72 heures dans la moiteur des Nuits Sonores

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

72 heures dans la moiteur des Nuits Sonores

De l'ouverture de Kekra à la claque King Ghazi en passant par les prestations musclées et inspirées de DMX Krew, The Black Madonna ou Stormzy, ça s'est passé à Lyon, pour la quinzième édition du festival.

Du mardi 23 au dimanche 28 mai, les Nuits Sonores ont déployé leur programmation sur Lyon, réunissant près 150 000 personnes. Des festivaliers attirés par une programmation dense, étendue comme un bon gros plan de métro, qui rayonnait alors entre des journées curatées par des artistes internationaux, un Off solide, une version du festival dédiée aux kids, de longues nuits dans des usines, un lab' sur l'avenir de l'Europe culturelle, et des concerts de Kekra, The Black Madonna, DMX Krew ou King Ghazi. Le don d'ubiquité est un pouvoir fragile, qui s'effrite à grande vitesse au contact des dancefloors lyonnais. On a cependant tout mis pour en voir et en écouter le plus possible. Voilà ce qu'on a retenu de cette quinzième édition, en toute subjectivité.

Publicité

Mercredi 24 mai

Kekra, en toute simplicité (photo - Laurie Diaz)

23h, l'ouverture par Kekra

Symboliquement, ouvrir la 15ème édition d'un festival pour middle-class-kids par LE rappeur-charbonneur de ces deux dernières années constitue en soi un beau geste d'ouverture vers la France insoumise. Lyrics poisseux, basses ultra-caillera… Kekra rappe masqué, une main dans la poche. Les gamines et gamins en TN réunis face au set du trappiste de Courbevoie sont aux anges. Le lightshow est mortel, malheureusement le son est pourrave : durant trois nuits, la Halle B des anciennes usines Fagor-Brandt n'aura de cesse de décevoir le public et de douiller les artistes à cause de son acoustique d'entrepôt.

Stormzy, dans la Halle B des anciennes usines Fagor-Brandt (photo - Laurie Diaz)

1h, Stormzy toaste dans un hall de gare

En dépit du fait qu'il avouait début d'année une bromance avec Ed Sheeran, Stormzy reste un Grime MC solide, hyper communicatif, proche du public et sûrement un des seuls artistes des Nuits Sonores à avoir prononcé le mot « Lyon ». Mais Stormzy, tout comme ses collègues AJ Tracey ou Lady Leshurr, ont joués dans le Hall B, ce qui revenait à rapper au micro des annonces SNCF de la gare de Perrache.

2h, Lords of the Isles, un peu d'ambient dans un monde de brutes

Lumineuses et organiques, les nappes d'ambient de l'Ecossais Neil McDonald aka Lord Of The Isles ont apaisé le ventre de l'Usine – sold out comme tous les soirs à venir d'ailleurs –, à une heure où la drogue avait été avalée à pleine brouette par près de 14 000 festivaliers.

Publicité

Laurent Garnier, alors qu'il vient de plier la Halle B (photo - Gaëtan Clément)

4h, Laurent Garnier en mode UK style

« Les Anglais donnent leurs machines, les Français donnent leur poitrine » : un siècle plus tard, le set UK style de Laurent Garnier n'a pas fait mentir cette devise née dans les tranchées de 14-18.

Jeudi 25 mai

Dans la Salle 1930, à la Sucrière (photo - Gaëtan Clément)

18h, l'instant Derrick Carter

Jeudi fin d'après-midi à la Sucrière, les systèmes son crachent déjà depuis trois heures, « Blue Monday » rebondit d'une scène à l'autre à intervalles réguliers : le sentiment de teuf sans discontinuité semble combler un public légèrement plus âgé que la veille, mais pas moins attaqué. Cette journée de plein soleil est placée sous l'égide de la toute puissante The Black Madonna, sacrée DJ-of-the-year l'année dernière catégorie Breakthrough, et sur orbite spatial depuis quatre mois grâce à ça. Originaire du Kentucky, Marea Stamper de son vrai nom, avait, entre autres, invité Derrick Carter se prêter au jeu du disco. Une carte blanche relevée haut la main par le parrain de Chicago, qui s'est installé aux manettes durant deux heures d'un mix chaud, farci de kicks organiques et de basses rebondies.

The Black Madonna, avec le binôme Optimo au second plan (photo - Marion Bornaz)

20h, La Madone allaite la Salle 1930

La battle à six mains The Black Madonna x Optimo sera elle plus aiguisée, teintée de techno-house serrée et physique. Dehors, le soleil frappe fort. À l'intérieur, sous une pluie de néons blafards, filles et garçons s'allument. Le crépuscule est encore loin, pourtant chacun sait qu'il grimpe un premier climax de cette édition 2017. La résidence de The Black Madonna s'étend jusqu'à fin juin au XOYO à Shoreditch.

Publicité

DMX Krew, dans le ventre du Terminal

00h, la ronde de nuit

La nuit du jeudi, intitulé le Circuit, consiste en une longue zone de bars en clubs avec au total une bonne quinzaine de lieux. Ayant égaré notre don d'ubiquité sur les dancefloors de la veille, on errera pêle-mêle entre l'Ayers Rock Boat – genre de péniche militaire australienne blindée où Orgasmic et Tekilatex tenait l'affiche –, le Groom pour (re)découvrir avec plaisir le Motor City Boy Chez Damier et bien entendu le Terminal, un club de poche ténébreux, dépourvu de la moindre clim', flanqué de videurs albanais, et qui empeste le sucre alcoolique. Bref, un vrai dancing pour adultes consentants. Le lieu défonce et le légendaire DMX Krew est à moins d'un mètre cinquante de son public. Embusqué derrière une timidité nerdo-maniaque et milles alias – Asylum Seekers, Bass Potato, Computor Rockers, House of Brakes –, Ed DMX va déployer une masse sonore deep, cérébrale, instrospective mais dansante, avec de légères incartades en terres Italo, histoire de maintenir en haleine un dancefloor jaugé à soixante-dix chanceux. La séance chez le psy le plus classe de l'IDM durera jusqu'à l'aube.

Vendredi 26 mai

POV d'un tablier de sapeur sauce gribiche

12h, le point cholestérol

On dit qu'à Lyon « le café-crème commence au jambonneau ». En effet, l'alcool et le porc sont, avec le Tacos Kebab, les trois grands piliers de la gastronomie locale. Terrines, rillettes, saucisses, tablier de sapeur, joues de cochons… Pour vous lancer à fond dans le seul vrai Off des Nuits Sonores, la Compagnie des Francs Mâchons veille ici, par l'attribution de précieux diplômes, au maintien en bonne et due forme du terroir. Bel effort d'ouverture, la confrérie s'ouvre depuis peu aux femmes ainsi qu'aux enfants. Rendez-vous sur leur FanPage pour toutes les informations pratiques, ainsi les décès réguliers des membres Mâchons, qui tombent dans des rivières d'échalotes, victimes du devoir sur le front du cholestérol sanguin et des maladies cardio-vasculaires.

Publicité

Nina Kraviz, juste après son set à la Sucrière

20h00, le point Nina Kraviz

De ses études en odontologie, Nina Kraviz semble avoir gardé un goût certain pour le serrage de chicots ainsi que les aigus de la fraise dentaire. Tracks super-durs, enchaînements brutaux… Son set de camionneuse tabasse nos âmes déjà bien en peine, à J+3 de festivités. Repli sur l'Usine.

2h, un soir de plus à l'Usine

C'est en arrivant à nouveau à Gerland, sur le site Fagor-Brandt qu'on réalise la dimension industrielle de l'offre nocturne du festival. Chaque nuit, le public y est, il faut bien l'avouer, comprimé entre les scènes, des kilomètres de bar cashless et une armée de videurs. De videurs assez cool et d'une programmation solidement bossée certes, mais, à près de quarante balles la soirée, les conditions d'accueil refoulent légèrement l'abattage. Sentiment partagé d'ailleurs de vive-voix par de nombreux kids croisés dans les allées de l'ancienne usine. Bref. Tout ça, Omar Souleyman s'en fout, lui continue de venir prendre des chèques sur les festival d'Europe – et d'ailleurs –, en échange de pousser des chansonnettes de mariage arabes déguisé en tenue traditionnelle syrienne.

King Ghazi : à gauche Shadi Khries, à droite Gilb'R (photo - Brice Robert)

4h30, gloire au roi Gilb'R

En revanche il y aura bien eu une tuerie orientale ce vendredi avec le binôme King Ghazi, composé de Gilbert Cohen, illustre boss de Versatile Records et du percussionniste jordanien Shadi Khries, déjà croisé aux côtés d'Acid Arab. Initié courant 2014 dans les canyons désertiques du Wadi Rum jordanien, le projet fait vibrer musique bédouine et arrangements électroniques technoïdes, signés Gilb'R. Le duo, réuni pour la première fois sur scène, a livré un DJ set réhaussé de percussions, chaud, hypnotique, truffé de transe jusqu'à la fermeture des Halles.

5h30, Über alles

Suite et fin. Comme chaque matin, l'Usine se vide péniblement du flot de ses 14 000 festivaliers, désormais plus têtards que fêtards. Dignité à terre, la longue bataille des taxis et des Über s'engage dans un genre de wall of death mou, jusqu'au lendemain. Avant que tout ça ne recommence.

Théophile ne se souvient plus du samedi. Vous pouvez le lyncher sur Twitter.