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Hannah : La première fois que j'ai vu la vidéo du meurtre, ça a été un choc. Après le premier visionnage, je l'ai regardée à nouveau, plusieurs fois, pour me faire du mal. Par la suite, je l'ai revu des centaines de fois – mais pas pour les mêmes raisons. Je cherchais des preuves pour l'innocenter. J'appuyais sur pause et je prenais des notes. J'ai même pensé à appeler son avocat pour lui apporter des preuves de son innocence. J'avais réussi à trouver un lien entre l'Église de la Scientologie – mouvement auquel Luka adhérait – et la date du meurtre, le 25 mai, même si cela n'avait probablement aucun rapport. Au pire, je me disais que Luka avait un complice qui avait commandité ce meurtre. Quand il a avoué, j'ai beaucoup pleuré.
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J'ai vu la photo de Luka à la télévision et je me souviens m'être dit : « il est mignon, c'est bizarre qu'il ait commis ce crime ». À ce moment-là, il était en cavale. À la télé, on disait qu'il avait filmé le meurtre avant de le diffuser sur internet. Quand j'ai entendu ça, j'ai voulu retrouver cette vidéo. Après quelques heures de recherches, je suis tombée sur le film. J'étais si bouleversée qu'il a fallu que j'allume la télé et que je mette une chaîne du câble qui diffuse des sketches humoristiques en continu pour trouver le sommeil.OK. Au début, comment s'est traduite ton attirance pour Luka Magnotta ?
À la suite de cette vidéo, j'ai connu un état post-traumatique. Cela a duré plus d'une semaine. De leur côté, les médias parlaient de plus en plus de Luka Magnotta. J'étais hypnotisée. Je regardais toutes les informations sur lui. C'était une fuite, je cherchais à geler mes émotions. Pendant que je faisais ça, je ne pensais à rien. En plus, au travail, ça ne se passait pas très bien ; je m'étais engueulée auparavant avec une de mes collègues qui m'avait reproché de ne pas m'intégrer au groupe. Luka était devenu mon échappatoire.J'ai commencé à faire partie des premiers groupes de soutien à Luka. J'avais beaucoup de connexions avec des filles qui partageaient mon sentiment. Je me suis fait une amie, une Belge avec qui j'ai décidé de créer un groupe intitulé « Egnimatic Luka ». Mais ça s'est terminé en embrouille. Je commençais à ressentir une forte attirance pour lui tandis qu'elle cherchait plutôt à savoir s'il avait commis le meurtre ou non – sans avouer qu'elle aussi était intéressée par Luka. Comment ça se passait avec les autres filles ?
À ce moment-là, les personnes qui se positionnaient pour Luka étaient rares. Mon amie belge pensait que mon état de santé était en train de détériorer. Elle a ouvert un autre blog et a commencé à inclure d'autres filles. De mon côté, je devenais suspicieuse vis-à-vis des autres ; je me demandais si elles avaient des contacts avec Luka. Du coup, j'ai lâché Facebook et j'ai arrêté de les fréquenter.
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Je le trouvais de plus en plus à mon goût. Je ne pouvais plus rester dans une position neutre. Sa beauté faisait la différence. J'ai même avoué à ma boss que j'étais amoureuse de lui. Pour moi, les médias sont responsables de cette attirance. Peut-être que les gens comme moi ne sont pas tous capables de gérer le flux d'informations généré par les journaux télévisés. En revanche, je sais que je ne souffre pas d' hybristophilie car je ne suis pas attirée par lui parce qu'il a commis des actes violents. Auparavant, je n'étais jamais tombée amoureuse d'un criminel. As-tu parlé de ton attirance à ton entourage proche ? Comment a-t-il réagi ?
Tous les midis, je mange avec ma grand-mère et mon parrain. Au début, à table, je faisais juste des commentaires sur Luka, histoire de les tester. Un jour, je leur ai avoué. Ils l'ont très mal pris. Ma grand-mère a été implacable : « je vais le prendre par les couilles… » Mes amis proches quant à eux, étaient au courant de mes sentiments pour Luka. Au début, ma meilleure amie n'a pas accepté, mais elle m'a écouté sans me juger.
Je le trouve fragile. J'ai envie de le sauver et de le protéger. Je comprends ce qu'il ressent. S'il avait reçu une aide adaptée pour soigner sa maladie mentale, il n'aurait jamais commis ce crime. Cette prise en charge n'aurait pas créé des personnes différentes comme lui ou moi.
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J'ai écrit pour la première fois à Luka en juillet 2012. Pour retenir son attention, j'ai envoyé ma lettre en recommandé. J'ai attendu mais il ne m'a jamais répondu. Par la suite, je lui ai écrit plusieurs fois. En décembre 2013, je lui ai demandé de m'appeler le jour de mon anniversaire. Mais rien. Dans cette lettre, je lui promettais de venir le voir à son procès. Je lui avais décrit ma tenue vestimentaire pour qu'il me reconnaisse. L'année dernière, j'aurais tout donné pour y aller.Et aujourd'hui ?
Je lui ai écrit que je ne le laisserais jamais tomber. Pour moi, il est impossible de faire autrement ; je ne connais que trop bien ce sentiment d'être abandonnée. J'ai regardé des images du procès mais pour l'instant, je n'y suis pas allée. J'habite à 500 kilomètres de Montréal. Il me faudrait payer l'hébergement sur place, tout ça pour ne même être certaine de le voir.Je vois régulièrement ma psychiatre, surtout en ce moment à cause du procès. Elle m'a dit que l'issue du procès pourrait être bénéfique pour moi. Cela pourrait me permettre de lâcher prise. Peut-être qu'elle a raison.Stéphanie Plasse est une jeune journaliste française qui collabore notamment avec Slate. Elle est sur Twitter.