Comment un chef cuistot qui se fait appeler Demonstealer est devenu le roi du metal en Inde
Photo fournie par Sahil Makhija

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Comment un chef cuistot qui se fait appeler Demonstealer est devenu le roi du metal en Inde

Le chanteur de Demonic Resurrection nous dit comment il a surmonté l'adversité et s'est livré corps et âme à la cause du métal dans son pays.
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traduit par Paul Ramon

Difficile de faire plus metal que Sahil Makhija. « Demonstealer », pseudonyme qu'il n'a jamais abandonné depuis bientôt 20 ans maintenant, est le frontman, chanteur, guitariste, compositeur principal, et tête pensante de Demonic Resurrection, le plus ancien groupe de black/death metal de Mumbai encore en activité. Il a formé le groupe en 2000, lorsqu'il n'était encore qu'un ado au visage enfantin à la recherche d'autres musiciens sur la même longueur d'onde prêts à jouer ses morceaux en live. Cinq albums plus tard (dont le dernier, Dashavatar, est sorti l'année dernière), le groupe affiche 18 ans d'activité au compteur, et Makhija, 35 ans, est devenu un acteur incontournable du metal en Inde.

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« Tout ce que j'ai entrepris au cours de ces 18 dernières années a été fait dans le but de promouvoir Demonic Resurrection », m'explique-t-il par téléphone depuis Mumbai. « Dès l'instant où j'ai commencé, j'ai su que mon unique objectif dans la vie serait de faire de la musique avec ce groupe, pour toujours. » Gamin, il a découvert le metal de manière quasi accidentelle : ses amis lui ont fait écouter Metallica et Iron Maiden après s'être moqués de ses goûts musicaux.

« Ils étaient là, 'Qu'est-ce que c'est que cette merde que t'écoutes ? Essaye plutôt ça' », se souvient-il. « J'ai instantanément accroché. Clairement, pendant mes années d'adolescence, c'était un moyen d'évacuer ma frustration ; c'est ton refuge, ton petit truc à toi. Tout le lifestyle global, tous ces mecs habillés en noir… Le black metal a trouvé écho dans l'athée qui sommeillait en moi. Je haïssais la religion – j'ai vu comment les gens se faisaient laver le cerveau –, et le black metal incarnait ça à mes yeux. Ça a piqué ma curiosité, je me suis reconnu dans cette musique. »

L'agressivité implacable de leur son va de pair avec un noyau mélodique très solide. Sur leur dernier album, ils ont intégré sitar, tabla et flûte à leur musique, élargissant du même coup leur spectre sonique. Par ailleurs, Makhija a toujours été fan des éléments de récit fantastique dans le metal, et le groupe a sorti une trilogie d'albums construits autour du thème de l'arrivée des ténèbres sur la Terre, et d'un héros réfractaire à sa mission.

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Un des aspects récurrents de l'existence de Demonic Resurrection est d'être constitué de membres en rotation permanente, Makhija demeurant le seul membre permanent ; le line-up actuel comprend Virendra Kaith à la batterie et Nishith Hedge aux guitares. Le groupe a, d'une certaine façon, joué le rôle de tremplin pour les musiciens qu'il a accueillis : certains d'entre eux se sont ensuite retrouvés à jouer dans des groupes comme Exhumation, Solar Deity, Scribe, et The Minerva Conduct. Devoir répéter avec de nouvelles personnes et retrouver l'alchimie parfaite prend du temps, et freine le développement du groupe. Mais Makhija a décidé de faire avec.

Demonic Resurrection est apparu à une époque, en 2000, où le metal extrême n'existait qu'en marge du reste. Ils ont rejoint les rangs de groupes comme Kryptos, Third Sovereign, Acrid Semblance, Myndsnare et Threinody, donnant occasionnellement des concerts sur des campus d'université, ou au Razzberry Rhinoceros (universellement connu sous le nom de « Razz »), le seul bar/salle de concert valant le détour à Mumbai. Leurs premiers concerts, DIY par définition, se sont globalement déroulés sans histoire ; la plupart des critiques qu'ils essuyaient venaient d'Internet. Ils ont tout de même connu les huées, et il se souvient d'un concert à l'Independance Rock, un battle de groupes en plein air, connu pour avoir un public difficile : « Je me rappelle que les gens nous huaient et nous balançaient des trucs dessus. Il faut réussir à gagner ce genre de public violent, ce qu'on n'a pas réussi à faire avant bien longtemps. »

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Il passait son temps à se battre sur les forums de musique indépendante, tout en s'occupant activement de la promotion de son groupe partout sur Internet. « Aujourd'hui, je suis capable de fermer les yeux sur un commentaire, mais à l'époque, je répondais à tous ceux qui essayaient de nous insulter », m'explique-t-il. « Bien sûr, ça dépendait de qui ça venait – d'un poseur qui n'écoute que Metallica, ou d'un abruti qui n'y connaît que dalle. Mais on n'a jamais été si méchants que ça. C'était juste des 'Va te faire, tu sers à rien' de temps en temps. » En vérité, les efforts de Makhija leur auront valu de se former une fanbase dans le monde entier.

On peut dire que cette époque est bel et bien révolue. Demonic Resurrection est devenu une pointure légitime dans la scène underground indienne actuelle, et Makhija est considéré comme un espèce de metal hero du cru. Il est constamment assailli par des jeunes fans qui le vénèrent, ou l'admirent simplement pour sa contribution au metal indien. Le groupe a fait de courtes tournées en Europe, et écumé le circuit des festivals, avec des apparitions au Wacken et au Sonisphere ces dernières années ; ils sont bookés à l'édition 2018 de l'Eradication Festival à Londres, aux côtés de groupes comme Abbath, Master's Hammer et Rotting Christ – et ont lancé un appel aux dons pour financer une tournée de 8 villes en Inde, dans le but de palier à l'absence criante de concerts metal dans le pays.

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Avec une détermination et une ténacité sans failles, Demonic Resurrection ont aujourd'hui gagné un respect et une reconnaissance considérables – même si ça ne s'est pas forcément traduit de la même manière en terme de succès à l'échelle de toute la scène. « Demonic Resurrection est un groupe que tout le monde adore respecter », m'explique-t-il. « On est le genre de groupe à qui tout le monde dit, 'Hé mec, je te respecte. C'est juste que j'aime pas la musique.' Il faut qu'on prenne ça d'un point de vue positif, qu'on se dise que les gens nous respectent et nous trouvent bons. Mais en tant que musicien, tu as juste envie que les gens écoutent ta musique, mec. Tu vois les autres groupes comme toi jouer dans les mêmes festivals, les mêmes salles, et tu as l'impression que le public est dix fois plus à fond sur leur musique. Pendant ton set, tout le monde a disparu. Et après ils te disent, 'On te respecte' . »

Et parfois, ce n'est même pas le cas. Leurs concerts ont connu bon nombre d'interruptions, particulièrement à Mumbai, une ville qui, d'après Makhija, s'intéresse d'avantage à un style de metal plus moderne. Il évoque une soirée où des fans d'un autre groupe de la scène sont arrivés pendant que Demonic Resurrection étaient en train de jouer – « Ils ont essayé de foutre le bordel, ils dansaient pendant le concert, ils nous faisaient des doigts ». Une autre fois, c'est Sam Dunn, de Banger TV, qui est entré en contact avec Makhija pour lui demander de faire apparaître son groupe dans son documentaire Global Metal de 2007, ainsi qu'un coup de main pour dresser un état des lieux de la scène metal indienne. Makhija a donc organisé un concert pour le tournage, en programmant Demonic Resurrection aux côtés d'autres groupes qu'il considérait comme représentatifs de la scène. Ce choix n'a pas plus à tout le monde ; un certain de nombres de personnes pour lesquelles d'autres groupes méritaient d'avantage de figurer à l'affiche se sont présentées au concert pour protester contre la présence de Demonic Resurrection.

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Malgré ces conflits de scène un peu théâtraux, Makhija a conscience que son groupe a contribué à montrer la voie à beaucoup de fans, et fonctionne de facto comme point d'entrée dans la scène metal du pays. « Tout le monde découvre le metal indien via Demonic Resurrection », me dit-il. « Ils viennent nous voir en concert. Et ensuite, ils réalisent qu'ils préfèrent, je ne sais pas, Bhayanak Maut, ou Scribe, ou Undying Inc. C'est inhérent au rôle de groupe-passerelle. »

Il a également dû affronter le grand nombre de personnes qui considèrent que le metal n'est qu'un passe-temps de jeunesse. « Je pense que c'est en grande partie un genre musical qui s'apparente à une libération pour les gens », m'explique-t-il. « Le truc auquel ils se raccrochent quand ils sont en école d'ingénieur, ou à cet âge-là en général ; et puis ils s'en détachent en grandissant. » Il sait que le metal demeurera une musique de niche en Inde, mais il est convaincu qu'une bonne partie des problèmes qui empêchent la scène de se développer sont liés au fait que son public soit jeune, et ne possède pas le pouvoir d'achat suffisant pour la soutenir ou, en fait, la prendre sous son aile. Pour lui, « il faut un public plus âgé, avec un revenu disponible, pour qu'une scène soit viable. »

Il a dû faire face aux revers et aux obstacles, survivre au sein d'une scène peu fertile, et construire et reconstruire encore et encore ; mais Makhija semble agréablement dénué de cynisme. Et aussi étonnant que cela puisse sembler, il a également trouvé le temps de se consacrer à de multiples autres projets musicaux. À ses débuts, Demonic Resurrection fonctionnait comme une dictature, Makhija assurant la composition de chaque élément de toutes les chansons ; puis le groupe s'est développé de manière plus démocratique ; après quoi, Makhija a décidé d'utiliser ses idées et son travail annexes dans un projet solo. Les pré-commandes de son troisième album solo en tant que Demonstealer, The Last Reptilian Warrior, sont ouvertes. Le précédent, This Burden Is Mine, est sorti en 2016 ; George Kollias, de Nile, y jouait la batterie.

Makhija a également été à la tête d'un bon nombre de groupes aujourd'hui défunts, comme Reptilian Death, un groupe de death metal brutal à la mise en scène théâtrale (tout comme Workshop, groupe de metal parodique à durée de vie limitée) ; il a également fondé Demonstealer Records il y a plusieurs années, mais a finalement été contraint de mettre la clé sous la porte. Il travaille actuellement sur Headbanger's Kitchen, une chaîne de cuisine sur YouTube consacrée aux recettes Keto pauvres en glucide. Demonstealer, le frontman enragé de Demonic Resurrection, est également un chef talentueux, qui a toujours adoré la nourriture, et se souvient avec émotion cuisiner pour ses parents et ses amis quand il était enfant. Comme d'habitude, Headbanger's Kitchen est devenu un outil de promotion supplémentaire pour le groupe, en s'adressant à un public plus large. « Je me suis dit que si j'utilisais un thème heavy metal, les gens allaient regarder, s'ils aimaient ces groupes », m'explique-t-il. « Et puis ils me verraient, et iraient peut-être aussi écouter Demonic Resurrection ! ».

Car au bout du compte, c'est tout ce qui lui importe. Quand on regarde tout ce qu'il fait, et tout ce qu'il a réussi à accomplir, en évoluant dans une scène impitoyable, on comprend que Makhija n'est rien d'autre qu'un type déterminé, un peu maladroit, qui aime ce qu'il fait et qui veut le partager avec le reste du monde. Tout le reste est là pour servir cet objectif. La musique l'émeut, elle a fait de lui la personne qu'il est aujourd'hui, et tout ce qu'il cherche vraiment à faire, c'est écrire encore, jouer, et surtout, être écouté.

Akhil Sood est sur Noisey.

Cet article a d'abord été publié sur Noisey US.