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Music

Ne comptez pas sur Cosmo Vitelli pour souffler les bougies de la French Touch

Son groupe Bot’Ox mis en veilleuse, le producteur revient avec deux maxis coup sur coup via son label I’m A Cliché et une vision toujours aussi intransigeante de la musique.

Que foutait donc Cosmo Vitelli ? Avait-il toute la pègre aux fesses comme le personnage de Meurtre d'un bookmaker chinois dont Benjamin Boguet emprunte le nom ? Point du tout. Depuis deux ans, il a établi son camp de base à Berlin où il a emménagé et du coup, agrandi la surface de son studio d'enregistrement. Il a mis en stand-by le groupe électro-rock Bot'Ox, son projet génial mais incompris monté avec Julien Briffaz de [T]ékël, lui-même resté à Paris. Cosmo s'active toujours autour de son label I'm A Cliché sur lequel il vient enfin de sortir coup sur coup deux maxis après cinq années d'un silence embarrassant pour ses supporters, Last Train to Marzahn et The Cemetery of Unsigned House, qui sort aujourd'hui, distribué par Kompakt, où l'on retrouve tout ce qu'on adore chez ce producteur français aussi dark que caustique. En arrêtant les soirées parisiennes du nom de son label pour se recentrer sur sa propre musique, en préparant, soyons dingue, un nouvel album qui serait l'incroyable successeur des deux parus sous son nom en 1998 (Vidéo) et 2003 (Clean), soit avant Facebook, la dosette Nespresso et le Wi-Fi, Cosmo Vitelli ne pouvait nous faire plus plaisir.

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Noisey : C'est bizarre de se rencontrer à l'occasion de la dernière soirée I'm A Cliché à la Java à Paris. Ça faisait six ans, c'est ça ?
Cosmo Vitelli : Six ans à la Java mais la soirée était passée par plusieurs endroits auparavant. Avec la Java, c'est la première fois qu'on avait un endroit où on se sentait bien, après des lieux plus ou moins sexy comme le Batofar, le Social Club, le Nouveau Casino… Au moment où on a commencé, la Java tranchait avec les endroits où étaient organisées les soirées, souvent rive gauche à l'époque, ou avec le Paris Paris dont c'était la fin, le Baron… Après le Pulp, la nuit est devenue très connotée socialement. La Java n'est pas un club, ce qui donnait les coudées franches pour faire ce que tu voulais musicalement. J'ai l'impression d'avoir installé un truc, notamment avec les deux trois premières heures où j'ouvrais systématiquement car c'était le minimum que je pouvais faire pour les invités. Je passais de la musique que je ne pouvais pas passer ailleurs. C'était son avantage mais tout a une fin.

Tu n'avais pas envie de trouver un nouveau lieu ?
Je ne suis plus parisien… Il faudrait donc qu'il y ait un vrai coup de cœur. Et je me suis localisé dans une ville où la terre entière va ou a déjà joué. J'ai pas envie de me mêler à la lutte des promoteurs de soirées, c'est un autre métier. J'ai envie de me recentrer sur la musique. Après le deuxième album de Bot'Ox, j'ai fini épuisé. J'étais à la fois le label, l'artiste, le gestionnaire… Ça devenait schizophrène et crevant. Quand les soirées ont commencé, on a un peu morflé avec Julien après ce second disque car ça peut être très ingrat, et je le dis sans aucun regret. J'ai soigné ça en m'expatriant à Berlin et ça m'a fait beaucoup de bien. Il m'a juste fallu retrouver un rythme de production musicale car on avait beaucoup travaillé à deux les dernières années.

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Tu vis à Berlin depuis deux ans, c'était un choix économique, artistique ?
C'est évidemment une ville moins chère que Paris où j'étais soumis à la double peine : je vis en appartement mais j'ai aussi un studio et ça devenait compliqué d'avoir les deux. Avec l'ambition de produire des artistes, j'ai besoin d'espace et Berlin est bien plus adaptée. C'est aussi la ville où tous les musiciens établissent leur camp de base avant de faire des dates un peu partout. Même si tu as plusieurs écoles : j'ai par exemple plein de potes australiens qui retournent chez eux pour laisser passer l'hiver en Europe. Beaucoup considèrent Berlin comme un moment agréable de leur vie sans forcément y être encore six mois plus tard.

Quel est ton « modèle économique » ?
C'est l'addition de plein de choses. J'essaie de trouver un équilibre dans mes activités : label, boite d'édition, DJ sets, travaux de production pour d'autres… tout compte en fait.

Le label a été créé en 2004 !
Treize ans oui. Le rythme des productions s'est calmé depuis trois ans mais avant, on avait sorti je sais plus combien de disques par an. Mais je n'ai jamais eu envie qu'il bouffe ma vie. Certains pourraient le percevoir comme un manque d'ambition mais tout le monde est obsédé par l'idée de se développer à tout prix. J'ai naïvement la volonté de sortir des bons disques quand je peux. Ça m'arrangeait aussi pour mes propres disques comme ceux de Bot'Ox. Je ne me suis pas construit sur la volonté délirante de… Si j'étais fait pour faire Kitsuné ou Ed Banger, ça fait longtemps que je le saurais. C'est pas mon truc.

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C'est un secteur de plus en plus difficile, concurrentiel…
Oui tu as raison mais on rentre dans le vocabulaire du monde de l'entreprise, là. Je ne me suis jamais plaint. C'est pas facile mais ce n'est pas la faute du contexte. Je vois bien à quoi ressemblent les modèles des labels qui marchent et de ceux qui ne marchent pas.

Quand on voit quelques maxis des débuts, comme Simian Mobile Disco, ce ne serait même plus possible aujourd'hui.
En réalité, s'ils me proposaient de sortir un disque aujourd'hui, ça ne m'intéresserait pas. Il n'y a donc pas de problème. Ce que fait SMD ne m'intéresse pas. Récemment, les Red Axes, qui commencent à devenir plus gros, m'ont proposé des morceaux que j'aime moins que ceux que j'ai sortis auparavant. Je les ai refusés car je me fous de l'impact que ça aurait, ou de surfer sur la vague du succès. C'est pas ce qui me pousse.

Des artistes viennent encore te voir ?
Globalement, mis à part les Red Axes que j'ai rencontrés par hasard, c'est moi qui vais vers les gens. J'aime bien, c'est un réflexe de digger, comme chercher des disques en fait. Tu vas chercher dans le bac où les gens ont oublié de regarder des producteurs qui vont t'intéresser ou que tu as envie de sortir parce que tout le monde ne se presse pas derrière. Je ne comprends pas le plaisir de sortir des disques de gens qui ont déjà sorti quinze disques avant. C'est 90 % du plaisir qu'on m'enlève si je fais ça. Pourtant, tous les labels le font, on dirait le cheminement d'une progression sociale : commencer sur un petit label, passer sur un plus important et finir sur un gros label si tout marche. Ce qui m'intéresse, c'est de sortir des disques auxquels les gens n'auraient pas eu accès, qu'il y ait quelque chose de particulier.
Il y a ce truc un peu incestueux dans la musique électronique. C'est rare qu'il y ait un truc d'identité sur un label. Les artistes sortent souvent des disques un peu partout pour être présents sur un maximum de réseaux possible. J'ai pas besoin d'héberger des gens qui ont déjà sorti un truc sur Correspondant ou les Disques de la Mort, c'est bon. Le plaisir, c'est trouver ce disque obscur que personne n'a vu passer, une face B trouvée dans une brocante… Sortir un disque, c'est retrouver ce même plaisir.

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Et tu trouves encore et toujours ?
Il y a toujours des choses à partir du moment où tu es prêt à dépenser de l'énergie en DA et que tu es vigilant sur ce que tu sors, ce qui est très chronophage. Le mot peut paraitre prétentieux mais ça demande une sorte de vision. Il faut aussi avoir une identité et c'est pas forcément une histoire de goût : il faut que tout soit au bon endroit. Plein de choses que j'aime n'ont rien à faire sur mon label. J'ai sorti des disques à la fin des années 90 sur Solid, le label d'Etienne de Crécy, des débuts de Air, d'Alex Gopher… Parce qu'ils l'aimaient, ils avaient sorti l'album de Thierry Stremler, de la chanson française. J'ai rien contre lui et j'ai pas à juger de la DA de Solid mais c'est l'archétype de ce qu'il ne faut pas faire pour un label. Ce n'est pas parce que tu veux montrer que tu aimes aussi la chanson ou la pop en français que ton label est le bon endroit pour le faire. Si tu aimes ce disque, tu l'écoutes chez toi ou tu pries pour qu'il sorte ailleurs. Un label doit avoir une identité forte, reconnaissable, et en même temps, être capable de surprendre.

Le modèle depuis cinq ou dix ans, c'est le label numérique : on sort beaucoup de choses qu'on lâche dans la nature, en étant dans des quantités industrielles. C'est très rarement bon pour les disques eux-mêmes et ça installe une cadence infernale au niveau des sorties. Il faut de la nouveauté en permanence et c'est infernal. Des bons disques, tu ne peux pas en faire tous les deux mois. Ou alors tu peux, mais tu t'assèches. Il faut du temps pour faire des bons disques.

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Tu parles numérique, ça créé des opportunités pour un label comme le tien ?
Ça compense la baisse des ventes de vinyles. Les seuls qui vont te dire que le vinyle se porte bien, ce sont les quelques labels qui s'en sortent par ailleurs. Après, sur le numérique, il y a des ventes mais c'est un petit pansement pour soulager la douleur de l'économie globale de tes sorties.

Tu n'as sorti que deux albums sous ton nom, et depuis, que des maxis. Le format album est cuit pour ce que tu produis ?
C'est surtout que pendant six ou sept ans, je me suis consacré à Bot'Ox. Et j'ai totalement sous-estimé que le public pourrait ne pas associer mon nom à celui de ce projet qui n'avait rien à voir avec la musique de club qui reste importante pour moi. Avec Bot'Ox, on a quand même réalisé deux albums et une musique de film. On a l'impression que sous mon nom, je me suis tourné les pouces mais vu que je ne suis pas un obsédé de la promo…

Bot'Ox existe toujours ?
Le groupe est sérieusement en stand-by mais on est toujours proches avec Julien qui vit toujours à Paris. L'envie déterminera ce qui se passera.

Ça veut dire que tu vas revenir sous ton nom ?
J'ai publié le maxi Last Train to Marzahn il y a quelques mois, le nouveau sort en mars. Quand tu refais de la musique seul, tu dois entrer dans une dynamique de production. J'ai mis du temps à le comprendre mais il faut démystifier la musique que tu fais et soigner ça par la production, ce qui ne signifie pas sortir tout et n'importe quoi. Retrouver un rapport simple et quotidien à la musique, faire de bons disques mais aussi accepter les choses dont on est un peu moins sûr. Je vais produire le disque d'Electronicat qui n'avait rien sorti depuis longtemps et avait totalement disparu. Il m'a fait écouter des trucs et j'ai trouvé qu'il y avait plein de choses à faire.

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Musicalement, tu es resté clairement identifiable dans tes productions, tu le sens ?
Je serais incapable de te dire ça. C'est quelque chose d'abstrait de faire de la musique et de définir ta démarche. Ce qui est certain, c'est que j'ai toujours été attiré par la musique indie. La musique à guitare, c'est d'où je viens. J'ai un rapport particulier aux mélodies et aux harmonies et ça n'a pas grand-chose à voir avec la musique de club qui a très clairement peur des mélodies. Elles doivent être ravageuses ou disparaître. Mon premier album est sorti il y a vraiment longtemps. J'étais à fond dans les trucs de Warp, le breakbeat à la Aphex Twin et Squarepusher, et en même temps, dans la musique de sample. C'est un autre monde que celui dans lequel je suis aujourd'hui.

Ensuite, j'ai essayé de faire un album pop, avec des chansons, parce que la musique électronique en France allait vers la pop. Je ne peux pas le réécouter, ça me mettrait mal à l'aise. Je vois ce qui m'attirait à ce moment-là. J'utilisais l'outil électronique, la facilité de produire avec synthés et sampler, pour faire de la musique seul. Avec un élément humain comme un chanteur ou une batterie quand il le fallait. C'était une autre époque en termes de moyens. J'ai eu vraiment la chance d'être aidé par mon label de l'époque, surtout Etienne qui m'a aidé à produire, emmené dans de gros studios faire des prises de son, ce qui n'existe plus aujourd'hui pour un disque de musique électronique.

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Tes titres révélaient un humour qui tranchait avec le sérieux du moment, un peu comme si tu cherchais à dédramatiser l'affaire.
J'aurais pu m'épargner ça… C'est vrai qu'à l'époque, un titre sur deux avait le mot « funk » dedans. Donc tant qu'à choisir des titres médiocres, autant qu'ils fassent marrer. Après, mes titres, c'était pas Louie CK non plus, pas le truc à passer une nuit à te poiler. Oui, j'imagine que c'était un truc de démystification.

Tu continues aujourd'hui, avec un titre comme « Ketamine Karaoke »…
Non, ça c'est par rapport à une bande d'Israéliens de Berlin. Il fallait prendre de la kétamine pour aller à une de leurs soirées où ils ont fait un karaoké. Hélas, j'y suis pas allé mais j'aurais aimé voir ça. Il paraît que c'était super. Ce titre est donc un clin d'œil à cette soirée. Dans mon processus de création, je ne suis pas en train d'écrire Guerre et paix. Oui, il y a un détachement entre le titre et le morceau. Sur le nouveau maxi, un morceau s'appelle « The Cemetery of Unsigned House Tracks » parce qu'en tant que label, je reçois depuis 10 ou 15 ans des centaines de démos de gens qui ne seront jamais signés, qui m'envoient des liens Soundcloud. Tu te demandes tout ce que ces titres sont devenus, toutes ces maquettes de deep house. Je me suis plu à imaginer un cimetière qui recueillerait tous ces morceaux sans domicile.

Ça te fait bizarre qu'on commence à célébrer la French Touch avec des films, des documentaires, des anniversaires ?
Je ne me sens pas concerné. C'est pas mon problème, pas mon monde et ça l'a jamais été, même si j'ai des potes qui sont concernés. J'ai toujours été à côté et je le dis sans volonté de faire le malin ou de jouer au franc-tireur. C'est pas mon monde, j'ai pas bénéficié de ce truc-là et j'ai jamais cherché à en bénéficier. Ce n'est pas mon esthétique musicale non plus et je ne suis pas très à l'aise avec ce que ça a généré en termes de comportement, avec certains qui se la jouaient un peu. J'ai découvert Homework comme un mec qui écoute ce qui se passe. Tous ces gens-là, je les ai fréquentés, j'ai bossé avec Pedro Winter qui a un temps été mon manager, et ça s'est bien passé. Mais il ne faut pas se forcer à faire partie d'un monde quand c'est pas le tien et que t'as pas envie d'en faire partie. C'était ni la musique que j'écoutais, ni mes codes.

Tu disais que tu venais du rock indé ?
J'ai fait beaucoup de groupes. J'ai grandi en Afrique, Cote d'Ivoire, Gabon et Cameroun, puis à Clermont-Ferrand, et c'est là que j'ai constitué ma culture musicale, mon premier groupe. Ça compte quand, à 15 balais, tu as un magasin de disques avec un vendeur passionné. C'est ça qui compte, pas la sortie de Homework.

C'est ta période Sonic Youth et Dinosaur Jr. ?
Oui voilà, l'importance de ces trucs-là… Et à partir de là, le gars t'entraîne vers des trucs plus obscurs. Tu t'aperçois que la musique, ça se cherche et que la curiosité est un jeu. J'aime toujours ça. J'essaie de faire gaffe à ne pas faire ancien combattant mais l'importance du magasin de disques est un truc qu'on ne connait plus trop. Alors que c'est le début de mon rapport à la musique. J'ai toujours une reconnaissance sans failles pour les disquaires.

Un de tes anciens morceaux s'appelle « People Should Think, Machines Should Work », toujours aussi vrai ?
À l'origine du titre, il y avait l'esthétique du morceau, avec des synthés, des voix un peu traficotées, des vocoders, des effets bizarres… je voulais un effet robotique. C'est un slogan, je crois, d'une publicité faite par Raymond Scott, que je lui ai emprunté car idéalement, j'aurais aimé que mon morceau ressemble à sa musique robotique et un peu mélancolique.

La tendance actuelle des politiques serait plutôt « People Should Work, Machines Should Think »
Oui, on est dans la culture de la productivité et de la performance, l'inverse de ce que j'ai envie de faire.

Pascal Bertin n'aime pas les anniversaires. Il est sur Twitter.