Culture

On a interviewé le réalisateur du porno avec Michel Houellebecq

« Si des femmes veulent coucher avec lui, elles peuvent aller sur mon site internet et me contacter. »
On a interviewé le réalisateur du porno avec Michel Houellebecq
PARIS, FRANCE - 19 JUIN : L'écrivain Michel Houellebecq et sa femme Qianyum Lysis Li. Fashion Week de Paris. (Photo par Bertrand Rindoff Petroff/Getty Images)

Poète, romancier, acteur, essayiste, Michel Houellebecq, l'auteur français vivant le plus lu au monde, prix Goncourt et pressenti pour le Nobel de littérature, a plusieurs cordes à son arc d’artiste. Depuis quelques jours, il peut se targuer d’en avoir ajouté une nouvelle : star du porno. Quelques secondes d’un teaser, où on le voit rouler des pelles à une jeune femme, auront suffi à déchaîner Internet. Mais que cache-t-il derrière ce projet ? Stefan Ruitenbeek, le réalisateur néerlandais du film, nous éclaire sur ce projet plus profond qu’il n’en a l’air et qu’il considère comme de l’art. 

Publicité

VICE : Qui êtes-vous Stefan Ruitenbeek ?
Stefan Ruitenbeek :
Je suis un artiste de 41 ans vivant à Amsterdam et je réalise des films sur le monde de l’art. Mon projet est une plateforme qui s’appelle KIRAC (Keeping It Real Arts Critics) que j’ai lancé en 2016. Le film porno qui met en scène Michel Houellebecq est le 27ème film que nous avons produit. Nous fonctionnons grâce au mécénat.

Quel était l’objectif initial du projet ?
Le but était de faire le portrait du monde dans lequel je vivais, le monde de l’art. Je prétendais être un critique d’art et cela m’a donné accès à ce milieu, les musées, les collectionneurs et bien sûr les soirées. Honnêtement, l’important pour moi ce n’était pas tellement d’être un critique d’art mais plutôt de côtoyer ces gens, d’enquêter pour pouvoir faire des films sur ce sujet.

Comment avez-vous rencontré Michel Houellebecq ?
On a commencé à s’envoyer des mails en 2019, à propos d’un de mes films, KIRAC épisode 16. Le film était une confrontation entre le mécène d’un musée et le directeur de celui-ci. Il s’avère que cet homme qui gère le musée est un marxiste et que l’art qu’il montre est chiant. Ce sont juste des trucs à propos de pauvres gens en Afrique. La discussion a dérivé sur les opinions politiques dans l’art et le nom de Michel Houellebecq, qui est connu pour avoir des opinions de droite, est sorti. Ma femme a fini par dire à la caméra que cet écrivain est profondément pathétique et qu’il en a parfaitement conscience. Je l’admirais beaucoup, j’étais curieux de voir ce qu’il pensait à propos de cette analyse. Il a répondu à mon mail en me disant qu’il n’était pas tout à fait d’accord. On a continué à s’échanger des mails, puis je lui ai proposé qu’on se rencontre à Paris, pour lui parler d’un projet de performance artistique que je voulais organiser à Amsterdam autour de son œuvre.

Publicité

À quoi ressemblait ce premier rendez-vous ?
Il ne s’est pas pointé ! Mais sa femme, Lysis Houellebecq, est quant à elle venue. Elle m’a dit, “mon mari est trop déprimé pour aller à Amsterdam pour ce projet de performance, la seule chose qui le rende heureux c’est de coucher avec beaucoup de femmes. Mais c’est de plus en plus dur de lui procurer des femmes qui acceptent de coucher avec lui, on ne trouve pas de groupies et il n’aime pas payer des prostituées”.

Je vois. Qui a eu l’idée de faire un film porno ?
C’est sa femme et lui. Ils avaient vu un de nos films “Honey pot” dans lequel une jeune étudiante, Jini van Rooijen, était supposée coucher avec un mec d’extrême droite, Sid Lukkassen. Ça leur a donné envie de faire quelque chose de similaire. Lysis Houellebecq m’a dit “si tu veux vraiment l’aider, il faut que tu le transformes en star du porno”. Je ne pouvais pas dire non ça aurait été impoli. Je veux lui donner ce qu’il désire, je veux le rendre heureux. J'ai une relation difficile avec mon père, je n’ai pas de figure paternelle dans ma vie, donc je veux souvent faire plaisir aux hommes plus âgés. Ce n’est pas juste une relation que j’entretiens avec Michel Houellebecq, c’est le résultat de mes traumatismes.

Publicité

Vous n’avez donc pas eu besoin de le convaincre ?
Pas du tout ! Le lendemain de cette première rencontre avec sa femme, nous avons tourné la première scène chez lui à Paris. Une fille avec qui je travaille, Jini van Rooijen, m’avait accompagné à Paris et elle m’a tout de suite proposé de faire la scène car elle adore l’écrivain. 

Est-ce que Michel Houellebecq a bien géré la présence de la caméra ?
Il est très énergique. Le premier jour, il a couché avec Jini dans sa maison à Paris, il se sont très bien entendu. C’était incroyable, on a fait beaucoup de positions, des pipes, des cunnis. Dans ses livres, les personnages qui lui ressemblent sont moches, ils n’arrivent pas à avoir des femmes, mais dans la vraie vie Houellebecq est un séducteur. Au lit il est très bon, il baise comme un fou, il est vraiment viril avec les femmes. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Je pensais qu’il allait jouir en 3 minutes mais il a baisé pendant des heures. C’est un vrai mec. 

Qui était l’actrice pour cette première scène ?
Jini van Rooijen. Cette fille est une étudiante en philosophie et modèle sur OnlyFans. Les gens de son université l’ont stigmatisé car elle couchait avec beaucoup d’hommes. Elle s’est fait insulter de salope publiquement. On a commencé à travailler ensemble pour “Honey pot”, quand elle devait coucher devant la caméra avec un militant d’extrême droite. À ce moment là, je m’interrogeais sur cette nouvelle norme sexuelle très prude. On observe un retour de la morale à gauche, avec le wokisme et me too, mais également à l’extrême droite. À l'époque, je voulais confronter ça.

Publicité

Combien de temps a duré le tournage ?
En tout, nous avons tourné 6 jours entre Amsterdam et Paris. Il n’y a pas que des scènes de sexe dans ce film. Houellebecq parle de philosophie avec les filles entre les scènes, on est allé au restaurant, etc. 

Combien de personnes ont participé au tournage ?
En tout 4 femmes ont couché avec Houellebecq. Sa femme Lysis était également présente durant toute la durée du tournage.

Quel était son rôle ?
Elle a participé à certaines scènes devant la caméra mais elle a aussi mis à l’aise les filles, elle apportait de l’eau, leur prodiguait des conseils. Elle était comme une assistante sexuelle.

Finalement que voulez-vous montrer de Houellebecq avec ce film ?
Cet auteur est devenu immortel grâce à ses livres, son œuvre est là pour l’éternité, ce qu’il a créé va rester pour des siècles. Mais aujourd’hui, Michel Houellebecq c’est aussi un vieux corps qui va bientôt mourir. Même si son corps est proche de la fin, il lui réclame du sexe, d’être touché, des orgasmes et du bonheur. Tu peux être le plus grand auteur de littérature, tu peux marquer l’histoire, mais à la fin tu restes ce petit corps, ce petit bout de chair qui ne vivra plus très longtemps. Ce film parle donc d’intimité, d’amour et ce que cela veut dire d’être un vieil homme de 66 ans dépressif. Pour Michel Houellebecq, ce n’était pas qu’une question de sexe. Ce qui l’intéressait c’était aussi la signification de cette performance, celle d’un écrivain à la fin de sa vie qui devient une star du porno. Il aurait pu juste payer une prostituée si ce n’était qu’une histoire de baise. 

Publicité

Sa relation avec sa femme est aussi une composante importante du film non ? 
C’est vrai que le film est aussi à propos de Lysis Houellebecq. Une femme dévouée qui essaye par tous les moyens de rendre son homme heureux. C’est très dur, elle est vraiment en souffrance. Cette femme est entièrement dédiée à son mari mais c’est impossible de le rendre heureux car il fonctionne comme un trou noir. Il aspire toute la joie autour de lui et la fait disparaître. Sa femme est démunie. Il peut écrire autant de livres merveilleux qu’il veut mais il se sentira toujours aussi merdique. En revanche, quand il baise, il est joyeux mais 2-3 jours plus tard il est de nouveau au fond du trou. Pour moi, c’est très choquant de voir quelqu’un autant en détresse, je n’ai jamais vu ça de ma vie, ça me touche beaucoup.

Qu’avez-vous découvert sur l’auteur durant ce tournage ?
À part le fait qu’il baise vraiment bien, ce que j’ai découvert c’est que Lysis est un personnage bien plus compliqué que ceux de ses livres. Les personnages féminins de ses livres, quand il y’a de l’amour, sont des femmes magnifiques, pas très compliquées, qui lui donnent leur corps.  Lysis souffre beaucoup d’être la femme de Michel Houellebecq, elle se plie en quatre pour aider son mari à sortir de sa dépression, mais elle est complètement désarmée.

Publicité

J’ai aussi découvert que c’est quelqu’un de très manipulateur. Il obtient toujours ce qu’il veut, et franchement j’admire cela.  Je lui envoie un mail pour un événement artistique et quelques semaines plus tard il couche avec mes actrices et en plus c’est sa femme qui organise tout. C’est incroyable ! 

Est-ce que vous pensez que Houellebecq se contredit quand il dit que l’Occident est décadent alors que lui-même est devenu une star du porno ?
Je ne pense pas qu’il y ait une contradiction entre constater que notre société est décadente et devenir décadent soi-même. Les valeurs traditionnelles sont perdues depuis longtemps alors pourquoi ne pas devenir une star du porno ?  

Quels sont vos prochains projets ?
Nous sommes en train de finaliser le montage de ce film qui sortira en mars, puis on va refaire un film avec Houellebecq. Si des femmes veulent coucher avec lui, elles peuvent aller sur mon site internet et me contacter.

Merci Stefan.

VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook.