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Music

La Belgique regorgera toujours de trésors cachés, puis perdus, puis retrouvés

Dernière trouvaille en date : une réédition captivante et plus qu’exhaustive de l'obscur Dirk Desaever sortie du chapeau par le label genevois Musique Pour La Danse.
Dirk Desaever, Belgique, EBM
pochette de l'album « Collected 1984 -1989 » de Dirk Desaever

On pourrait croire que la new beat est cette musique mi-lascive mi-bêbête qui faisait la bande-son des premiers super clubs d’Europe. C’est un peu ça, mais c’est aussi sous la même coupe la traduction de l’arrivée de la house et la techno en Europe, et l’hybridation des musiques EBM, indus vers autre chose. C’est sur ce terrain de jeu que certains producteurs ont logé leur génie et leur bricolage à tout-va de ces nouvelles machines qui ont fait la richesse des décades suivantes. On ne les découvre vraiment qu’aujourd’hui, et ces dernières années ont vu quelques uns de ces producteurs belges remis à l’honneur ; des artistes prolifiques, ayant généralement œuvré dans l’ombre et sous pléthores de pseudonymes et projet concourant à brouiller leur identité. Ro Maron, Jan Van Den Broeke, Lhasa récemment et Dirk Desaever ici, quelques best kept secrets compilés récemment par Stroom, Dark Entries et Musique Pour La Danse donc.

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C’est de Musique Pour La Danse dont il est question ici, littéralement, et du label du même nom, spécialisé en rééditions de monuments underground, et en « new beat-not-new beat » avec des figures aussi élusives que celles de Ro Maron puis Dirk De Saever maintenant. Une nouvelle compilation, nécessaire pour rassembler les titres sortis sous différents alias pour le premier, et pas sortis du tout en l’occurrence, puisque presque aucun des titres présents sur cette somme n’avait été édité jusque là, en dehors de l’EP de White House White aujourd’hui très recherché et dont les titres avaient été précédemment régulièrement édités ou compilés, par des noms aussi illustres que Mick Wills, Marcel Dettman, The Sound Of Belgium ou Dekmantel…

Une lente accession à la reconnaissance pour le producteur donc, dont les heures d’enregistrement au cours des années 80 ont été exhumées par le label genevois. La compilation en trois parties, cassette, EP et LP, explore les trois pôles d’un corpus contradictoire mais finalement très belge ; dance tendance EBM, coldwave et romantisme un peu mielleux.

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C’est le LP qui au final transcrit le mieux cette synthèse ; des chansons plutôt abstraites, qui vont de la musique d’illustration à la pop orchestrales pour les plus abouties ( « The Same », « Same Story », « And Suddenly »), ensemble qu’on qualifierait d’« expérimental » faute de mieux - et si les synthèses machine-voix sont aujourd’hui plus courantes, on est un peu désarmé face à cet entre-deux, cet équilibre fragile de la démo cassette 80’s comme l’indus européen en a produit par dizaines qui présente au final des fulgurances pop – en témoigne le dernier titre/conclusion « You Laugh With Every Little Joke ». Cette ingéniosité de moyens définit au mieux la musique de Dirk De Saever: la plupart des titres sont des démos, des extraits qui n’avaient pas vocations à sortir, et tous partagent un format assez squelettiques de ritournelles entêtantes, comme les séries Orchestra et Dzjingle sur le LP, construites sur pas grand-chose et imparables.

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Le grand jeu des rééditions brouille les époques et parvient difficilement à contextualiser la musique qu’il met en avant, mais il faut bien dire que l’on voit apparaitre ici quelque chose d’en avance sur son temps. Reconnu tardivement via les apparitions et hommages déjà évoqués, Il est frappant de voir combien l’artiste affiche des préoccupations qui nous sont bien contemporaines. La production minimaliste des titres en est le premier signe, en plus des incursions dans divers répertoires d’autant plus incongrus pour leur époque ; « You Laugh With Every Little Joke » sonne ainsi comme ce qu’on appellera de l’electronica que bien plus tard. La musique en général y est hautement cinématographique – sampler des extraits de films était pratique courante de la new beat, mais l’impression va ici beaucoup plus loin, comme dans « Ein Spiegel » et « Orchestra 8 » qui alternent gimmick new beat et interludes à cordes, tous deux illustrant bien cette tendance à fantasmer la musique médiévale qui est ici encore propre à notre époque pus qu’à celle où ces bandes furent enregistrées.

Visions avant-gardiste ou lubie 2019 – cette nouvelle réédition en dit autant sur les obsessions musicales de notre époque que sur l’habileté de Dirk De Saever à faire tout cela, en même temps ou non ; la tri-partition de cette réédition plus qu’exhaustive choisit son public et s’adresse autant aux archéologues de la musique de club qu’aux fans de cassettes obscures de coldwave 80’s qui fleurent bon les caves du plat pays autant que les faubourgs mancuniens - ou n’importe quel endroit où il pleut beaucoup.

La compilation Collected 1984 - 1989 de Dirk Desaever est sortie le 8 mars sur Musique Pour La Danse.

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