40 ans de punk avec les Damned

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40 ans de punk avec les Damned

« Pour moi, la règle de base, c'est qu'il ne devrait y avoir aucune règle. »

Vous le savez peut-être déjà, mais ça ne vous fera pas de mal qu'on vous le rappelle : les Damned sont le premier groupe punk anglais à avoir sorti un single. Publié en 1976, un mois avant le « Anarchy In The UK » des Sex Pistols, « New Rose » est un titre aussi brutal et joussif qu'étrange et passablement tordu. Il a été rapidement suivi par Damned Damned Damned, leur premier album, qui est, là encore, le premier LP jamais sorti par un groupe punk anglais.

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Mais si les Damned sont aujourd'hui unanimement reconnus comme les pionniers du punk, ils sont loin d'avoir l'aura et la popularité dont peuvent bénéficier les Ramones ou les Sex Pistols. Il y a une raison assez évidente à cela : les Damned étaient considérés comme bizarres et complètement à part dans une scène qui était déjà reconnue pour être bizarre et complètement à part. Influencés aussi bien par le garage 60's, la musique classique et le rock psychédélique, et menés par un frontman ultra-théâtral aux cheveux gominés, les Damned laissaient souvent le public perplexe. Et ça ne s'est pas franchement arrangé avec les années. Mais alors que le punk s'effaçait, laissant la place au post-punk et à la new wave, les Damned restaient au devant de la scène, toujours frais, excitants et surprenants, n'ayant que faire des modes et des prétendues règles du punk. Ils restaient des marginaux parmi les marginaux.

Depuis la sortie de « New Rose » il y a exactement 40 ans, les Damned ont sorti dix albums, connu d'innombrables changements de line-up et reçu une lettre d'excuses du Royal Albert Hall pour les avoir banni en 1977 en raison de leur « tenue non conforme ». J'ai profité de la nouvelle tournée du groupe, qui fêtera l'anniversaire de son premier single, pour passer un coup de fil à leur chanteur Dave Vanian et discuter avec lui du passé, du présent et du futur.

Noisey : Est-ce que l'idée de contre-culture est toujours aussi importante aujourd'hui, selon toi ?
Dave Vanian : Elle est extrêmement importante, parce que c'est là que nait tout ce qui se fait d'intéressant. Parfois, ça peut provoquer des changements radicaux, parfois ça peut être assimilé par la culture mainstream. Ce que font les contre-cultures, c'est souvent de réagir au climat ambiant, à ce qu'il se passe dans la société, sans pour autant proposer de réponse. Mais ce genre de réaction est nécessaire, et il commence toujours dans l'underground. Bien sûr, aujourd'hui, avec internet, les choses sont différentes. Tout va beaucoup plus vite, un peu trop vite d'ailleurs, je trouve – avant, les choses suivaient un rythme plus naturel. Pour découvrir de nouvelles choses, il fallait parfois aller à l'autre bout du monde. Trouver des gens avec qui tu t'entends, des gens que tu as envie de fréquenter, était également plus compliqué.

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Le punk aujourd'hui ne désigne plus qu'un genre de musique assez vague et une façon de s'habiller, très vague elle aussi…
Oui, alors que ça symbolisait tout l'inverse. L'idée, c'était qu'avec suffisamment de passion et d'implication, on pouvait tout faire, tout essayer. Durant les années 70, les portes semblaient moins fermées que durant les décennies précédentes, les jeunes voyaient de nouvelles possibilités. Avant ça, c'était l'Angleterre d'après-guerre, grise, triste, figée, dirigée par un système archaïque dont les jeunes ne voulaient plus entendre parler. Ça a été une époque de changements, pas seulement en musique, mais aussi en littérature, en journalisme, dans l'art en général… C'était génial.

Tu ne crois pas que l'époque actuelle est assez similaire ? Le fossé entre les générations est plus évident que jamais et créé énormément de tensions. 
Pour être très franc, je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que quand le punk a démarré, c'était un mouvement très optimiste. Tout le monde voulait aller de l'avant. Ce que je vois aujourd'hui est beaucoup plus cynique - on ne fait plus confiance à personne, tout le monde se focalise sur l'aspect négatif des choses. C'est vraiment tendu et je n'aime pas vraiment cette ambiance. Bien sûr, il se passe aussi de bonnes choses, mais j'ai l'impression qu'après l'âge de l'insurrection, on a atteint celui du cynisme : « le gouvernement nous cache des choses », « tout ce que j'aime peut me tuer », ce genre de choses. Je ressens beaucoup ça dans les films et les séries télé par exemple. L'innocence a complètement disparu. C'est rare que tu voies au cinéma ou à la télé un truc qui te touche par sa pureté, son innocence.

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C'est intéressant ce lien que tu fais entre le punk et l'optimisme, l'innocence, parce que pour beaucoup de gens, c'est un mouvement avant tout basé sur la colère, la violence et la destruction.
Le punk était un mouvement plein d'energie, avec énormément de colère en lui, mais une grande partie de cette colère est apparue avec les groupes de la deuxième vague. Et au moment où cette deuxième vague est arrivée, la presse avait main mise sur le mouvement, et le punk a perdu sa réelle signification pour devenir une simple étiquette. C'est pour ça que je pense que les Damned ont toujours été en marge. Nous n'étions pas un groupe ouvertement politique mais notre attitude générale faisait de nous un groupe politique. Il y avait pas mal de politique aux débuts du punk mais je trouvais que la plupart des groupes ne faisaient que se plaindre, sans proposer d'alternative. Alors que si tu parles d'un problème et que tu soumets de nouvelles propositions aux gens qui t'écoutent, c'est totalement différent. Mais c'était rarement le cas, malheureusement.

Qu'est-ce qui a provoqué ton intérêt pour la musique, à la base ?
En fait, mon truc ce n'était pas vraiment la musique au départ. J'ai évidemment toujours adoré ça et j'ai grandi en écoutant des tas de choses différentes – de la musique des années 50, du classique, des musiques de films – mais à l'origine, je voulais être graphiste ou illustrateur. Je n'ai jamais voulu faire de la musique. Mais je n'arrivais pas à trouver de job comme graphiste et j'avais envie de m'exprimer… À l'époque, j'étais tout le temps fourré à Londres, où j'allais voir des concerts, des pièces de théâtre, des performances, et il n'y avait que très peu d'endroits où les gens à la dégaine bizarre comme moi étaient acceptés.

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Et un jour, quelqu'un m'a proposé de jouer dans un groupe et j'ai dû répondre un truc genre : « Ouais, je peux chanter. » Et avant même que je ne le réalise, j'étais dans un studio en train de jouer des titres garage 60s avec un groupe monté de toutes pièces. Et j'ai très vite réalisé que j'adorais ça. C'est sans doute pourquoi j'ai un regard très différent sur tout ça – parce que je n'ai jamais eu envie de monter un groupe, de chanter dans un groupe punk. Je n'ai pas eu à me créer de personnage pour monter sur scène. J'étais carrément pas cool. Je ne me sapais pas comme les autres et ce que je faisais n'était pas considéré comme étant punk. Pour moi, on faisait du garage, comme les groupes des 60s que j'aimais, les Stooges, le MC5… Et puis un journaliste nous a collé l'étiquette « punk » et c'était parti…

Ça devait être frustrant pour vous qu'on vous colle une étiquette, quand on sait à quel point vous avez pu évoluer, explorer des styles différents…
Pour moi, la règle de base, c'est qu'il ne devrait y avoir aucune règle. Je ne voulais pas être réduit à un son, une scène, et c'était difficile. Les labels ne comprenaient pas pourquoi on changeait de style d'un disque à l'autre. On ne rentrait pas dans les cases. Pourquoi ? Parce que notre line-up n'arrêtait pas de changer et qu'on avait tous des influences différentes, c'est aussi simple que ça.

Vous aviez aussi un look très différent. On vous critiquait beaucoup à cause de ça ?
Au début, oui, énormément. Les gens nous trouvaient trop théâtraux. Je n'avais pas de crête, pas de cheveux en pointe comme tous les autres punks. Je ne voulais pas ressembler aux autres punks. J'étais moi-même, c'est tout. Des tas de gens se dressaient contre nous. Il y a eu des concerts desquels on a du s'enfuir en courant. Une fois, des types nous attendaient à la sortie avec des chaînes et des manches de pioche. Notre van s'est fait vandaliser à plusieurs reprises, on nous crevait les pneus régulièrement…

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Qu'est-ce qui vous motivait, vous donnait envie de continuer ? Il n'y a pas eu de moments où vous vous êtes dit : « oublie, je vais devenir comptable » ?
Il y a eu beaucoup de moments où je me suis dit : « pourquoi est-ce que je me complique la vie ? Pourquoi est-ce que je n'irais pas dans le même sens que tout le monde, ce serait plus simple ? » Et puis tu le fais, ça dure un moment et tu réalises que tu n'es pas à l'aise, que tu ne te sens pas bien. Alors tu reviens à ce que tu faisais avant, parce que c'est ce qui te correspond vraiment. J'ai essayé de m'adapter quand j'étais gamin – parce que j'ai grandi dans un environnement très dur. Mais j'ai fini par le regretter.

Aujourd'hui, un gamin peut sortir habillé en noir avec du vernis noir sur les ongles sans que ça ne choque personne. Quand j'étais jeune, c'était différent. Je pouvais me faire casser à la gueule au moindre coin de rue. Les gens m'insultaient. Ça semble dingue aujourd'hui, mais le simple fait de s'habiller en noir posait problème. Les gens me demandaient : « pourquoi t'es habillé en noir ? Tu vas à un enterrement ? » Mais c'était mon truc et si ça me correspondait, pourquoi aurais-je dû faire des efforts pour m'adapter au reste de la société ?

Tu penses qu'il y aura un jour un nouveau mouvement musical aussi révolutionnaire que le punk ?
Oui, bien sûr. Tous les 10-15 ans, de nouvelles idées fortes surgissent et je suis impatient que la prochaine vague arrive, qu'on puisse enfin dégager pour de bon ! Ce sera très différent ceci dit, les groupes n'auront pas de guitares – plutôt des instruments qui n'existent pas encore, ou alors de vieux instruments comme le theremin, qu'ils utiliseront de manière totalement différente. Pourquoi ne pas subvertir la musique classique ? Ça fait des siècles qu'elle ne bouge pas. Il y a des tonnes d'instruments là-dedans, on pourrait en faire quelque chose d'incroyable. Imagine un orchestre de 100 musiciens qui partirait complètement en sucette, ce serait d'une puissance phénoménale. De nouvelles choses vont apparaître et quelles qu'elles soient, je les accueillerai à bras ouverts.

Qu'est-ce qui, selon toi, pourrait déclencher un tel mouvement ?
Si je le savais, je le lancerais sans plus attendre ! C'est souvent les périodes les plus dures et difficiles qui provoquent ce genre de choses. Avant l'arrivée d'Hitler au pouvoir, il y avait de la musique géniale à Berlin – c'était une réaction à ce qui était en train de se passer. Qui sait ce qu'il va se passer ? Le seul truc qui me fait parfois douter, c'est que les gens vivent dans un trop grand confort matériel - tout le monde a une voiture, un téléphone, une télé, un accès internet… Mais je reste confiant. J'espère vraiment qu'il se passera quelque chose. Et j'espère que ce ne sera pas un truc nostalgique, un revival punk ou un truc du genre – je veux quelque chose de nouveau. Ce sera sans doute inécoutable pour toi et moi, mais ça aura une importance et ça finira par arriver.

Ça fait 40 ans que tu fais de la musique. Qu'est-ce qui fait que ça te passionne toujours ? 
Parce que je continue à apprendre et à découvrir des choses. La musique c'est quand même assez particulier : contrairement à un film ou un esérie, tu peux écouter un morceau des milliers de fois sans jamais t'en lasser. Il me reste encore tellement de choses à écouter, que ce soit dans les années 30, les années 60 ou le classique. C'était un des trucs bien avec le punk à la base : tu pouvais tout écouter, il n'y avait pas de « faut écouter ça, faut pas écouter ça ». Si ça te parle d'une manière ou d'une autre, c'est que c'est bon.

Toutes les photos sont de John Ingham Biju est sur Twitter