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Music

Ce que voulait dire être « emo » au début des années 2000

Skinny jeans noirs, maquillage noir, cœur noir et lunettes roses : mon adolescence avec My Chemical Romance.

L'auteur de la story, en emo boy impénitent.

Je suis toujours un peu dubitatif face à la perpétuelle révérence vouée aux « cultures jeunes ». C'est peut-être parce que je ne suis pas très loin de l'âge cible pour ce genre de trucs, mais lorsque j'étais ado, j'en avais franchement rien à foutre. En tout cas, je ne m'imaginais pas faire partie de quelque chose de spécial – ou d'important. Et pourtant, me voilà aujourd'hui prêt à écrire une longue diatribe expliquant pourquoi l'emocore – même si ça n'a pas eu plus d'influence que ça sur ma personne d'aujourd'hui, pas au même niveau que le punk pour les mecs du crust par exemple – demeure l'un des trucs que je connais le mieux au monde.

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C'est, en effet, mon sujet d'excellence. Ma case sur le plateau du Trivial Poursuit. J'ai une connaissance encyclopédique de la scène screamo et de la musique metal, underground comme mainstream. Je veux vous en dire deux mots. Venez avec moi dans une aventure à base de rimmel pour mecs, de mèches couvrant un seul œil, de franges amovibles, de ceintures à clous, d'automutilation et d'homoérotisme totalement surjoué.

Comme vous le diront les puristes, le genre n'est pas, ou n'était pas, ce qui fut véhiculé par la suite via le célèbre stéréotype. Des centaines de milliers de mecs à lunettes à verres épais et t-shirts monochromes, plus à leur place en tant que figurants dans Portlandia que dans votre top-8 sur MySpace, déploreront la réputation qui lui a été faite, à savoir celle d'attrape-ado stupide. Et ils vous montreront aussi sec les vrais gars : Sunny Day Real Estate, Dashboard Confessional, Jawbreaker, etc. C'était avant la fin des années 1990, lorsque le romantisme de l'ennui du Midwest était utilisé à foison pour dynamiter ce qu'il restait de rock alternatif. Puis, ce précipité dit émotionnel s'est mélangé au pop-punk de Blink 182, et c'est précisément à cet instant qu'une nouvelle génération d'enfants tristes est née.

L'intérêt que je portais au genre m'est venu de mon usage excessif d'Internet. À 13 ans, j'avais ma première adresse mail – un Hotmail. C'était le biais par lequel j'allais être introduit à toute l'horreur de ce bas-monde, chose qui deviendrait, peu à peu, l'un des seuls trucs que j'utilise tous les jours. J'ai eu MSN Messenger, et ai commencé à ajouter des inconnus rencontrés sur des forums, juste pour voir. C'était encore l'époque des scandales à propos de prétendus pédophiles meurtriers sur Internet, c'est pourquoi je suis sûr que mes parents auraient été HORRIFIÉS s'ils l'avaient appris. On m'a aussi offert une batterie pour mon anniversaire la même année. Entre ça, mon désintérêt adolescent envers tout ce qui n'était pas récréatif, et ma nouvelle obsession pour les mystères infinis du Web, la voie menant au choix d'une garde-robe noire foncée et à l'écoute d'une musique de merde était tracée. Et assez claire pour que je m'y engage avec passion.

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Et puis je dis « musique de merde », mais j'adore cette musique de merde. Je maintiens encore aujourd'hui que les trois meilleurs singles consécutifs sortis par un groupe sont en ordre, « I'm not Okay », « Helena », et « Ghost of You », tous tirés du deuxième album de My Chemical Romance, Three Cheers for Sweet Revenge, paru en 2004. J'écoute toujours ces gros tubes pendant mes jours de nostalgie. Mais bon, il faut être honnête ; pour le reste, c'était de la merde. Surtout les paroles. L'exemple le plus connu demeure le tube de 2004 des Hawthorne Heights intitulé « Ohio Is ForLovers », où le refrain contenait l'incroyable phrase « Alors je me taille les veines et me noircis les yeux / Pour que je puisse m'endormir ce sooooir ». Un exemple parmi tant d'autres de ce qu'un collégien triste pouvait se murmurer à lui-même tout en regardant par la fenêtre du bus qui l'emmenait jusqu'à sa salle de classe.

Le suicide et l'automutilation tenaient une place importante dans la scène emo. Dans le clip du morceau « Roses for the Dead » des Funeral for a Friend, on voyait un ado harcelé qui finissait par se jeter de ce qui semblait être un parking en hauteur. Pourtant, dans mon groupe de potes, l'automutilation était souvent reçue avec moquerie. On était en quête d'attention, je crois. C'est précisément ce qui est cool quand t'es jeune : tu es aveugle à toutes les horreurs de la vie. Toute personne normale aurait été inquiétée en apercevant des cicatrices sur le bras d'une camarade de classe. Un ado vicieux voit la même chose, et ça le fait marrer.

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Dans tous les cas, il s'agissait d'une scène obnubilée par la tragédie. Et plus particulièrement fascinée par l'amour interdit. L'un des moments importants pour toute fille emo découvrant sa sexualité, c'était le baiser sur scène aux deux rois contemporains du « sexy hors-norme », j'ai nommé Bert McCracken du groupe The Used, et Gerard Way des My Chemical Romance. Il y a pas mal de parallèles à faire avec la scène indie, à ce niveau-là : l'homosexualité absolument jouée (et toujours fausse) aussi présente que chez les Libertines, de même qu'un amour sans limite pour la poésie bas de gamme. Mais si les dieux de la scène indie s'habillaient comme des soldats, avaient les dents pourries et la peau ruinée, les inénarrables ténors de la scène emo arboraient pour leur part des coiffures techniques, gardaient leur peau fraîche (en se maquillant, toujours) et portaient des écarteurs.

On peut aussi dire, avec le recul, que les mecs de l'emo furent les premiers à inventer la photo MySpace ; ils arrivaient toujours à la cadrer de façon à atténuer leur laideur. Cette célèbre technique du : moins on peut voir ta tronche, mieux c'est. Et on pouvait l'excuser, tout ça faisant partie du personnage, du look emo. Te cacher le visage avec des cheveux lissés et colorés, attirer le regard avec le scintillement d'un piercing à la lèvre, tenir ton appareil photo en l'air nonchalamment afin de dévoiler plus de ton scalp que de ton visage, etc. C'était le narcissisme timide de la jeunesse multiplié à l'infini par le fait de faire partie de cette scène ultra-narcissique.

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Après l'emo, on a eu droit à son cousin frimeur, la « scène ». Si l'emo était un couché de soleil anxieux et contemplatif sur le Midwest, la scène était le fils bâtard du hair metal : agressif, mal élevé, hypersexualisé. C'était très californien. C'est ce cousin de l'emo qui a enfanté les carrières de Sonny Moore (Skrillex) via son groupe From First to Last, ainsi que celle du groupe metalcore Bring Me the Horizon.

C'est là où ça devient plus pro, et plus mature. La scène était un truc de fêtards. C'était plus des histoires d'alcool, de baise ; c'était moins cérébral. Des artistes comme Alexisonfire, Silverstein, Underoath, et les autres ont repris ces thèmes à foison dans le screamo, mariage inévitable entre la tristesse et la colère. Mais la crasse, elle, avait disparu. Enfin, si, il y avait de la crasse, mais de la crasse hardcore : poussière, boue, sueur. Ce n'était pas de la crasse en mode déhanché moite façon Mick Jagger, qu'on pouvait encore retrouver chez tous les groupes hyper maquillés dans les pages du mag metal Kerrang !. Ça, c'était pour les groupes de Californie du sud, les descendants du Motley Crue, dont les hérauts étaient Escape de Fate, Pierce the Veil, Black Veil Brides, et tous les autres groupes avec « Veil » dans leur nom.

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En Europe, l'emo était une scène fédératrice pour tous les mecs de province. C'était pour tous ces kids qui zonaient dans les cimetières de banlieue, qui buvaient des bières dehors, qui étaient objectivement chelous et qui ne parlaient que de trucs objectivement chelous. Ce n'était pas une source de fierté, ni même un mouvement. C'était une excuse de surface, un exercice de vanité pour ceux qui rejetaient la musique dite lamestream.

Mais à un moment il faut grandir, et aller voir ailleurs. Les pogos ne devraient de toute façon pas être fréquentés après l'âge de 20 ans. Tu ne peux pas continuer à prendre des taz pour aller voir As I Lay Dying en concert toute ta vie – sinon, eh bien, tu meurs. Mais aujourd'hui, je réalise que ce n'était pas si mal. À 14 ans, tu t'apprêtes de toute façon à passer au moins six années atroces, alors autant le faire en écoutant des guitares mal accordées et un mec cachexique poussant, à la cantonade, de longs cris de peine à propos de son cœur qui se transforme peu à peu en cercueil.

Joe Bish est sur Twitter.