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Music

Retenez bien ce nom : Mr. Punisher

Il a produit les derniers tubes de Booba, Gradur ou Tory Lanez et ne veut surtout pas s'arrêter là.
Genono
par Genono

Quand on choisit de prendre pour pseudonyme Mr. Punisher, il y a généralement deux possibilités : soit on est un super-héros sombre et animé par la vengeance ; soit on est le partenaire sexuel dominant d'un rapport sado-masochiste réprouvé par la morale.

Il n'est pas impossible que Mr Punisher se travestisse en vengeur masqué la nuit, ni qu'il ait des pratiques sexuelles impliquant cuir et martinet, mais cela ne nous regarde pas. L'homme en question ici est avant tout l'un des beatmakers français les plus en vue du moment, à l'origine cette année des titres majeurs que sont « 4G » (Booba), « L'argent parle » (Rohff), « Jamais » (Gradur) ou « Diego » (Tory Lanez). Plus qu'un simple faiseur de tubes, il est l'un des rares producteurs français à disposer d'une véritable identité musicale, à une époque où il suffit de trois notes et d'un tuto YouTube pour produire un beat trap. Plus inspiré par Toronto que par Chicago, Mr Punisher compose au piano sans la moindre connaissance en solfège, et traine derrière lui un passé de rappeur un brin embarrassant. On a évoqué tout ça ensemble, ainsi que la valeur respect, qui n'est pas toujours réciproque entre rappeur et beatmaker.

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Noisey : On entend parler de toi depuis un petit moment, mais c'est la prod de « 4G », sur Nero Nemesis, qui a récemment mis un gros coup de projecteur sur toi. Tu t'es tout de suite dit que collaborer avec Booba pouvait être un tournant dans ta carrière ?
Punisher : C'est sûr. En tant que compositeur français, Booba c'est vraiment un aboutissement. Pour moi, c'est le numéro 1, c'était l'objectif à atteindre.

T'es pas le premier à me dire ça, j'ai l'impression que Booba représente un peu le Graal de tout beatmaker français.
C'est lui qui donne l'heure dans le rap français, du moins en matière de sonorités. Si lui ne prend pas de risques, personne ne le fait. Je vois beaucoup d'artistes qui restent derrière lui avant de tenter des choses, comme s'ils attendaient qu'il ouvre le chemin.

Le truc marquant sur cette prod, c'est cette petite boucle de piano. C'est une compo ou un sample ?
Tout a été composé, j'ai tout fait à l'oreille. Ça a été super rapide, dès qu'elle était terminée, je l'ai envoyé à Booba, et il l'a validé direct.

Du coup t'as quand même bossé avec lui en studio, ou tout s'est fait à distance ?
Tout s'est fait à distance. Comme il est à l'étranger, il fonctionne beaucoup avec des échanges par mail. À la base, j'ai eu son contact par un ami beatmaker, Sugga Boy. J'ai envoyé plein de sons, au moins une centaine… Il a dû en retenir trois en tout [rires]. Il est difficile, il sélectionne vraiment beaucoup. Il prend vraiment son temps quand il s'agit de choisir ses prods, il cherche à ce qu'elles soient un peu intemporelles. C'est compréhensible, et c'est aussi ce qui fait sa réussite.

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Tu utilises aussi une petite boucle de piano sur « Jamais » de Gradur. C'est ta marque de fabrique ?
J'utilise beaucoup le piano parce que j'ai plus de facilités avec cet instrument. Je peux être amené à composer avec un synthé, mais je vais toujours commencer par chercher les notes au piano. Ça me permet de voir immédiatement si tout colle parfaitement, s'il n'y a pas de fausses notes. Je pianote beaucoup, mais tout se fait à l'oreille. J'essaye de vraiment me prendre la tête là-dessus, parce que sinon je me fais chambrer par les vrais musiciens [rires].

J'imagine que t'as pas fait de solfège…
Nan, pas du tout… Je fais des prods depuis 4 ans, j'ai appris ça en regardant mon oncle [6clas] composer des sons. Je le voyais pianoter, et j'essayais de rejouer ses notes, dans mon coin. J'ai vraiment un fonctionnement instinctif, à l'oreille. Quand j'ai une idée en tête, je joue les accords au piano, et je vois tout de suite si ça sonne correctement ou pas.

Il y a une unanimité autour de la prod de « 4G », tout le monde -ou presque- la considère comme la meilleure de l'album. Est-ce que tu estimes que c'est ta meilleure prod ?
C'est difficile de dire si c'est la meilleure … En tout cas, c'est une de celles que je préfère, bien entendu, je suis super fier de ce morceau. Si je devais vraiment en retenir une seule, ce serait « Diego », de Tory Lanez. C'est un gros hit, ma prod a traversé les frontières, elle a été validée par une étoile montante, quasiment une pointure, ça me fait tellement plaisir. Juste après ce titre, on a appris sa signature chez Interscope.

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Tu es fier de cette prod parce que c'est Tory Lanez qui l'a prise ? Si tu l'avais placé à un artiste moins côté, elle serait quand même une de tes préférées ?
Une prod toute seule, c'est dur de kiffer. L'artiste ramène son univers dessus, après tu adhères plus ou moins, mais oui, ça joue beaucoup. Tout ce qui a été fait sur le son, au niveau de la réalisation, ça met ma prod en valeur. Ils en ont fait un son de malade. Et puis le clip est incroyable … J'ai presque du mal à réaliser qu'ils aient fait tout ça, à partir d'un simple mail que j'ai envoyé.

A la base tu es un rappeur, et tu es devenu beatmaker parce que tu ne trouvais pas de prods à ton goût, tu t'es dit que tu allais les faire toi-même. À quel moment tu t'es dit que tu étais meilleur en tant que beatmaker qu'en tant que rappeur ?
En fait, j'ai pas trop eu le choix. À la base, je rappais, et j'avais des potes beatmakers qui me fournissaient des prods. Et comme ils ont commencé à bien fonctionner, et à placer des sons aux Etats-Unis, ils n'avaient plus trop le temps de me filer des sons. Donc à un moment donné, je me suis dit que j'allais faire les choses moi-même. Pendant deux ans, je me suis enfermé chez moi, et j'ai bossé comme un dingue. J'ai arrêté toute activité professionnelle, on me prenait pour un fou parce que je sortais plus, je passais tout mon temps à faire des prods. À cette époque, j'étais plutôt influencé par des Timbaland, des Pharell… C'était un peu festif, presque mainstream. Et mes potes m'ont encouragé à faire des choses plus sombres, à m'orienter vers la trap, les sons à la Lex Luger. Ils voyaient mon potentiel, mais moi je n'ai compris ça que l'année suivante, en 2012, quand j'ai commencé à placer mes premières prods chez les Américains. Parce qu'avant ça, j'envoyais mes sons aux Français, et même des mecs qui ne vendaient rien me négligeaient. On ne me répondait pas, on n'écoutait même pas ce que j'envoyais. Le fait de voir des directeurs artistiques de grosses boîtes américaines valider ma musique, prendre la peine de me répondre, me faire des propositions… Ca m'a conforté, ça m'a donné envie de continuer.

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Est-ce que t'as fait supprimer tous tes anciens morceaux de rap sur Internet ?
Ouais, c'est trop des dossiers [rires]. J'ai fait attention à supprimer toutes les traces, tous les clips, tous les sons. Je crois qu'il reste une vidéo où on me voit en studio, mais c'est tout. Même en fouillant dans les archives de vieux skyblogs, il ne doit rien rester.

Le beatmaking a énormément évolué ces dernières années. D'un côté, il est plus facile de se lancer, parce qu'il n'y a plus besoin d'autant de matériel coûteux, il suffit de télécharger un logiciel cracké… Mais d'un autre coté, il y a beaucoup plus de monde sur le marché, et il est donc plus difficile de se démarquer. Comment tu juges cette situation ?
Fruity Loops a révolutionné le game, parce que maintenant, tout se passe en software. Du coup, aujourd'hui, il y a autant de beatmakers que de rappeurs. Mais le niveau est très inégal, il y a beaucoup de débutants, de mecs qui font ça avec des tutoriels, ou qui se contentent de copier basiquement les pointures françaises ou américaines. Pour moi, le premier truc à faire, c'est d'essayer de se différencier. Même quand je fais de la trap, il faut que ça sonne comme quelque chose d'original. Après, je suis comme tout le monde, au début je m'inspirais des producteurs renommés, mais avec le temps, tu cherches forcément ailleurs. Ces dernières années, je cherche beaucoup mes influences au Canada par exemple. Toronto, c'est une scène que peu de monde connaît, mais il y a des trucs fabuleux là-bas.

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Ah ouais ?
C'est pas ma seule influence, dans les tendances du moment j'aime aussi beaucoup ce qui se fait à Atlanta. Là-bas, il y a un vrai mouvement. Les mecs s'amusent, sans forcément mettre l'argent au centre de leurs projets. Ils font de la bonne musique, ils kiffent, et si ça vend, tant mieux. Ce que fait Metro Boomin par exemple, ça me parle à mort. Pour ce qui est de Toronto, ils ont une façon vraiment différente de travailler leurs sons, c'est futuriste, sophistiqué. Ils sont hyper perfectionnistes, et ils cherchent toujours des sonorités qu'on a pas l'habitude d'entendre ailleurs.

En parlant du Canadia, il paraît que tu as réussi à placer une prod à Drake, mais que le morceau n'est finalement pas sorti.
En fait, je voulais placer des prods pour Travis Porter. Et Jagger, qui est leur manager, en a kiffé certaines, à tel point qu'il m'a parlé de les envoyer à Drake. Ils devaient faire un feat avec lui, et il s'est dit que ce serait l'occasion parfaite pour utiliser cette prod. Drake a validé la prod, la session studio s'est mise en place, mais le morceau n'a pas été retenu dans le tracklisting final. C'est dommage, parce qu'il y a eu d'excellents retours sur ce titre, même l'ingé-son qui était en studio ce jour là m'a ajouté sur Facebook pour me féliciter. Il s'est mis à utiliser Google Trad pour me parler en français, j'en revenais pas. Avec le recul, je me dis que si j'ai pas pu avoir Drake cette fois-ci, c'est qu'il y a une bonne raison. Peut-être que je l'aurai dans quelques années, et que ce sera un morceau encore meilleur. Ça me pousse à rester déterminé.

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Tu as produit « L'argent parle » sur le dernier Rohff. C'est un titre avec beaucoup de travail en post-production, notamment sur la voix, avec des réglages très particuliers sur l'autotune, etc. Est-ce que tu interviens là-dessus ?
Pas du tout, j'ai rien eu à faire sur ce morceau. J'ai juste envoyé mon instru, Rohff a posé dessus, point barre. C'est un bon morceau, Rohff essaye de prendre des risques, de se diversifier. Il arrive à un tournant de sa carrière, il a besoin d'évoluer, c'est une bonne chose.

Récemment t'as aussi produit « Premier ballon » pour Zesau, sur son album 20ZO qui est resté très confidentiel. Comment t'expliques qu'un mec aussi fort que lui n'attire pas un public plus large ?
C'est difficile d'être un artiste indépendant … Les vrais auditeurs de rap savent qui est Zesau, ils connaissent son histoire, ils sont au courant de ce qu'il fait. Zesau, c'est un mec que je respecte beaucoup, j'ai même pas cherché à savoir s'il était signé ou pas. Je lui ai proposé ma prod, il a fait ce morceau avec Niro, je trouve le résultat excellent et j'en suis très fier.

Est-ce que tu peux bosser avec n'importe quel rappeur, ou est-ce que tu as des exigences en termes de style, de discours, ou de qualité ?
Je suis très exigeant sur la qualité. Mais sinon, je suis super ouvert. Je m'inspire beaucoup de ce qui se fait aux Etats-Unis ou au Canada, et quand je vois des artistes qui sont capables de passer de la variet' au rap sans forcément se travestir, ça me parle. C'est très important de ne pas se mettre de barrières. Si tu veux durer, tu dois pouvoir travailler avec tout le monde, savoir être éclectique… Et surtout, être capable de répondre à la demande. J'ai l'image d'un mec qui fait de la trap, ou des trucs sombres, mais ça me dérangerait pas de bosser avec un Black M par exemple.

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Il y a quelques temps, tu as dû mener une véritable bataille juridique avec Tory Lanez, qui ne t'avait pas crédité sur le morceau « Diego ». Tu as obtenu gain de cause, mais ça démontre tout de même un manque de reconnaissance flagrant de la part des rappeurs envers les beatmakers.
C'est vrai, c'est quelque chose que je ressens énormément. On contribue quand même beaucoup au succès des artistes qu'on produit. Les mecs cherchent des grosses prods, mais ils réalisent pas que ça nécessite du temps, de l’énergie, de l'implication. Le respect mutuel, c'est le premier truc nécessaire à une bonne collaboration. Il faut qu'il y ait un échange, que l'on se pousse tous les deux. Je sais que je serai jamais une star comme l'artiste qui pose sa voix, j'aurai jamais sa visibilité. À la base, il n'y a que les vrais auditeurs de rap, ou les mecs qui s'intéressent vraiment au truc, comme toi, qui vont chercher le nom des beatmakers. Mais plus le temps passe, plus le public commence à s'intéresser aux compositions. Je lis les commentaires sur YouTube, ou sur les réseaux sociaux, et je tombe souvent sur des « la prod tue, mais l'artiste a pas fait le taff »… Quelque part, ça montre que le travail du beatmaker est quand même apprécié indépendamment de celui du rappeur.

Tu penses que les rappeurs ont peur de laisser penser qu'ils ne sont que partiellement responsables de la qualité de leurs morceaux ?
Oui… En fait, je ne comprends pas. C'est très français comme mentalité, on dirait que les mecs ont peur de citer le nom de leurs producteurs. Le seul cas où le beatmaker est mis en avant, c'est quand son nom est plus connu que celui du rappeur… C'est à dire, un cas sur cent. Aux États-Unis, tu vois rappeur et producteur voyager ensemble, faire des clips, tu sens un respect mutuel, tu sens que les mecs travaillent tous les deux dans la même direction, et récoltent ensemble le fruit de leur travail. Après, je suis pas là pour mendier de la reconnaissance, j'ai pas besoin de ça.

T'as suivi la polémique autour des prods de PNL ? En gros, sur leur dernier album, certains beatmakers (1 ; 2 ; 3) n'ont pas été crédités, ni payés.
J'ai vu ça… Je sais pas quoi te dire, parce que j'ai déjà échangé avec eux, et on a eu un bon contact. Je pense que s'ils étaient en maison de disques, il n'y aurait pas eu ce souci, parce que les majors font super attention à ce que tout soit bien dans les règles, qu'aucun ayant-droit ne puisse se retourner contre eux. Leur statut d'indépendants sans structure, ça complique les choses. Après, sur certains clips, je vois que les beatmakers sont crédités… Peut-être que sur d'autres titres, il s'agit juste de mecs complètement inconnus, et ils se sont dit que ça ne poserait aucun souci. C'est aussi aux producteurs de se faire entendre, comme j'ai dû le faire avec Tory Lanez.

Tu cites souvent DJ Kore comme un exemple à suivre, dans le sens où il a beaucoup de crédibilité auprès des maisons de disques, il a la possibilité de développer des artistes, et il a toujours très bien réussi en terme de ventes. Tu signerais pour avoir la même carrière que lui ?
En France, c'est sûr, oui. Il a un parcours honorable, c'est ce que je vise sur le long terme. Mais mon objectif, c'est vraiment de faire des choses aux États-Unis. Ce serait un kiff de développer des artistes américains en même temps que des artistes français. Je pourrais faire le pont, réaliser des projets des deux côtés. Je suis toujours à l'affut de ce qu'il se passe, parce que j'ai vraiment envie de développer des artistes. Donc j'écoute tout ce qui sort, dès qu'il y a une nouvelle tête qui apparaît je me renseigne… Le souci c'est que quand je les approche, ils ont toujours déjà signés avec un autre producteur.

Tu vis du beatmaking ?
À l'heure actuelle, je pourrais en vivre, parce que je suis signé, et que j'ai des sons qui tournent bien. Mais j'ai pas envie de compter uniquement là-dessus, il faut toujours avoir une roue de secours. Du coup, j'ai toujours bossé à côté, en restant dans le domaine musical. Tu me verras pas faire un truc qui n'a rien à voir avec la musique. C'est pas facile de jongler, et puis souvent les gens ne comprennent pas.

Je comprends. Merci Punisher.
Merci à toi. Je t’ai dit que j’aimais beaucoup Noisey ? Genono aime beaucoup Twitter.