The Goon Sax vont mettre une tannée à l’indie pop

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The Goon Sax vont mettre une tannée à l’indie pop

Grâce à une vulnérabilité non feinte et un talent éclatant pour écrire des merveilles de chansons pop, le trio australien, pas encore tout à fait sorti de l'adolescence, a de quoi revigorer vos petits cœurs ravagés et vos petits culs défroqués.

Dans 30 minutes, The Goon Sax devront faire leurs balances avant leur concert au Melbourne Gasometer Hotel du soir, mais j’ai comme l'impression qu’ils vont devoir décaler. On se trouve devant la maison où est stocké tout le matériel du trio de Brisbane, et personne n’arrive à mettre la main sur les clés. Au pied du mur, chaque membre du groupe décide de mettre en place la stratégie qui lui paraît la plus à-même de les faire entrer.

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Riley Jones, la batteuse, décide de passer la terrasse au peigne fin, regarde sous les pots de fleurs, sur les rebords des fenêtres et finit par essayer de faire passer un cintre tordu sous la porte, pour voir ce qui traîne par là. Louis Forster, en charge de la guitare et de la basse, qu’il alterne avec son acolyte James Harrison, s’empare d’une scie à métaux rouillée et essaye d’ouvrir plusieurs fenêtre de la maison en faisant levier. Devant l’échec de ses tentatives, il fait le tour de la maison et, dans le jardin, à l’arrière de la bâtisse, il tombe sur James qui crie, comme si quelqu’un pouvait être enfermé dans la maison et, l’entendant, déciderait d’ouvrir.

Après une petite demi-heure de tentatives infructueuses, James décide d’empiler deux cartons de lait et de monter dessus pour atteindre une fenêtre entrouverte et essayer d’ouvrir le loquet que nous sépare du précieux matériel. C’est sans aucun doute la manière la plus tordue qui soit de rentrer dans la maison, et alors que nous le regardons s’affairer, Louis se tourne vers moi, montrant un visage peiné. Il marmonne : « Je suis désolé. Ce genre de truc, ça n’arrive qu’à nous. » James parvient finalement à faire sauter le loquet de la fenêtre, se faufile dans la maison et nous ouvre enfin la porte. Le trio n’a pas l’air trop perturbé.

De droite à gauche : James Harrison, Riley Jones, Louis Forster

Ce flegme s’explique sans doute par le fait qu'un joyeux bordel semble entourer le groupe où qu’il se trouve. J’étais censé passer trois heures (quatre maximum) avec The Goon Sax. Mais suite à une série d’événements dignes des plus grandes heures de Franquin, dont un déjeuner bâclé, une séance photo à rallonge et l’épisode des clés, nos trois heures en ont duré sept. Mais peu importe. Car malgré ce chaos sans nom, les choses semblent rentrer dans l’ordre.

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Depuis leur premier album en 2016, le précoce Up To Anything, The Goon Sax reçoivent des louanges de partout : la NPR les a comparés aux Talking Heads, Pitchfork et Stereogum à Courtney Barnett, et le Guardian leur a accordé 5 étoiles, sa meilleure note. Et pour la promo du disque, ils ont tourné avec la crème de la nouvelle scène indie DIY U.S, des noms tels que Frankie Cosmos, Whitney et U.S. Girls. Si l’histoire semble vue et revue, il y avait tout de même quelque chose de délicieusement informe dans ce Up To Anything, qui a permis aux Goon Sax de ne pas être un nouveau feu de paille comme on en voit si souvent parmi les groupes vendus comme la nouvelle merveille pop indé. Et c’est une bonne chose. Le second album du trio, We’re Not Talking, sorti en septembre chez Chapter Music et Wichita Recordings, fonctionne comme la première véritable présentation du groupe ; c'est un disque de rock indé miraculeux et énergique, qui révèle trois musiciens ambitieux, imparfaits et incroyablement talentueux.

Lors de ma première rencontre avec The Goon Sax, le groupe déboule en ayant l'air de porter le poids du monde sur ses (fêles) épaules. Le réveil a été matinal pour eux (11 heures du matin), et c’est le regard vide qu’ils entrent dans la pièce pour subir la séance photo, sans avoir vraiment pu fermer l’œil après le vol qui les amenait de Melbourne, tard hier soir.

Les trois membres du groupe sont à la fois beaux comme des teen idols et pas du tout conscients de l'être. La douceur de James contraste avec sa tignasse de paille ; Louis est grand et anguleux, et renvoie depuis peu une image de mec cool ; Riley me regarde avec de charmants yeux gris, en amande, et une jolie chevelure blonde qui lui tombe sur les épaules. Elle porte un T-shirt d'un album de la chanteuse de Melbourne Angie, sur lequel est écrit « SHYNESS » (ce sentiment a l'air d'être aussi bien porté par Riley que par les deux autres membres du groupe). S'ils dégagent quelque chose d'extrêmement cool tous les trois, ils semblent bien plus à l'aise quand ils sont ensemble qu'individuellement.

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Riley Jones

Pendant la séance photo, chacun semble un peu ahuri lorsqu'on leur dit comment se placer, comme s’ils ne s’étaient jamais regardés dans un miroir. Quand ils regardent les portraits, ils ont comme une sorte de révélation : « Louis, t’as l’air d’un beau gosse », lui lance James, à voix basse ; et Louis, devant les photos de Riley, « Celles-ci sont magnifiques. »

Tous les trois semblent habités par une très grande timidité, la dynamique de groupe permettant de dévier quelque peu l’attention. La façon dont chacun s’exprime donne l’impression d’un équilibre parfait avec les deux autres. La voix calme de Riley contrebalance celle, plus criarde, de Louis, dont les phrases courtes et sèches apportent une certaine clarté aux marmonnements de James qui commencent généralement assez fort avant de se craqueler en mille morceaux. Plus souvent que de raison, ces traits d’esprit et autres anecdotes font jaillir un petit cri perçant ou un gloussement étouffé de Riley. La symbiose, résultat de longues années d’amitié, est parfaite.

The Goon Sax se sont rencontrés alors qu’ils étaient adolescents, et comme souvent chez les jeunes gens de leur âge, il est difficile de savoir précisément pourquoi ils sont devenus amis. Après un accrochage avec un serveur du bar dans lequel nous allons nous asseoir pour mener l’entretien – sans doute dû au fait que James fume trop près de la porte et que Louis renverse un vase alors que nous sommes là depuis moins de 30 secondes – ils essaient de se souvenir de leur rencontre.

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James, aujourd’hui âgé de 21 ans, et Louis, 20 ans, se sont rencontrés pour la première fois voilà 5 ou 6 ans, par un ami commun. Après les cours, ils allaient souvent chez James, une grande baraque de style Queensland, à Kelvin Grove, un quartier dortoir un peu excentré de Brisbane, à 45 minutes en bus de chez Louis, et ils passaient le reste de l’après-midi à glander.

Le duo fit la connaissance de Riley, 20 ans, un an plus tard. James et Louis jouaient alors dans un groupe (dont les différents noms sont « trop nuls pour être ne serait-ce qu'imprimés ») dont tous les membres avaient craqué sur la même fille, une amie de Riley. Et petit à petit, Riley et les deux loustics se sont rapprochés, se retrouvant après les cours et le week-end. Il a fallu un petit moment avant que Riley ne se décide à rejoindre l’embryon de groupe que James et Louis essayaient de porter, parce que, même s’ils voulaient qu’elle fasse partie du projet, les deux étaient trop timides pour lui demander. D’après James, ils ne pensaient pas « être assez cool. »

Le vendredi après-midi, Riley et Louis, tous deux étudiants à la QACI (l’Académie des industries créatives du Queensland, dont l’entrée est sélective), marchaient jusque chez Riley, qui se trouve, d’après la jeune femme, « au pied de la plus grande colline du monde », et Louis s’endormait dans un canapé, sous la véranda, pendant que Riley prenait des cours de batterie.

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James Harrison

« C’était assez romantique, » raconte James en se remémorant le bon vieux temps. « Les grandes collines, une petite maison, deux jeunes gens, encore lycéens. » Après le cours de batterie de Riley, ils jouaient de la musique ensemble, couchant note après note les chansons qui formeraient l'ossature de leur premier album. À la naissance du groupe, tous les trois ne se connaissaient pas très bien, mais l’amitié et la confiance sont venues rapidement d’après Riley. « James a ce truc qui fait que quand il se sent bien, alors tout le monde se sent bien, » explique-t-elle. Et Louis de préciser que, lors des premiers après-midis, James les invitait à prendre place dans un même lit et à se faire des câlins en écoutant du Marvin Gaye, ce qui a aidé à consolider rapidement la relation du trio.

Pour le groupe, certains sentiments sont constamment là : Riley évoque « l’amour », Louis parle de « dépression »

Malgré l’idylle qui a marqué la naissance du groupe, l'école restait une source intense d'angoisse. James pestait contre les réveils matinaux et les règles strictes de son école catholique non-mixte, pendant que Louis et Riley bataillaient pour suivre le rythme très intense de la QACI. Louis s’en souvient comme d’un « établissement très porté sur la théorie. J’étais tout le temps stressé et je ne dormais jamais. » L’anxiété qu’ils partagent tous les trois lorsqu’ils se souviennent de cette période est en partie racontée dans Up To Anything, un disque écrit et enregistré alors que le groupe était encore au lycée. Le groupe n’a plus trop entendu parler de ce disque depuis qu’il est sorti, et ils n’en jouent que quelques morceaux lors de leurs concerts. Cet album vient surtout rappeler que, pour le groupe, certains sentiments sont constants : Riley évoque « l’amour », Louis parle de « dépression. »

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We’re Not Talking aborde aussi largement les mêmes sujets, mais il renvoie une énergie totalement différente. Là où Up To Anything flânait, We’re Not Talking fonce, trébuche sur lui-même pour exprimer des idées, des mots et des sentiments, tout en conservant cette grâce caractéristique du groupe. Dès l’intro, l’impudent et désespéré « Make Time 4 Love », ce deuxième disque fend l'air d'un poing un peu rageur, un peu balbutiant, comme les battements d’un cœur qui s’emballe et qui hoquète après un trop-plein d’émotions. Il y a une sorte d'exubérance, un désir ardent qui brillent dans ce disque, la même adrénaline qui s'empare de nous lorsque l’on s’apprête à faire quelque chose de nouveau ou de terrifiant - un débordement d’émotions contradictoires qui arrivent par milliers et au même moment. Sur « Love Lost, » l'un des autres temps forts du disque, par exemple, la simple perspective de devoir mener à bien une tâche quelconque (trouver un bouquin à lire ou un film à regarder) peut déboucher sur des pensées bien plus pesantes.

Louis Forster

« Certaines personnes ont pensé que, comme on était jeunes, les trucs qu’on chantait étaient drôles ou mignons, » explique Louis. « On chantait le fait de vouloir mourir, et c’était étrange de voir ce truc devenir ‘un joli sentiment adolescent’. » (En effet, une critique de l’album Up To Anything décrit le groupe comme « confus, délicat et très très adolescent. » James reconnaît cependant qu’il y a des avantages et des côtés favorables dans le fait d’être jeune. « La jeunesse est très attirante, » lance-t-il. « J’apprécie de pouvoir fumer et boire autant que je veux sans vraiment m’en soucier. » L’album We’re Not Talking puise au-delà du terreau rock australien classique, notamment chez des légendes post-punk avant-gardistes telles que Jenny Hval, Pere Ubu, ESG et The Raincoats.

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Des morceaux comme « Losing Myself » et « We Can’t Win » expérimentent des sons des synthés et de boîtes à rythmes. Le violon strident de « She Knows », sonne comme une offrande de Vicky Aspinall (des Raincoats, justement), alors que les cornes baroques de « Make Time 4 Love » font passer Louis pour un Jens Lekman sombre et insolent, donnant à sa voix théâtrale (l’une des plus belles de tout le disque, passant du romantique au dépressif pour redevenir acerbe dans la même chanson) des teintes dramatiques.

À l’instar de Lekman, The Goon Sax ont un talent inné pour écrire des chansons d’amour culottées qui ne sonnent pas banales ou trop cucul. « C’était important de parler d’amour, parce que c’était la première fois que j’étais amoureux, et ça m’a vraiment marqué, » raconte Louis, de façon détachée. « Mais je pense que, si l’on continue d’aborder ce sujet, ce ne sera pas de la même façon, avec les mêmes mots. » Pour James, la façon dont il chante l’amour sur We’re Not Talking – et en particulier le fait que ce soit un amour non réciproque – est une page qu’il souhaite tourner lui aussi. « Je chante tout le temps sur des sentiments non partagés, » explique-t-il. « C’est tout naze. Je ne veux pas écrire comme si j’étais une victime. »

Les chansons de James sont pourtant parmi les plus éblouissantes et les plus belles que l’on trouve sur le disque, portées par un charme malicieux et une candeur que l’on ne retrouve pas toujours dans la vraie vie. Le jeune homme déplace sa carcasse comme s’il ne voulait pas vraiment être vu, toujours voûté et terminant ses phrases à demi-mots - à un moment, alors qu’on s’apprête à monter dans un Uber, je lui demande s’il veut s’asseoir devant ou derrière, et il me répond que je peux passer derrière avec Riley et Louis si je veux, comme s’il pensait que je ne m’intéressais qu’à ces deux-là de toute manière. Ses chansons, d'un autre côté, sont claires et précises, ses paroles sèches et mordantes. Elles manifestent un fort caractère, au contraire de sa personnalité discrète. Les voix, que Louis et James se partageaient sur le premier disque, sont distribuées de manière équitable sur We’re Not Talking, ce qui sert grandement le groupe. Les trois ensemble apportent une texture plus riche là où Up To Anything restait plus monogame.

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Riley admet qu'elle a « un peu de mal à écouter l’album. À l’époque, notre seul souci était d’être honnêtes. Et aujourd’hui, c’est plutôt ‘Ah ouais, on a été honnêtes. Peut-être trop, non ?' » À tel point que, de fait, elle n’a jamais écouté la version finale de « Somewhere In Between, » un interlude relativement simple qui comporte seulement un piano et la voix de Louis. « Would you rather see me as the person who loved and then left you? [Tu préfèrerais me voir comme cette personne qui t’a aimée pour ensuite t’abandonner ?] » chante-t-il sur ce morceau, troublé par un bruit d’ambiance. Le caractère lo-fi de « Somewhere In Between » n’était pas un choix stylistique spécifique. « J’ai enregistré ce morceau sur Photo Booth, sur mon ordinateur, pour me souvenir des accords, » souligne Louis, « et finalement, on a utilisé ça sur le disque. Je ne l’ai entendu qu’une ou deux fois. »

« Parfois, lorsqu’on est en tournée et que je dois jouer ces morceaux devant des gens, j’ai l’impression d’être un putain de taré » - Louis Forster

Aucun membre du groupe ne sait vraiment d’où vient leur immense besoin d’honnêteté, mais il guide tout de même leur musique. Lorsqu’il évoque le contenu de ses paroles, c'est limite si Louis ne se dégouterait pas lui-même, comme s’il infligeait une punition aux auditeurs. « Je me questionne pas mal sur l’origine de ce besoin de partager, » indique-t-il. « Parfois, je trouve que c’est un beau sentiment, et parfois, lorsqu’on est en tournée et que je dois jouer ces morceaux pour des gens, j’ai l’impression d’être un peu un putain de taré. Non, je suis vraiment un putain de taré » Il rit un peu après avoir lâché la fin de sa phrase, mais il n’a pas vraiment l’air de plaisanter. Quand les Goon Sax parlent de leur propre musique, c’est comme si on assistait à une auto-analyse et à une critique en simultané, lors de laquelle ils essaient de découvrir ce qui les a conduits à créer cet album. Et écouter les trois membres du groupe discuter de leur disque se rapproche relativement du fait de les regarder essayer de trouver ces foutues clés de la maison. Toutes les tentatives sont menées dans l’espoir que quelque chose finisse par fonctionner.

Pourtant, malgré toute la haine de soi dont ils font preuve, lorsque le groupe monte sur scène, seuls transparaissent la passion et l'amour pour leur musique. Après notre entretien, j’ai la chance d’assister au concert des Goon Sax devant la salle surblindée du Melbourne Gasometer Hotel. Lorsque Riley, James et Louis jouent ensemble, ils font apparaître cette même énergie sauvage et fougueuse teintée d’urgence que l’on retrouve dans We’re Not Talking, mais de manière encore amplifiée. Le son est fort et saillant, dans la droite ligne de nombre de leurs idoles, et des chansons qui ne sont pas encore sorties ont déjà évolué cent fois depuis qu’elles ont été enregistrées. C’est le truc avec The Goon Sax : c'est compliqué de les cerner. Toute leur musique, et c’est encore plus vrai pour We’re Not Talking, communique de la manière la plus pure et violente sur le désordre de vivre, et il est presque impossible d’y trouver deux chansons qui soient identiques. Le groupe conclut son concert par une version de « Make Time 4 Love » jouée encore plus fort et encore plus vite que d’habitude. Le public est ravi. Le chaos en valait peut-être le coup, finalement.

Le deuxième album de The Goon Sax, We’re Not Talking, est sorti le 14 septembre chez Chapter Music et Pias. Le groupe sera en concert ce soir au Point Ephémère. Les infos sont disponibles ici.

Elliott Lauren est une photographe de Melbourne. Elle est sur Instagram.

Shaad D’Souza est le rédacteur en chef de Noisey pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il est sur Twitter.

Cet article a d’abord été publié sur Noisey AU.