Weyes Bllod, des disques, 2019

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Music

Weyes Blood, l'appel des sirènes

Le quatrième album de la jeune Californienne Natalie Mering serait-il déjà le plus beau disque de l'année ? À l'écoute de ses mélodies grandioses et de sa mélancolie en cascade, la question mérite d'être posée.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Qu’est-ce qui peut bien nous faire vibrer aujourd'hui dans le rock, ses incessants appels de phare à la nostalgie, son anachronisme même plus assez désespéré pour être fin de siècle, sa décalcification actée depuis des lustres ? Cette question, c'est celle qu'on se pose fatalement à chaque fois qu'on s'enfourne un morceau ou un disque à guitares dans les oreilles, ou moins directement, quand on voit par exemple le malaise que peut provoquer un truc comme Vernon Subutex d'un côté, ou l'enthousiasme fanatique qui suit la sortie d'un nouvel album de PNL de l'autre. « Plus grand-chose » est la réponse la plus évidente à cette question rhétorique, et c'est peut-être mieux ainsi.

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Cette injonction (assez inélégante au demeurant) à la pertinence, Weyes Blood y répond comme tant d'autres de sa génération (elle a 30 ans) par la fuite, une manière de ne pas adresser le problème n'y de s'y confronter directement. Sur son nouvel album Titanic Rising sorti vendredi dernier, même le morceau au potentiel tube à faire péter les compteurs de streams (« Everyday ») n'en est pas vraiment un : sous ses airs vaguement affriolants de relecture piano-bar de Carole King ou des Carpenters, vient s'ajouter un finale un peu trop pompier pour être honnête, ou en tout cas couler de source, quelques secondes de fin de parcours qui viennent s'échouer dans un amas de cordes et de dissonance. Un peu comme si Natalie Mering voulait nous affirmer de sa belle voix sa volonté de ne pas conclure, ou de se laisser porter par l'ivresse de sa propre perdition, comme le suggère le beau titre de l'album.

Plein d'autres se sont déjà frotté dernièrement au fantasme de la grande pop américaine des années 70, mais peu l'ont habitée aussi magnifiquement que Natalie Mering. On se dit même, lorsqu'on écoute ses disques (surtout son précédent Front Row Seat to Earth, et encore plus celui-ci), que la jeune Californienne, seule derrière le projet Weyes Blood, supplante largement tous les copistes Werther's Original du cru (quelqu'un se souvient de Tobias Jesso Jr ?), les Father John Misty, Foxygen, Lemon Twigs, et dans une moindre mesure Drugdealer, ceux qui ne quittent jamais le cocon duveteux d'une période qu'ils n'ont jamais connue, et dont certains participent d'ailleurs à ce nouvel album.

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Pour échapper à l'écueil revivaliste qui n'en finira sûrement jamais plus de placer le rock dans les poubelles de l'histoire actuelle (à peine sorti, chaque disque semble déjà obsolète), Mering n'use que de subterfuges. Elle feint l'épiphanie à chaque morceau, fait semblant d'être une grande chanteuse classique dans un grand studio, simule de prendre elle-même à bras le corps l'effondrement de notre civilisation depuis sa chambrette. Non seulement ces supercheries permettent d'y voir clair, car elles avancent à visage découvert, mais c'est justement ce manque-là, cette manière de jouer à la grande, qui rend le disque aussi beau. Sa mélancolie (celle d'arriver après la bataille, mais celle également de n'avoir aucune prise sur le monde autour d'elle) y est d'autant plus prégnante qu'elle y est portée de manière majestueuse, grandiose, presque orgueilleuse. Soit tout le contraire de la prudence et de l'obséquiosité des autres ; sur « Movies », elle en appelle même à la mystique un peu toc d'Enya, référence absolument rincée qui ne l'empêche pourtant pas d'atteindre des cimes inespérées.

Pour arriver à ce degré suprême d'incarnation, il fallait une voix, disons, qui porte. En l'occurence, celle de Natalie Mering, qui déclame d'un côté ses somptueux morceaux comme autant de madrigaux qui n'auraient jamais existé (comme elle l'indique à Libé, elle a goûté au chant médiéval et à ses dérivés à l'école), et de l'autre philosophe sur la fin du monde qui approche comme une Cassandre qui ne se soucierait plus vraiment qu'on l'écoute. Une musique faite par et pour elle-même, dans le vase clos de sa chambre d'ado engloutie, qu'elle revisite à travers un beau timbre de voix déjà triste et fatigué, dont on peut déceler dans les interstices et les circonvolutions du disque une difficulté à mener une barque (ou plutôt un navire) qui ne cesse de tanguer, mais qui nous fait plutôt chavirer à chaque instant. Fille de chrétiens fondamentalistes et donc élevée très tôt à la fois au culte et à sa propre négation (en passant par l'inévitable révolte adolescente), c'est ce sentiment double qui traverse sa musique : celui d'une foi absolue et d'un désenchantement permanent, qui emporte tout sur son passage et qui s'écroule presque aussitôt dans le même mouvement. Comme si chaque morceau se devait de s'extraire fièrement du sol pour mieux s'anéantir ensuite. Et renaître ainsi à chaque fois.

L'album Titanic Rising de Weyes Blood est sorti le 5 avril sur Sub Pop.

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