FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Le Rock des banlieues

Fondateur du groupe Quartiers Nord, Robert Rossi publie un livre passionnant qui nous plonge dans le Marseille des années 70 et 80, peuplé de djobis chevelus, de producteurs nazis et de flics électriques.

« Bonsoir bandes d'enculés ! » C'est comme ça que Quartiers Nord se présentait à son public en 1977, l'année où le groupe s'est formé, à Marseille. Une époque où les mecs des banlieues, ou les fils de prolo en général, rêvaient de jouer dans des groupes pour quitter le béton, serrer les gonzesses et finir ailleurs qu'à l'usine. Quand Robert « Rock » Rossi a monté son groupe avec 4 copains du lycée, ils avaient le background musical et universitaire en plus. Car Quartiers Nord n'a jamais eu grand chose à foutre des tendances de son époque. Le punk ? Il a eu peu d'impact sur leur musique, eux qui étaient plus influencés par le Weather Report que les Sex Pistols, et qui préféraient utiliser leur « parler gras » local que de singer les anglo-saxons. C'est ce que raconte Le Rock des banlieues, dernier livre de Robert Rossi (également auteur d'une thèse sur le fameux écrivain mystificateur Léo Taxil), qui détaille les débuts du groupe, de 77 à 81, de leurs concerts déconneurs dans les facs et MJC, leurs « raids » à l'étranger, à l'enregistrement de leurs deux premiers albums, Quartiers Nord et Suspect. Quartiers Nord a aujourd'hui 40 ans et joue toujours, même si leur rock-hard a laissé place à un cocktail bal musette à la provençale. On a contacté Robert pour qu'il nous en dise un peu plus sur les engatses, les déguns et les gandins qu'il a croisés sur son parcours.

Publicité

Noisey : Comment les soubresauts de 1968 ont-ils été vécus à Marseille ? Ce dont tu parlais dans tes premiers bouquins je crois.
Robert Rossi : Ils ont, je crois, été vécus à Marseille un peu de la même manière que dans toute la contre-culture « émancipée » du monde entier, des États-Unis à l'Afghanistan en passant par les pays dit « non-alignés », chacun ajoutant sa touche autochtone, sa spécificité locale dans cet ample mouvement universel. Notre touche à nous, c'était l'influence de l'Italie, de la Méditerranée, le parler marseillais et l'esprit de la galéjade. Nous ne pratiquions pas la vie en communauté mais en revanche, notre « bande » de lycée s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui.

Rock des banlieues est le dernier volet d'une trilogie de romans autobiographiques qui racontent la genèse et la naissance de Quartiers Nord : L'Aire victorienne, les années lycées (en l'occurrence Victor Hugo à Marseille) où nous nous sommes connus à travers les activités créatrices d'une bande de copains; Les Cons Positifs, les années fac avec ses films et les premiers voyages en routard à travers l'Europe, et enfin Rock des banlieues, qui relate les 3 premières années du groupe.

Quels ont été les autres groupes que tu as montés avant Quartiers Nord ? En 77, l'idéalisme s'était déjà fait la malle, non ?
Il y a eu, pour te situer, Vomic Diarrhoea (1972), Sri Isopanisad (1972), Big Ol' Band (1973), Délirium Tremens (1975), Contraste (1975-1976) et Hurricane (1976). En 1977, nous n'avions que 20 ans, mais on peut dire que nous sommes restés fidèles jusqu'à aujourd'hui à notre idéal de jeunesse.

Publicité

Tu penses qu'il est plus facile aujourd'hui de monter un groupe, quand on vient des quartiers ? Même si l'heure est plus au rap qu'au rock.
Oui, c'est plus facile de monter son groupe aujourd'hui. Déjà ,on n'a pas, en principe, les parents qui font tout pour nous en empêcher. Par contre, lorsque l'on vient des quartiers, la musique rock n'a, mais je vois ça de loin, aucun sens. Déjà matériellement, il est plus difficile de se payer du matos. Pas étonnant que l'apparition de l'ordinateur ait facilité les modes d'expression. De plus, idéologiquement, les jeunes des cités des quartiers nord de Marseille sont largement plus portés sur le rap et la culture musulmane comme vecteurs revendicatifs. On est loin de la libération sociale, sexuelle et trans-genre prônée par le rock. Ça me fait penser un peu à la différence qui pouvait exister aux USA entre les Black Panthers et les Black Muslims.

Mais même au début de Quartiers Nord, le rock n'était pas la musique écoutée dans ces quartiers, plus portés vers le disco et la soul. Nous avons été conviés, il y a une dizaine d'années, à faire partie d'un jury pour un concours de jeunes musiciens et j'ai été surpris que tous les groupes des quartiers Sud étaient des groupes de rock tandis que tous les groupes des quartiers Nord étaient des groupes de rap. Pour revenir aux « facilités » de faire de la musique aujourd'hui, il faut préciser qu'à notre époque, il existait tout ce maillage de MJC (investissement de l'état dans la Culture) dont nous avons pu bénéficier. Aujourd'hui, tout ceci a disparu. Il n'existe plus que les bars, lieux très confidentiels souvent tenus par des mafres (sortes de petits escroc liés à la pègre locale).

Publicité

Ça te parle, le rap ?
Non, le rap ne me parle absolument pas. Pour moi, ce n'est pas un mouvement « émancipateur », mais régressif au niveau des valeurs : sexisme, homophobie, religion, etc…

Revenons au groupe, et au livre. En 1978, vous refusez une première partie de Bernard Lavilliers ! Des regrets ?
Plein de groupes ont passé leur vie à faire des premières parties. Ça ne les a pas amenés bien loin… Toute la spécificité de Quartiers Nord a justement consisté en sa singularité tout au long de son cheminement de 40 ans, avec une allergie viscérale aux « faiseurs de fric ». Après, il y a le revers de la médaille : notre capacité d'action très réduite et notre périmètre est souvent confiné à la région marseillaise.

Vous jouiez pas mal dans le circuit universitaire d'ailleurs. Elles sont allées jusqu'où les études pour les membres de Quartiers Nord ?
De mon côté, je suis retourné sur les bancs de la fac à l'âge de 40 ans pour suivre un cursus universitaire en Histoire et j'ai soutenu une thèse d'Histoire contemporaine en novembre 2014. Loise, le guitariste, est passé à l'époque par l'École normale d'instituteurs où il a connu les futurs premiers musiciens du groupe : François Linget (basse) et Pierre Bedouk (batterie).

L'histoire de votre premier producteur, un ancien nazi devenu chauffeur de taxi, est assez rocambolesque. Il existe toujours ce « Herr Danzer » ? Aucun de vos potes zélés n'a jamais eu envie de le balancer ?
Plus aucune nouvelle de Danzer après l'enregistrement de la maquette. Le balancer ? À mon avis, il y avait déjà prescription comme on dit. En Allemagne, à l'époque, il n'était pas question de « balancer » tous les anciens nazis. Il aurait fallu balancer quasi tout le pays. Au contraire, les plus efficaces d'entre eux ont été recrutés par l'armée américaine pour mater les révolutions latino-américaines. En Allemagne même, tout ce « personnel » a été réinséré dans les rouages de la société.

Publicité

L'arrivée du punk, vous qui étiez carrément branchés sur le « son ennemi » (jazz-rock, prog, psyché), n'a pas eu l'air de trop vous chambouler. Il existait des tensions entre bandes ou groupes à Marseille début 80's ?
Nous n'étions pas du tout branchés sur le genre mais nous jouions avec, notamment au niveau du look et du logo. Il existait plutôt une rivalité entre groupes. Les exactions décrites dans le bouquin sont celles des fans de groupes, et non des musiciens eux-mêmes. Je viens de terminer une Histoire du rock à Marseille qui sortira le 18 mai 2017 et j'ai pu le vérifier en interrogeant les musiciens en question.

Et avec les groupes d'autres villes, au hasard Paris, que vous avez expérimenté furtivement lors d'un concert au Golf Drouot un soir de France-Italie ? Et Londres, ça vous faisait fantasmer ?
Bien sûr, ça nous faisait râler quand les médias passaient du Trust ou du Téléphone, car nous considérions que nous avions des musiciens largement supérieurs au niveau des guitares… Mais pour nous, Paris était l'emblème même de la centralisation, du parisianisme et du show-biz, que nous exécrions. Londres était une référence au niveau du savoir-faire et des influences, mais nous ne voulions pas singer les anglo-saxons. Beaucoup de groupes se contentaient de faire du copié-collé. Pour nous, ce n'était pas intéressant. Nous voulions apporter notre grain de sel, en nous tournant plutôt vers le parler populaire de notre ville et vers la Méditerranée.

Publicité

Vous qui en étiez proche, il se passait quoi d'intéressant dans la scène italienne à cette époque ?
Le rock italien fourmillait de groupe qui, là-bas, remplissait des stades et dont nous n'entendions jamais parler en France. PFM était les leaders du rock-progressif avec Banco, Le Orme, etc. Il y en avait des myriades d'autres. Il y avait aussi un groupe jazz-rock-fusion complètement allumé, branché aussi sur Bach et les musiques traditionnelles méditerranéennes et positionné à l'ultra-gauche : Area. Ils avait un chanteur grec né en Égypte, Démitios Stratos. Atteint d'un cancer de la gorge, tous les groupes italiens de l'époque se sont unis pour un festival extraordinaire dans un stade afin de recueillir des fonds pour tenter de le sauver, en vain.

Quartiers Nord a t-il été inquiété par la « dope » durant sa carrière ? Tu mentionnes le coup de filet du réseau Thaïlande-Marseille au cours d'un chapitre.
Le « réseau fourmi » ne nous a pas inquiété. Les musiciens eux-mêmes étaient des consommateurs très légers, plus fumette qu'autre chose. Moi, je me suis toujours refusé à ça. Et le fait que je ne fumais même pas de cigarette m'a sans doute aidé. Mais il est évident que la drogue fait encore des ravages à Marseille. On en entend parler tous les jours ou presque.

Avec le recul, quel regard portes-tu sur la création des MJC (aujourd'hui remplacées par les SMAC) ?
J'ai un regard très positif sur le réseau des MJC. À mon avis, les SMAC n'ont rien à voir avec ça. À l'époque, il y avait un investissement réel de l'état dans la Culture, et les MJC ne faisaient pas de sélection préalable.

Publicité

Il vous arrivait de duper votre public, en envoyant un de vos potes sur scène avant vous, qui se faisait passer pour un musicien classique, pendant que vous l'humiliiez à distance au milieu des spectateurs. C'est arrivé que ça tourne mal ? Même s'il y avait parfois des flics dans l'audience !
Notre jeu avec le public n'était certainement pas destiné à « l'humilier ». Bien au contraire, nous nous tournions nous-mêmes en dérision. C'est plutôt un sens du spectacle que nous avons perpétué plus tard avec nos opérettes-rock. À l'époque, c'était plus spontané, improvisé. Jamais aucun problème avec le public, sinon quelques jobards facilement identifiables. Mais les fans n'étaient pas ingérables. C'étaient plutôt nos aides, ils faisaient partie de l'équipe : chauffeurs, service d'ordre. Pour ce qui est des flics qui connaissaient nos chansons, cela tendait à prouver que nous avions une certaine notoriété locale à l'époque.

Dans le livre, tu déplores à plusieurs reprises les groupes français qui singeaient les anglo-saxons. Cette comparaison qu'on a fait de vous, « entre Trust, Zappa et Raoul Petite », elle vous convenait ?
On l'a sans doute un peu fait nous aussi, mais nous nous reconnaissions dans cette phrase de Peter Gabriel qui disait que le rock était une musique universelle qui devait se nourrir de particularismes locaux. Zappa était une référence pour l'éclectisme et le rire (comme pour Raoul Petite). Quant à Trust, ils ont sans doute d'écouter les mêmes disque de hard que nous à leurs débuts.

Publicité

Vous les avez déjà rencontrés ?
Nous avons joué deux fois à l'occasion de festivals avec eux, mais nous ne les connaissons pas personnellement.

Parle-moi du concept de « francitan ».
Il a à mon avis été inventé par ce chanteur occitan de l'époque : Jean-Marie Carlotti. À mon avis, il traduisait la frustration de l'absence de groupes populaires contemporains qui chantaient en occitan. Ce vide pour les militants de la culture occitane à Marseille a été plus tard comblé avec l'arrivée du Massilia Sound System.

Déçus de votre premier album, vous vous êtes empressés de sortir le deuxième, Suspect. Dans quelles circonstances a été enregistré le troisième, Bancal, sorti en 1983 ?
J'ai raconté dans quelles conditions a été enregistré notre premier album. Nous étions confrontés au manque de fric et à l'incompétence des preneurs de son de l'époque dans notre région davantage portés sur la variétoche ou les kermesses. Bancal, enregistré à Paris, a malheureusement souffert des mêmes problèmes que le premier : un budget ridicule.

Comment expliquer qu'aucun label ne vous ait jamais signé lors du grand boom du rock alternatif français au milieu des années 80 ?
Nous n'avons jamais signé avec un label car, comme je l'ai écrit dans Rock des banlieues, nous examinions les contrats à la loupe et les corrigions. Ce qui déplaisait fortement aux producteurs !

16 albums plus tard, l'identité de Quartiers Nord est-elle restée la même ? Vous pensez à la retraite ?
Après 40 ans, je pense qu'elle est restée la même oui, sauf que nous nous appuyons aujourd'hui encore davantage sur l'éclectisme, la déconne et le théâtre (nous avons monté, ces 15 derniers années, 7 comédies musicales) en laissant un peu de côté la tendance hard même si elle revient à l'occasion. Nous ne pensons pas à la retraite, y penser c'est la mort assurée. Nous nous sentons encore en forme. Mais cela ne nous empêche pas, moi en particulier, avec ma formation d'historien, de me pencher sur le parcours du groupe et, au-delà, sur l'état d'esprit de toute une génération, pour le replacer dans son contexte historique. Et c'est très intéressant aussi.

Rock des banlieues est disponible aux éditions Quartiers Nord

Rod Glacial joue au toti sur Twitter.