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Music

Bruit Noir veut en finir avec le métro parisien, Joy Division, Lars Ulrich et la Sécurité Sociale

« Le mec le plus con de la Terre, c'est quand même le batteur de Metallica. Je pense qu'il n'y a pas un mec plus con sur Terre. »

Si jamais vous n'avez pas renouvellé votre abonnement à Pompes Funèbres magazine, sachez que Bruit Noir est une émanation des pas super happy Mendelson, groupe responsable l'année dernière d'un triple album qui a dû tourner en boucle dans pas mal d'HP. Aujourd'hui, Pascal Bouaziz (chant) et Jean-Michel Pirès (tout le reste), soit 2/5 de Mendelson, veulent aller plus vite et ne plus perdre de temps. Ca donne I/III, premier album réalisé en ne conservant que les percussions et les cuivres. Et ça donne surtout 10 titres fantastiques et bourrés d'humour (noir, forcément). Après avoir écouté leur disque un bonne quinzaine de fois, on est allés à leur rencontre à Bobigny pour en savoir plus sur ce projet très éloigné du bruit blanc et sur leur relation à Lou Reed, Metallica, la province, Joy Division ou le métro.

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Noisey : Je suppose que vous avez choisi Bruit Noir parce que Suicide était déjà pris ?
Pascal Bouaziz : C'est pas mal, ça. Effectivement, c'était déjà pris. Pourquoi Bruit Noir déjà ?

Jean-Michel Pirès : Ben tu sais bien, le vomi dans la tête, tout ça…

PB : Oui, mais ça c'est bidon.

JMP : Peut-être, mais c'est comme ça que tu me l'as vendu.

PB : Le Bruit Noir, c'est un terme pseudo scientifique qui désigne le bruit fait par la trace du big bang je crois. Mais pour moi, le Bruit Noir, c'est ce bruit qui traîne dans la tête des gens quand ils ne font pas attention à ce qu'ils pensent. Toutes ces mauvaises pensées mal gérées qui chez les cons ou chez les fous ressortent par la bouche, alors que la plupart d'entre nous parvient à les contrôler. Avec ce disque, je ne voulais rien filtrer. Jean-Michel a d'abord enregistré toutes les musiques chez lui. Il me les a envoyées et j'ai enregistré les prises voix chez moi avant de venir ici, au Canal93 à Bobigny, pour faire les mixes.

Jean-Michel, c'est toi qui est à l'origine du disque. Venant du rock, pourquoi faire un disque avec seulement percussions et cuivres ?
JMP : Pfff… J'avais envie de faire du rock sans les instruments rock que sont la guitare et la basse. Certains disques que j'aime beaucoup avaient réussi ça et j'ai eu envie de m'engouffrer là-dedans et d'essayer, de voir que ça donnerait avec ma vision du truc.

Quels disques par exemple ? Colin Stetson ?
Pour les textures de cuivres, peut-être. Mais je pensais à des trucs plus anciens comme Flowers of Romance, un album de PiL fait de percussions et de voix. Ils chopaient tout ce qui leur tombait sous la main. Des violons, des bandes magnétiques à l'envers. Et aussi à The Creatures, le side-project de Siouxsie and the Banshees. Et puis on devait se détacher de Mendelson, et ça ne pouvait passer que par là : virer les guitares, les claviers, les arrangements, triturer la voix, faire des textes plus courts.

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Pascal, il paraît que tu as improvisé les paroles. J'y crois pas du tout.
PB : L'idée c'était de changer de méthode d'écriture. Après avoir passé des années sur les textes du dernier album de Mendelson, j'avais deux envies : des textes très courts et pas écrits. Les textes très courts, ce sera pour un projet futur si j'y arrive. Avec Mendelson, j'ai toujours fait en sorte qu'on n'entende pas le travail. Qu'on ne se dise jamais « Tiens, ça rime, c'est joli. Il a fait que des rimes en -ence. Absence, obsolescence, abstinence. Ou des trucs du genre Alice, ton calice, dans ton Levi's ». Quand j'ai reçu les musiques, je n'avais aucune matière écrite, alors j'ai décidé de laisser tourner la musique en improvisant dessus, chez moi, en faisant la vaisselle par exemple. Avec mon micro ouvert. Le premier passage était totalement improvisé, et ensuite je retravaillais à la deuxième prise.

S'il est mal contrôlé, ce bruit noir dont tu parlais tout à l'heure peut mener au suicide. Le suicide, c'est un gimmick du disque entre le morceau d'ouverture « Requiem », les évocations de Ian Curtis, Jean-Luc Le Ténia ou encore Kurt Cobain.
J'ai le sentiment qu'arrivé à un certain âge, quand tu n'es pas mort, c'est que t'es un survivant. C'est ma sensation, et c'est pour ça que je suis bizarrement de plus en plus joyeux. Certains n'y sont pas arrivés, ils sont tombés au champ d'honneur. Le Tenia, Curtis, voilà des gens qui n'arrivaient pas à dealer avec le bruit noir. À un moment, ils sont englués, mazoutés par lui. « Requiem », comment ça me vient?

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En faisant ta vaisselle, non?
Ça vient surtout de cette sensation d'être passé à travers suffisamment de trucs pour dire que je suis encore là, vivant. Ce qui me fait rire avec « Requiem » c'est de reconnaître que je suis différent, c'est aussi une chanson de renaissance.

I/III serait donc ton super éculé « disque de la maturité », celui où tu relativises tout ce que tu as vécu avant avec Mendelson ?
Même s'il est un peu rude, c'est un disque de joie et de liberté retrouvée. Pas du tout un truc de maturité. Je ne me suis pas mis à fumer la pipe et à écrire des chansons à la Cabrel. C'est un disque plus déconneur, plus fou, moins contrôlé que les trucs de Mendelson. C'est plutôt le disque de l'immaturité, du retour de jeunesse.

Dans « Requiem », tu dis que « C'est mieux de brûler que de se laisser pourrir », clin d'oeil à une phrase de Neil Young immortalisée par Kurt Cobain.
Encore un autre suicidé, tiens. Neil Young, je peux me remettre à l'écouter tous les jours, et In Utero, c'est un album magnifique, fracassant. Nirvana, c'est un mec qui a fait presque par hasard un succès monstre et qui n'arrivait pas à dealer avec le bruit noir. Remettre cette phrase dans le morceau, c'est surtout une blague. À chaque fois que t'écris une chanson, tu ne sais pas par quel miracle t'arrives à sortir un texte. Et à chaque nouveau morceau, t'as l'impression que c'est fini pour toi, que t'as plus rien à dire. C'est aussi la peur de ne pas te rendre compte que tu fais un truc pourri. Parfois c'est mieux de s'abstenir. Ne perds pas de vue qu'il y a beaucoup de second degré là-dedans.

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Le quinzième degré, c'est un peu votre discipline de prédilection. Dans « La Province », tu dis « Parfois je me dis que je vivrais bien en province, et puis je repense à Chartres ». Pourquoi Chartres précisément?
Parce que mon grand oncle vivait là-bas, et j'y allais tous les week-ends pendant sa longue agonie. Dimanche soir à Chartres, trouver un endroit pour manger une omelette, c'est le parcours du combattant. C'est une vérité, même si les gens qui vivent là-bas s'en accommodent. La qualité de l'air, la vie, tout ça… Mais moi j'y arrive pas. Le suicide de Jean-Luc Le Ténia qui vivait au Mans n'est pas étonnant.

Il y a une forme de posture chez toi, non?
Non, j'ai passé l'âge de la posture. Quand je vais au boulot tous les jours, je me sens oppressé. Prendre le métro avec des pubs où les gens sourient tout le temps alors qu'à côté de toi, c'est la misère et toujours la misère. Ce qui me surprend, c'est pas ce que je dis, c'est tout le reste : des gens qui chantent des chansons toutes cons, toutes bêtes.

JMP : Attention, hein, pas de noms.

PB : Oui, t'as raison, on avait dit pas de noms. Mais il n'y a aucune posture, surtout dans un projet qui s'appelle Bruit Noir. Tout doit passer sans filtre : la violence au travail, etc… Pourquoi chaque jour on fait toujours semblant alors que les gens se haïssent les uns les autres ? Les gens jouent à Angry Birds en se poussant dans des métros climatisés où il y a de moins en moins de places assises. C'est comme la Sécu. Pourquoi faut-il absolument que personne ne réponde au téléphone ? Ne pas faire semblant quand on fait de l'art, ça me semble essentiel. Quand t'écris, t'as forcément une position de recul qui peut ressembler à de la hauteur, surtout quand tu joues au con avec une chanson comme « La Province ». Les gens qui écoutent ça doivent se dire « quel connard de parisien ». Ben oui, c'est vrai. Mais ça les empêche pas, eux, d'écrire une chanson sur Paris. Et je l'écouterai, surtout si elle est bonne. Et ça me fera rigoler. Je ne peux pas me censurer en me disant que les gens vont penser que je me la pète. Pense ce que tu veux, fais en quelque chose, toi, écris un commentaire dans Noisey, écris un papier, une chanson pour répondre à ça.

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Dans « L'usine », tu chantes le travail à la chaîne.
Je suis végétarien. Je le suis devenu pas parce que manger des animaux c'est triste, mais parce que je ne peux plus m'associer à quelqu'un qui travaille 8 heures par jour à couper des pieds de cochons pour mon bien-être personnel. Rappelle toi qu'un mec découpe des cadavres pour que tu sois bien au restaurant.

As-tu pensé au « Poulet 728120 » de Katerine en écrivant ce morceau?
Pas du tout, mais je respecte ce mec car c'est une école de liberté. Il a commencé par quelque chose de très fermé, très bossa. Et puis il a explosé en laissant entrer énormément de choses. Son album Humains après tout, c'est un disque hyper important pour moi. Il nous disait on est libres, « on s'en fout et on dit ce qu'on veut ».

Jean-Michel, t'as aussi bossé avec Michel Houellebecq. Il est encore plus dark que Pascal, non ?
JMP : C'était il y a longtemps. C'était avant qu'il perde ses dents et qu'il fasse de la chirurgie esthétique. Quelqu'un de très gentil, très discret. À l'époque, il a voulu jouer à la rock-star et ça lui a plu deux-trois mois. J'étais là au début de sa tournée « Présence humaine ». Un mec très drôle.

PB : Houellebecq croit plus en l'être humain que moi. Il est pour la démocratie directe ce qui est une gigantesque connerie. T'imagines si on laissait les clefs du camion à tous ces abrutis qui nous entourent ? C'est une aberration totale pour moi. Il faut médiatiser la connerie des gens, la filtrer et leur faire passer un permis pour avoir le droit de vote. L'être humain est une horreur, si tu laisses les gens s'organiser seuls, ils réhabilitent les camps direct.

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J'en arrive au morceau « Joy Division ». En quoi ce groupe a été fondamental dans vos parcours?
J'ai découvert ça à 17 ans. Avec Morrissey, Ian Curtis était le mec qui écrivait les paroles les plus belles, les plus magnifiques… C'était stupéfiant de beauté. Après, t'avais tout un univers, sa présence sur scène, les pochettes, ce son hyper froid, les effets bizarres. Quand t'écoutes Closer, tu rentres dans un autre monde. C'était tellement différent de tout le reste, et pour moi qui me suis toujours attaché aux textes, c'était imbattable. Joy Division, c'est parmi les plus grands textes du rock, et ça reste de la chanson. C'est pas un poète qui fait des trucs avec des musiciens derrière, c'est vraiment des chansons. La production est magnifique, les sons de Martin Hannett sont purs, il n'y a rien à jeter.

JMP : Je les ai découverts après New Order. Avec le recul, je me dis que la musique de Joy Division, ça n'existait pas avant et ça n'existe plus après. C'est peut-être plus dû au producteur qu'aux musiciens eux-mêmes qui voulaient juste faire du punk.

Dans le disque, tu traites d'ailleurs les musiciens de Joy Division d'abrutis. Tu dois pas être un grand fan de New Order.
PB : Peter Hook, et tout ça…

JMP : Je les ai croisés, c'est vraiment des beaufs.

PB : On avait dit qu'on dénonçait pas.

JMP : On s'en fout, Peter Hook c'est pas pareil.

La dernière fois que j'ai assisté à un DJ set de Peter Hook, il a passé la soirée à tourner les pages de son classeur à CD's. On avait l'impression qu'il les découvrait.
JMP : C'est ça qui est fascinant. On parle de mecs qui ne pensent qu'au foot, à la bière, à passer du bon temps, et en face t'as la musique fantastique de Joy Division.

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PB : Ce qui est génial, c'est qu'ils ne savent pas jouer, se mettent ensemble, avec un mec hyper puissant… Je pense quand même que le batteur y est aussi pour beaucoup. Un mec très inventif. Mais Curtis y était pour beaucoup, c'est lui qui connaissait tous les disques. Je pense qu'il a dirigé tout le truc en s'appuyant sur leur énergie, et peut-être sur leur bêtise aussi. Ils sont modestes et le racontent eux-mêmes. Même le producteur était sidéré de bosser avec eux. Ils étaient en train de déconner alors que Ian Curtis faisait ses prises voix.

JMP : Sur scène, New Order joue très mal.

PB : Ouais, mais ça marche bien.

Sur « Joy Division », tu reproduis les sons de batterie du groupe.
JMP : Ah bon, ? C'est le pur hasard alors. Quand j'ai envoyé les instrus, les textes n'existaient pas.

PB : J'ai tout de suite pensé à la batterie d'Unknown Pleasures bien sûr. C'est de là d'où sort le texte. J'entends ça, je le prends pour un sample ou un hommage à Joy Division, et le texte, il part de ça. C'était « Joy Division » d'office.

Poursuivons avec les monstres sacrés. Pour toi, Lou Reed a mis son cerveau de côté pour jouer avec Metallica.
PB : T'as écouté son album avec Metallica ? Metallica est un des plus mauvais groupes de la Terre. Bon, on avait dit qu'on disait pas de mal des autres groupes.

JMP : Je peux accepter Slayer, les Gun's n' Roses, mais Metallica…

PB : Le plus mauvais batteur. Le mec le plus con de la Terre, c'est quand même le batteur de Metallica. Je pense qu'il n'y a pas un mec plus con sur Terre.

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JMP : Il n'a rien fait pour se rendre plus sympathique en tout cas.

PB : Il n'y a pas plus con.

Et Lou Reed là-dedans ?
JMP : Être un con anglais ou un con américain, c'est pas la même chose. L'Anglais a une certaine classe, la tête haute, alors que l'Américain…

PB : Lou Reed est mort pas très longtemps après que j'écrive le texte, et il y a eu ce déferlement ridicule de compassion sur les réseaux sociaux. Sur scène, j'avais sorti une connerie qui me faisait rire après coup : « S'ils avaient eu des smileys pour pleurer sur Internet, ils en auraient mis partout ». Lou Reed a évidemment sorti des disques incroyables, mais il a aussi fait des bouses, et le mec est un sale connard. On ne va quand même pas dire que c'est un saint. C'est dingue d'être dans une société où il y a tellement besoin de tout le temps adorer.

Vous écoutez des groupes français actuels ?
Oui, j'en écoute. J'écoute tout ce qui est bien, donc ça fait le tri. Que ce soit de Papouasie ou de Nouvelle-Guinée. J'ai pas une écoute avec des quotas. Mais ce qui est vraiment génial en ce moment, c'est toutes ces initiatives du genre La Souterraine qui sort des trucs en direct, sans intermédiaire. Avant, tu faisais une chanson, tu ramais, tu sortais une cassette, on parlait de toi dans un fanzine de Rouen, puis après tu faisais un concert à Caen, et puis trois ans plus tard t'étais déjà mort et t'avais un article à Paris. Maintenant, c'est en direct. Le mec est à Charleville-Mézières, il écrit sa chanson tout seul et ça sort. En direct de ta chambre. Après, il y a tellement de choses que tu ne vas évidemment pas tomber sur un mec génial tous les deux jours. Ce mouvement est super, mais malgré tout ce qui est écrit là-dessus, tout n'est pas bien.

JMP : Récemment, on s'est dit que Phoenix, c'est pas mal quand même.

PB : On va pas finir l'interview là-dessus, on est bien d'accord ? Dans le genre mainstream, c'est assez réussi. Et le truc qui est important dans la vie, c'est le truc qui est réussi. Que ce soit New Order, Joy Division, Phoenix. Mais l'album de Metallica avec Lou Reed, c'est une merde. On va pas en parler des heures, c'est une bouse. Une bouse ratée. Bon sang, on se retrouve à dire du bien de Phoenix, comme s'ils avaient besoin de nous. Les mecs remplissent des stades, sont à Los Angeles et vont à la plage…

Albert Potiron va juste sur Twitter.