvement shoegaze avait été monté par le NME comme une blague. Avant ça, on l'appelait « The scene that celebrates itself ». Comme souvent dans la presse anglaise de l'époque, les groupes ont d'abord été encensés avant d'être descendus un par un. Quels étaient vos rapports avec les journalistes ?
Franchement inamicaux. On n'était pas du tout potes. Quand on a commencé, nous avions pourtant eu beaucoup de soutien de la part du NME et du Melody Maker. Ça nous a même permis d'agrandir notre public. Leur soutien est sûrement une des raisons qui nous ont permis de signer chez Creation. Il faut savoir qu'à ce moment-là, les gamins achetaient les disques Creation jusque parce qu'ils sortaient sur Creation. Le label avait une aura incroyable. Comme 4AD. C'est la presse qui a construit le mouvement, qui l'a poussé. Et quand ils ont fini par décider qu'ils en avait assez de leur « Shoegaze », ils nous ont filé des grands coups dans la tête pour qu'on dégage tous ailleurs et faire de la place pour la vague suivante.

Tu parles de la britpop ?
Oui. Elles nous a dévoré avec l'aide des journalistes de l'époque. C'était une vague massive. La seule qui pouvait lutter avec le grunge américain. Pour les journaux, c'était vraiment plus intéressant à traiter que quelques petits groupes du fin fond de l'Angleterre qui regardaient leurs pompes en jouant. Dans les 90's, le NME et le Melody Maker faisaient la loi. Ils déployaient une énergie folle à créer presque chaque semaine une nouvelle vague, un nouveau mouvement. Ces mecs étaient en quête permanente de nouveautés. Il fallait que la roue continue de tourner. C'était des hamsters, et nous les petites carottes qui les faisaient avancer.

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Il leur fallait du sang frais chaque semaine ?
Je n'irais pas jusque là, mais c'est l'idée, oui. Ne soyons pas trop dramatique non plus. On a eu notre chance, et certains ne l'ont jamais eue alors qu'ils étaient très bons. Peut-être même meilleurs que nous. Je pense à Bark Psychosis, aux Telescopes… On a vraiment été chanceux de pouvoir faire 3 albums. C'était moins simple qu'aujourd'hui pour sortir sa musique. À l'époque, on ignorait tout ça bien sûr, et on n'avait pas conscience de grand-chose. On pensait juste : « Allez tous vous faire foutre, on veut juste jouer notre musique et faire des concerts ». On ne comprenait pas très bien tout ce qui nous arrivait. Pendant l'enregistrement de Pygmalion, on écoutait beaucoup de musiques dont le NME et le Melody Maker ne parlaient pas du tout. Personne n'a compris le disque quand il est sorti.

Contrairement à Ride ou Lush à l'époque, vous n'avez pas essayé de rejoindre le wagon britpop de manière désespérée. Pourquoi ?
Parce que ça n'aurait pas marché. Après Pygmalion, on s'est dit qu'on avait fait le tour de ce qu'on avait à dire, et on en est resté là. Tout simplement.

Pendant cette période, vous vous sentiez soutenus par Creation ? Le label vous a quand même foutu à la porte trois semaines après la sortie de Pygmalion.
L'erreur, c'est d'avoir pu penser que ce disque serait à sa place chez Creation. Je veux dire par là qu'Alan McGee est un mec pop. Il vivait pop, pensait pop. Et Pygmalion, c'était autre chose. On aurait peut-être dû le sortir chez un label comme Warp. Je suis encore ami avec Alan aujourd'hui. C'est quelqu'un que je respecte beaucoup. Mais à l'époque, non, on se sentait pas complètement soutenus. La presse était en train de détruire le mouvement shoegaze. Et Creation venait de mettre la main sur Oasis, qui allait devenir le plus gros succès du label. On n'était plus leur priorité du tout et quelque part, c'était normal.

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Pygmalion, c'était presque du post-rock avant l'heure.
Du post-rock je ne sais pas, mais on avait de l'électronique dedans, de l'ambient. C'était très différent de ce dont parlait la presse à ce moment-là. Le monde de l'indie se regardait beaucoup le nombril. Trop, certainement pour qu'on soit compris. Pourtant il y avait de brillants journalistes. Aujourd'hui, on a internet mais à l'époque tout se faisait par le NME, le Melody Maker et par John Peel. C'est eux qui faisaient ton éducation musicale. Ils étaient fondamentaux.

Le danger, c'est que la presse écrite faisait ou défaisait les groupes assez facilement. Ce pouvoir a disparu avec internet.
Je suis peut-être victime du syndrome de Stockholm, mais une partie de moi regrette cette époque. Je sais bien que c'est une bonne chose qu'Internet ait dissout le pouvoir de ces médias, mais…Tu vois, aujourd'hui, l'indie est presque une musique morte, une église sacrée qu'on ne doit plus toucher. Alors qu'avant, c'était une communauté super vivante, avec des échanges, des débats entre les groupes, avec la presse. On souffrait, mais on se marrait aussi. Je me rappelle de notre premier « Single Of The Week » dans le Melody Maker en 1991 ou 1990. On jouait en concert à Glasgow ou Manchester, et soudain, les gens étaient à fond. Je suppose que ce sens de la communauté, tu le retrouves dans les blogs aujourd'hui. Mais il y a tant de musique désormais, et de bonne musique, que tout s'est peu à peu dissous.

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Tu iras voir la note de l'album sur Pitchfork ?
J'irai voir leur critique bien sûr. Ils n'ont pas encore parlé de notre album, je pense. Je ne dirais pas que Pitchfork a été important dans notre reformation mais ils ont sorti un documentaire sur Souvlaki dont on a parlé entre nous quand on a joué pour quelques festivals en 2014. Je n'ai pas de problème avec eux.

Dans un sens, Pitchfork est devenu le nouvel NME. À un moment, ils faisaient un peu la pluie et le beau temps sur les groupes.
Je suppose que c'est un peu vrai, oui. Après, j'ai plus de 40 ans aujourd'hui, et je ne suis plus tout ça avec autant d'assiduité qu'avant. Je suis certain de mes choix. Quand je cherche un album, je vais sur le site de Piccadilly Records et je choisis seul. Je n'ai plus besoin de quelqu'un pour m'orienter. Je pense avoir raté plein de choses intéressantes à cause de la presse à l'époque. Elle ne parlait que d'un certain types de groupes, ne traitait que de la pop, du rock. Ils sont vraiment passés à côté de plein de trucs. J'ai aussi plus de recul sur ce qui peut ou ne peut pas nous arriver avec cette reformation. Quoiqu'ils écrivent, je serai donc forcément moins touché que je ne l'avais pu l'être à l'époque par le NME ou le Melody Maker.

Les journalistes étaient rudes, mais les groupes entre eux semblaient l'être aussi. Richey Edwards des Manic Street Preachers a quand même dit qu'il détestait plus Slowdive qu'Hitler.
Il paraît en effet qu'il a dit ça. Je ne sais pas du tout quoi en dire. En tout cas, ce n'était pas la meilleure publicité pour nous. Ni pour son groupe d'ailleurs. Ce que je sais, c'est qu'il avait rencontré Rachel à Reading. Ça s'était plutôt bien passé même s'il était rarement sobre. Il prenait pas mal de trucs. Puis il a disparu. Que dieu le bénisse s'il est encore en vie quelque part. C'était avant que les Manics ne deviennent énormes en Angleterre.

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Fait étrange, votre nouvel album sort quasiment en même temps que celui de Ride et de Jesus and Mary Chain.
Ride, c'est vraiment un groupe que j'adorais. Je voyais ce groupe comme un mélange des Byrds et de Cure. Ils étaient brillants, leurs concerts étaient incroyables. Going Blank Again a été très important pour moi. Et ce morceau, « Twisterella ». Fantastique. C'est vrai que c'est vraiment bizarre ce qui arrive en ce moment. On est plusieurs à revenir sans que rien ne soit planifié comme ça. C'est le hasard.

Que penses-tu du nouvel album de Ride ?
Je ne l'ai pas encore écouté. Je le découvrirai comme tout le monde, au moment de sa sortie.

Aujourd'hui, le shoegaze s'est adouci et est plus généralement désigné sous le nom de « dream-pop ». Tu es client de cette musique ?
C'est la vision américaine de l'affaire. Je n'aime pas du tout cette expression, je trouve que ça limite le champ de cette musique, que ça la rétrécit. J'écoute peu de musique récente. Le nouvel album de Kevin Morby me plaît bien. J'écoute aussi pas mal les groupes du label Burger Records. Sinon, on redécouvre beaucoup de vieux trucs. Notamment grâce à des podcasts. Des trucs de garage rock californiens. Je suis sûrement moins à la pointe que je ne l'étais dans les années 90. Etrangement, Slowdive s'est toujours vu comme un groupe psychedelique. Même si « Morning Rise » peut ressembler à un morceau des Beatles, notamment sur les effets de voix. Je préfère le terme shoegaze à dream-pop, même si je sais qu'il ne fait pas rêver les gamins aujourd'hui. Nous sommes des shoegazers, certainement pas un groupe de dream-pop. Slowdive est sorti sur Dead Oceans.

Le groupe sera au Festival Levitation France le vendredi 15 septembre à Angers.

Albert Potiron est sur Twitter.