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Music

Enfer porte très bien son nom

Le one-man band le plus en rogne de Caen a partagé quelques gorgées de nihilisme avec nous avant son concert de vendredi à Paris.

Avec la musique, les rires et les cotillons. C'est ce qui est inscrit sur la page bandcamp de ENFER. Et c'est évidemment le sentiment inverse qui vous envahira lorsque vous presserez le bouton lecture du premier morceau de sa démo, « La caravane passe ». Un titre aussi définitif et plombant que Miguel Indurain dans une étape de montagne, idole de jeunesse de Julien, l'homme derrière ce groupe à guitare et boîte à rythmes. Doom-punk ? Hardcore dépressif ? Lo-fi metal ? Le Caennais s'en tape. Après avoir monté de nombreux groupes évoluant au sein de cette satanée scène DIY (dernier en date : Mercury Tales), il crache désormais sa bile comme elle lui vient. 0 % de positivité au rendez-vous mais une passion non dissimulée lorsque Julien évoque avec nous l'empreinte des grands-frères Amanda Woodward, la mort de Lemmy ou la préfecture du Calvados. Ca se passe plus bas.

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Noisey : Tu faisais quoi avant ENFER ?
Julien : Ça fait une dizaine d'années que j'ai des groupes plus ou moins actifs. J'ai commencé par gueuler dans un truc de screamo chaotique qui s'appelait Isaie Buried Memorial. Quelque part entre Orchid et les groupes allemands du début des 00's, (c'est pas un hasard si on a fait plus de dates en Allemagne qu'en France). J'écrivais déjà en français, c’était un bon défouloir et ça m'a fait connaître la scène DIY, les squats allemands, ceux du pays basque espagnol… Après, y'a eu Zombies Are Pissed!, un truc de punk-hardcore ala Kid Dynamite. Notre plus grand fait d'arme c'est un split 45 tours avec Youth Avoiders. Et une tournée en Allemagne avec Sport. C'était un groupe de potes, de mecs avec qui je traînais depuis plusieurs années, qui avaient des groupes de leur coté et avec qui on a finit par faire un truc ensemble. Ça a duré 4 ans, c' était beau et débile à la fois. Autant de fou rires que de prises de tête. Après ça y'a eu quelques projets éphémères : Kids From the Pack, Tigersuit ! Et aujour'dhui ENFER.

Qu’est ce qui t’a poussé à monter un groupe seul ? T’avais des modèles en tête ?
Après avoir vu mon dernier groupe splitter une énième fois et m’être embrouillé avec la moitié de la ville de Caen, dont une bonne partie de la scène DIY, j'ai décidé qu'ils pouvaient tous aller se faire foutre, et que je ferai un truc sans compter sur personne d'autre que moi. J'ai acheté une boîte à rythmes et j'ai fait mon truc. L'idée c'était de faire quelque chose de bête et méchant à la HOAX. Après, les « modèles », c'est de voir qu'un mec comme Jessica 93 peut faire tout ce qu'il fait en étant seul.

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Tu pourrais subir à nouveau les affres de la vie de groupe ?
À vrai dire, à côté d'ENFER j'ai recommencé un groupe. Un truc de post-punk un peu bourrin, Mercury Tales. J'avais croisé la future chanteuse complètement bourrée un soir qui m'avait tanné pour qu'on fasse un groupe. On a fini par boire du mousseux chez elle en écoutant White Lung. Le lendemain, je lui envoyais un riff de guitare, et elle, elle ne se souvenait même plus de m'avoir croisé… Mais jouer dans un groupe est le truc le plus grisant que je connaisse.

C’est quoi les inconvénients ? Vu que les avantages on les connaît (seul décideur, plus de blé, etc).
Le plus gros inconvénient c'est de te retrouver tout seul après ton set. Avoir personne avec qui partager ce que tu viens de faire. Le premier concert que j'ai fait à Caen, c'était avec les Japonais de BOMBORI, devait y avoir 20 personnes et aucun pote n'est venu. Je connaissais pratiquement personne, alors que c'est chez moi quoi. Je me suis retrouvé seul à boire ma bière, et comme tout le monde s'en tapait de ce que je faisais, personne n'est venu me parler, ça m'a vraiment fait bizarre. Et puis j'ai pas le permis, c'est la merde pour faire des dates ailleurs qu'à Caen.

Tes morceaux sonnent bien pour un truc enregistré dans une chambre. T’utilises quoi comme matos ? Et sur scène c’est quoi la configuration ?
J’ai composé et enregistré la démo en une semaine pendant les vacances déprimantes de la Toussaint, l’an dernier. J’ai tout fait sur Cubase LE 5 qui était fourni avec l’interface Lexicon Alpha Studio acheté 50 balles sur Thomann. La boite à rythme c’est une Alesis SR 16 que j’ai trouvé d’occase sur leboncoin à 40 euros. Les parties guitares je les ai faites avec Guitar rig. Sur scène j’ai juste un ampli, 2/3 pédales, et la boite à rythme. Je joue avec une guitare custom 77 que j’ai choppé en solde à 350 balles. Que du matos un peu cheap quoi, mais ça fait le taff.

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Tu penses quoi des artistes cités dans notre « Tour de France : Caen » ?
À part les vieux groupes de punk dont j’ai vaguement entendu parlé, c’est que du préfabriqué de SMAC. Après les mecs sont sympas, Gabriel Superpoze quand tu le croises, il te tape la bise, Concrete Knives, l’ancien bassiste est un de mes meilleurs potes et ca m’arrive de me retrouver en soirée avec le nouveau. Mais bon, Caen ça marche un peu au copinage. Si t’es dans le giron du Cargö c’est tout bon pour toi. Elecampane par exemple, ça casse pas 3 pattes à un canard, les mecs sortent deux morceaux et font deux concerts et hop, ils sont dans Les Inrocks et font une première partie au Cargö. Juste parce que ce sont les mecs de Concrete Knives, mais pour les avoir vus, ouais, c’est pas génial quoi. Et je te parle même pas des « tremplins » ou les groupes qui gagnent ont déjà fait des résidences et des premières parties…

Y’a rien sur la scène DIY dans l’article. Des mecs comme Amanda Woodward par exemple. C’était un peu des modèles pour nous. Grace à eux, j’ai vu des groupes de l'écurie No Idea au bar Laplace. Voir Against Me! devant 30 personnes dans un PMU, un lundi soir de février, en 2003, merci quoi ! Et je te parle pas de tous les groupes qu’il y a eu avant, fin des 90’s début 00’s, les SOAR, El Bimbo, Hippies Of Today, Fuhaim Catha, etc… Y’a eu une vrai grosse scène. C’est clairement retombé depuis 3/4 ans par contre.

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Mais il reste quand même des trucs plus bandants en ce moment à Caen, un mec comme Jean Vance, ou Sorry Sorrow Swims, par exemple.

Tu as toujours vécu dans cette ville ? Tu vivrais ailleurs ?
Je suis né ici. Pendant longtemps je me disais que si je me barrais, c’était pour l’étranger. Dans une autre ville en France ça aurait été la même merde mais sans mes potes. Et puis après j’ai eu une phase « je reste ici et je fais en sorte que la ville devienne cool » en organisant des concerts, tout ça… Depuis un ou deux ans, la moitié de Caen s'est barré à Nantes. Mais moi, si je devais me barrer, ce serait pour Lyon. La ville est plutôt chouette, c’est respirable et j’y ai pas mal de potes avec qui faire de la musique.

Le premier morceau de ta démo s’appelle « La caravane passe ». Tu as un souvenir marquant lié au Tour de France ?
Je viens d’une famille de cyclistes. Les dimanches pluvieux d’automne à arpenter les circuits en rase campagne pour suivre mon père qui courait… Mon grand-père était dirigeant d’un club dans les années 70. Sur les photos d'ado de mon père, il est toujours avec un maillot et un cuissard. Pour moi, le Tour de France c’est les vacances d’été chez les grand-parents au bord de la mer, à regarder les étapes à la télé à l’ombre de la caravane. Y’a un vrai truc nostalgique, c’est clairement une part de mon enfance. Mon héros, c'était Miguel Indurain.

« Ne jamais grandir », « Je veux pas crever »… Tu te places où par rapport au syndrome Peter Pan ?
J’ai traîné pas mal de temps avec les mecs d’Every Second Week qui avaient érigé le « I don’t want to grow up » en mode de vie, à vénérer les Goonies, Hook et compagnie. Mais j’ai toujours été distant de ce truc-là. Et puis un jour j’ai eu 30 ans, j’ai vu des ex se marier et faire des gamins, j’ai vu des amitiés se défaire violemment, j’ai pris quelques claques dans la gueule, j’ai été rattrapé par le monde du travail. Et je me suis aperçu que les seuls trucs qui amélioraient le goût de cette tartine de merde qu’est la vie, c’est de sortir picoler et jouer de la musique fort dans mon garage. Et surtout, je me sens vraiment loin de tout ça, les projets de famille, les projets professionnels, etc… Du coup je me dis que le monde des « adultes », c'est pas vraiment pour moi. Mais c’est un truc générationnel. Les seuls personnes qui font encore des gamins et qui achètent une voiture neuve aujourd’hui, c’est les cassos ou les trentenaires graphistes qui traînent dans les vernissages (en y amenant leurs insupportables gamins qui courent partout).

À propos, pour quel artiste tu te fendrais d’un « RIP » sur Facebook ?
J’ai jamais marché au truc d’avoir des idoles. Des gens qui font caca comme toi et qu’on érige en modèle, j’ai toujours pensé que c’était pour les gens faibles, qui n’ont pas conscience qu’ils ont, entre leur mains, le pouvoir de faire la même chose. Mais figure-toi que j’en ai quand même fait un pour Lemmy. J’étais en train de picoler avec des copines quand j’ai appris sa mort. Ca m’a mis un coup. Autant Bowie était un violeur pédophile, autant Lemmy était un mec à la cool, simple, qui vivait son truc sans se prendre pour une star. Je sais pas, ça m’a fait un truc. J’aimais bien sa vision de la drogue aussi.

Trouve-moi un truc que David Bowie n’a pas inventé.
Le rock.

Dans ton morceau « On ne laissera pas de lettre », qui est « on » ? Et si tu devais vraiment en laisser une, t’écrirais quoi dedans ?
Le « on », c’e sont les gens avec un esprit critique, un esprit lucide. Qui ne croient en rien puisqu’il n’y a rien en quoi croire. Les utopies politiques resteront à jamais des utopies puisque les entreprises dicteront toujours leur loi et qu’il est trop tard pour une révolution. Les gens voient les révolutions comme un mythe. Ils oublient que ce sont des gens, comme eux, qui ont fait bouger les choses. Mais ils ont leur confort matériel, et ils ne cherchent rien d’autre. La seul rebellion aujourd’hui c’est de voter FN. Quand on est conscient de tout ça, on se demande comment « on » fait pour encore avoir envie d’être là. Les pressions sociales pour se conformer sont dingues. Trouve un boulot, pire, une carrière, fonde une famille, de préférence hétéro, fait des compromis, va voter, mais pas trop extrême… Et quand je vois ce qui se passe sous l’état d’urgence, ça arrange rien… En gros c’est ça. « On » c’est nous, les punks, les ado attardés, les utopistes. J’imaginais un suicide et les gens qui auraient voulu trouver les explications dans mon mode de vie, dans la musique que j’écoute. Pour ne pas voir que c’est leur faute. Que c’est la vie qu’ils nous imposent qui nous donne envie de nous foutre en l’air. Alors que putain, on est juste des petits atomes perdus dans l'univers. Si je devais me foutre en l'air, j'écrirais « filez mes organes, posez l'urne sur le comptoir, et picolez, riez, dansez, pleurez. Vous y êtes sûrement pour quelque chose. » ENFER sera en concert aux Instants Chavirés, vendredi 29 janvier, pour un nouvel épisode de Chanson Française Dégénérée. Rod Glacial ne croit pas en Twitter.