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Music

Gloire aux nouveaux « lads » ! Une interview croisée avec Real Lies et The Rhythm Method

Les deux groupes les plus anglais du moment nous ont parlé de leur aversion pour la culture populaire américaine, de ce qu'ils pensaient du rugby et des endroits où ils sortaient pour clubber.

Real Lies

Le premier album du trio londonien Real Lies s'appelle Real Life, sa pochette tue, comme 9 des 11 morceaux de la tracklist (mention spéciale à « One Club Town ») et vous pouvez l'écouter en intégralité juste en-dessous, merci The Guardian. Ca fait plusieurs temps que je me dis que ces mecs sont en train de me refaire aimer l'Angleterre, le confort d'un beau polo et les albums les plus haïs de New Order. Leur musique est relativement indescriptible pour les rationnalistes continentaux que nous sommes, un mélange de reggae, de house et de phrasé cockney sur une guitare désaccordée et des beats junglisant. Ca peut faire peur hein, mais ça permet surtout de repousser loin, très loin, l'année 2005 et son offre culturelle dont les soubresauts se font encore ressentir du côté de Melun. Pour promouvoir le disque, Real Lies a décidé d'embarquer avec eux The Rhyhtm Method (sorte de The Streets en plus deep) sur une mini-tournée, de Brighton à Manchester. C'était l'occase idéale de demander aux deux groupes de Londres ce que signifiait pour eux être un lad aujourd'hui, quels équipes ils supportaient, quels disques ils écoutaient et si la France était prête pour eux.

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Noisey : Premièrement, qu'est ce que vous écoutiez le plus quand vous étiez ados ?
Kev Kharas (Real Lies) : On écoutait tous les trois des trucs différents – moi, au début de ces années-là, j'étais dans le UK garage, et vers la fin, dans le dubstep et la drum'n'bass, tout en reliant les points entre Joy Division et la house « commerciale ». J'écoutais tellement de trucs pendant cette décennie, tous les genres se chevauchaient simultanément. Donc, je n'écoutais pas simplement des maxis de Nu-Birth et Pete Heller, j'écoutais Oasis en même temps. Le garage, la drum'n'bass, la jungle, le grime – j'étais trop jeune pour toutes ces scènes, alors j'avais l'impression qu'elles étaient toutes « apparues » en même temps. Je me disais juste que c'était le son de la nuit, et avec le recul, c'est la définition qui se rapproche le plus de tout ce que j'aime en musique, encore aujourd'hui.

Joey (The Rythm Method) : Rowan et moi nous sommes rencontrés à l'âge de 16 ans, devant le Nambucca, sur Holloway Road. Tout le monde avait son groupe indie à l'époque. Rowan portait un nœud papillon et avait un clavier-jouet sous le bras. J'avais une peau terrible et des jeans bien trop slims pour le grassouillet que j'étais. Tout ce qui s'est fait à cette époque est hyper gênant aujourd'hui, mais quelques uns ont réussi à passer l'épreuve du temps, comme Jamie T par exemple. C'est le Bruce Springsteen du sud ouest de Londres. Et Rhythm Method est Bon Jovi.

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Vous pensez que ce qu'on écoute entre 13 et 17 ans définit notre personne pour le reste de notre vie ?

Kev :

Peut-être, l'atmosphère des trucs, ouais. Comme je l'ai dit, si un morceau sonne comme la nuit – comme une bouffée d'air frais ponctuée par le bruit de la circulation, genre

ça

ou

ça

, ou

ça

– ce type de trucs pénétrera sans problème au plus profond de mes oreilles et me remuera les tripes. Mais comprends bien que je ne suis pas en train de te répondre avec une copie poussiéreuse du CD de «

Needin' U

» entre les mains, hein.

Joey : Je changeais de style vestimentaire tous les 3 mois quand j'étais ado. Beaucoup de mes looks s'inspiraient de mes catcheurs préférés. Du nu-metal au gouffre indie, j'aime penser que tout ça me renseignait sur qui j'étais, pour le meilleur et pour le pire.

Vous avez un album préféré de New Order ?
Kev : J'ai jamais vraiment écouté New Order en fait. Ils sont bons ?

Joey : J'imagine que cette question est pour Real Lies. On a toujours aimé « Getting Away With It » de leur side-project Electronic.

The Rhythm Method

C'est comment la vie à Londres aujourd'hui ? Un article de Noisey UK disait que les musiciens ne pouvaient plus se permettre de vivre en ville tellement c'était cher. C'est votre cas ?
Kev : Parfois tu gagnes, parfois tu perds. C'est la même rengaine, comme d'habitude. Pour moi et mes amis, la gentrification c'est devoir déménager chaque année car le loyer augmente trop et c'est voir ton club préféré fermer tous les 6 mois parce qu'apparemment, les gens ont d'énormes besoin en café. Ca a toujours été comme ça. Y'a toujours un moyen de trouver du fun. Je suis en train de pigner mais quand j'y repense, les meilleures soirées de ma vie ont eu lieu durant ces 12 derniers mois. Ceci étant dit, RIP People's Club ; tu étais et tu seras toujours le meilleur.

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Joey : Pour tout dire, The Rhythm Method s'est formé alors qu'on était en train de squatter temporairement un immeuble de bureaux vide au sud du fleuve. C'était le seul endroit qu'on pouvait se payer et c'était plutôt une belle métaphore des limbes dans lesquelles Londres nous avait fait plonger. Quand tu es né et que tu as grandi ici, sans faire partie des classes bohémiennes, tout te paraît temporaire. C'est évident et inévitable que nous ne serons pas capables d'élever nos familles ici. La gentrification nous a jeté du sud ouest de Londres, et nous avons déménagé à Hackney où nous sommes devenus les gentrifieurs. On fait quoi maintenant ?

Vous allez où quand vous voulez sortir ?
Kev : On avait notre propre résidence au People's Club sur Holloway Road. Les gars de The Rhythm Method étaient tout le temps là d'ailleurs, comme le crew de 30/40 potes avec qui on traînait à Londres. On a une bande incroyablement soudée et loyale de potes. C'est probablement le truc dont je suis le plus fier et heureux dans ma vie. Quand on veut clubber dans un bon endroit, la plupart du temps, c'est quand un pote nous a booké quelque part. Sinon, on va au Enkel Arms, où la techno te fera saigner du nez tous les mardi soirs, satisfait ou remboursé. Soyez bien sûr de prendre vos lunettes de plongée avec vous.

Joey : RIP Eternal.

Vous êtes plus football ou rugby ? Quelles équipes vous supportez ?
Kev : Le rugby est un sport de connards. Je suis pour Arsenal, Pat pour Luton et Tom pour Ipswich.

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Rowan : Sans être des fans de rugby, ma famille habite juste à côté du stade de Twickenham. Donc en ce moment, je suis cerné par des types au teint rougeaud qui s'appellent tous Ollie, boivent de la Tanglefoot et se déguisent en meuf. C'est un peu trop macho et potache pour nous. Pour le reste, je suis fan de Chelsea à l'époque où Tor Andre Flo était considéré comme un « transfert exotique ». Le père de Joey vient de Glasgow et il supporte le Celtic. On nous a d'ailleurs un jour qualifié de Neil Lennon & McCartney de la pop.

Ca vous a fait quoi de voir l'Angleterre perdre contre l'Australie ?
Kev : C'était absolument hilarant.

Quelle est votre propre définition du « lad » ? C'est un terme qu'on utilise encore outre-manche ?
Kev : Les gens ont tendance à l'utiliser de manière méprisante. Je crois que le stéréotype négatif du « lad », pour beaucoup, est une espèce de tas de viande transpirant et grognant dans un pub sentant le pet et le fromage, avec l'alcool mauvais parce qu'il vient de se faire défoncer au billard et que son équipe n'a même pas passé les matchs de poules. Et c'est pas très fairplay de mettre tout le monde dans le même moule juste parce qu'ils ont l'air d'aimer la bière, le football et râler. Donc je rejette toute définition du lad – je crois que le monde se porterait mieux sans ce terme. Beaucoup de nos fans sont de jeunes hommes qui aiment boire, le foot, la musique, les fringues et qui se connectent avec nous parce que nous sommes comme eux et le truc important : on ne les snobe pas en les assimilant à un stéréotype négatif. Nos fans sont géniaux et tout le monde a des nuances – même nous. Watson a inventé une nouvelle façon d'accorder sa guitare et la couleur préférée de Pat est lilas.

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Joey : De nos jours, « lad » est un synonyme de cassos. Les problématiques du sexe se sont inversées, c'était obligé, et un tas de jeunes mecs aujourd'hui ne savent pas quoi faire de leur vie. Certains se mettent sur la défensive, tu obtiens alors ces mecs à la Dapper Laughs, atteints de gangrène misogyne, qui ont tellement peu de confiance en eux qu'ils ressentent le besoin de se rendre désagréables. Ensuite, tu as d'autres jeunes mecs, comme nous, pour qui être un lad est un peu plus complexe que les gens qui nous pointent du doigt. Je suis barbier mais je ne m'y connais pas assez en foot pour en parler à mes clients. Rowan connaît bien le foot mais il n'est jamais aussi heureux que quand il écoute les Carpenters. Tu captes ? Je suis optimiste à l'idée d'atteindre cette période de ma vie où être un jeune homme signifie être libéré de toutes les enclaves qui sont censées te brider. On a fait notre premier concert en soutien au CALM (Campaign Against Living Miserably), une asso qui lutte contre la dépression chez les jeunes. Le monde lad a besoin d'une révolution, et que chacun prenne soin l'un de l'autre.

Pour revenir à votre musique, je trouve que c'est le truc le plus « brit » que l'on peut entendre actuellement. Vous contrôlez cet aspect ?
Kev : On vient de Grande-Bretagne, donc voilà. On s'oppose également complètement au mégalithe de la pop culture américaine qui nous dicte ce que l'on doit écouter sans arrêt et par qui on doit être obsédés. Soit, allez, une petite dizaine d'artistes américains à propos desquels Internet braille à longueur de journée, chaque jour. Kanye West, Taylor Swift, Miley Cyrus – écris tant de « thinkpieces » que tu veux là-dessus gars, ça ne me m'apprendra rien du tout sur ma vie. L'image qui définit cette culture renvoie à quelques millionnaires débattant en silence sur le vide dans un hôtel 5 étoiles de New York. Comment est-ce qu'on pourrait faire plus à l'opposé de ce que je vis au quotidien, sérieux ? Ce petit cercle conscient de son « importance culturelle » est tellement fermé sur lui-même et rabâché continuellement que ça te pousse au ressentiment.

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Est-ce important à l'ère Internet de savoir, dès la première note d'un morceau, d'où un groupe provient ?
Kev : Pas géographiquement. Perso, je trouve que la musique qui n'a pas réussi à se démarquer d'un certain style de vie devient chiante et sans intérêt au bout d'un moment. Donc peut-être que c'est important d'être capable de dire « d'où » ça vient, mais ce « où » pourrait aussi bien être un lifestyle ou une culture qu'une ville ou un département.

Joey : La meilleure musique vient de milieux honnêtes. L'ère Internet a jeté beaucoup de poudre aux yeux, et amené une certaine distanciation. On veut sans aucune honte représenter les lieux et les gens avec qui on a grandi, même si nous ne sommes pas sur la même longueur d'ondes qu'eux. La pop n'a pas fait ça depuis plus de 10 ans maintenant. Elle est balancée au peuple, mais n'est pas créée pour lui

Il y a aussi une certaine idée de la masculinité dans votre musique.
Kev : Je ne pense pas que la masculinité en elle-même soit un truc qu'on cultive, mais en effet, c'est un concept un peu plus intéressant que les publicités WKD, que la culture de la barbe ou que 20 000 mecs dans un stade faisant tout pour ne pas pleurer sur des morceaux de Mumford and Sons.

Joey : L'esthétique de The Rhythm Method n'a jamais été réfléchie. La manière dont on se sape correspond plus à une affirmation d'une volonté de notre part, et ce sera toujours le cas. Et puis, c'est un peu usant d'être la cible de relous parce que tu t'habilles comme Noel Fielding, qui peut tailler quelqu'un parce qu'il fait l'effort de ressembler à un type plus dur qu'il ne l'est vraiment ?

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Kev : Quand l'une des plus grandes villes de la planète t'attend derrière la porte de chez toi, c'est important de savoir que tu peux sortir dans la rue sans que les gens pensent que t'es un tocard.

Vous pensez que vos deux groupes ont un impact sociologique ? Selon medium.com, The Rhythm Method en a un en tous cas !
Kev : En Angleterre, on en est encore à essayer de prouver que la société existe.
Joey : Un changement social est en cours. On ne l'a pas provoqué, mais on veut clairement en faire partie. Les gens en ont marre de vivre dans une société et une culture qui s'en tape complètement de leur sort.

Pour terminer, est-ce que vous croyez que la France est prête pour vous ?
Kev : On adore la France. On a été invités par Jamie XX aux Nuits Sonores à Lyon cet été, et au MIDI festival l'été d'avant, c'est sûrement les meilleures soirées qu'on a passées. Dédicace à tous ceux qu'on a rencontré là-bas, on ne les oublie pas. On est impatients de revenir et de rencontrer à nouveau votre police montée.

Joey : La France est prête, on est prêts, est-ce que vous êtes prêts ?

Rod Glacial est prêt. Il est sur Twitter.