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Music

Silent Servant veut que vous vous donniez à fond pour la cause

Le producteur de Los Angeles nous parle de sa ville, de ses parents, de Sandwell District et de l'aspect religieux de la scène techno underground.

Il y a un an et demi, je me suis incrusté à un show de Silent Servant en passant par la porte de derrière, dans un club de Brooklyn. Je venais de découvrir sa techno sombre et la puissance de feu du collectif Sandwell District et son DJ set m'a complètement retourné, m'introduisant à tout un nouveau pan de le scène underground. « Utopian Disaster (End) », le morceau qui clôture Negative Fascination, le premier album de Silent Servant sorti en 2012 sur le label noise culte Hospital Productions, en reste, pour moi, le symbole parfait.

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Aujourd'hui, Juan Mendez (son vrai nom) joue ou mixe aussi bien dans des petits bars ou des lofts de L.A. que dans des énormes clubs à l'autre bout de la planète. Il propose un aperçu de la scène electro/noise à un public plus large et se maintient en équilibre sur la fine ligne qui sépare mainstream et underground. En plus d'une pléthore de projets démarrés durant les années 90, Mendez a co-fondé le label Historia y Violencia (basé à L.A.) avec Santiago Salazar. Son nouveau label, Jealous God, qu'il gère avec Karl O'connor (plus connu sous le nom de Regis) et James Ruskin, est, selon ses propres mots, une « réaction » à Sandwell District, le collectif au sein duquel ils ont repoussé les limites de la techno, de l'indus et de la noise.

J'ai allé à la rencontre de Mendez à Little Tokyo, alors qu'il prenait son petit-déjeuner, pour en savoir un peu plus sur sa musique et son parcours, dont la dernière étape s'intitule Violence And Divinity, un split avec Broken English Club sorti sur Cititrax, le sous-label de Minimal Wave Records. Vous pouvez écouter le morceau « Speed and Violence » ci-dessous et choper le disque ici.

Noisey : Est-ce que tu peux me parler de l'évolution de la musique à L.A. depuis ton adolescence ?
Juan Mendez : Je pense qu'il y a toujours eu une scène musicale étrange à L.A., elle a muté de beaucoup de façons différentes. J'avais l'habitude d'aller à Hollywood pour voir des groupes comme Medicine, The Faith Healers, les Breeders ou Sonic Youth. Il y a toujours eu une culture club très forte, très tôt ancrée dans la house. Beaucoup d'expatriés anglais jouaient de l'acid house ou de la house ici, de la techno de Detroit et ce genre de trucs. L.A. possède aussi une grosse culture freestyle. J'étais un peu trop jeune pour ça, mais il y avait toujours des fêtes cheloues dans les jardins, les maisons, remplies de vieux gangsters, de cholos… On pouvait y entendre Egyptian Lover, Uncle Jamm's Army, tous ces premiers trucs electro.

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C'est comment aujourd'hui ?
La scène se porte bien. Il n'y a pas beaucoup d'argent, donc peu de compétition. Les gens s'impliquent juste parce qu'ils sont motivés. Il y a une bonne mixture, les courants se croisent un peu plus. Tu vas voir des gamins ultra punks se pointer aux soirées techno, et des clubbers aller voir des concerts de minimal synth. C'est super excitant pour moi depuis quelques années, depuis que je suis revenu de Minneapolis.

Quel style de musique tu écoutes ?
C'est drôle, je fonctionne par phases. Le groupe dont je parle toujours tout le temps et que j'écoute toujours à fond, c'est Crescent, un groupe de Bristol des années 90. C'es comme une vieille relique, un trésor perdu, mais certaines personnes que je connais aiment beaucoup aussi, dont Veronica Vasicka (de Minimal Wave Records). J'achète beaucoup de trucs sur Bandcamp et je fais le tri. J'aime ce que Jes (Aurelius) et Nick (Nappa) font, tout leur délire Ascetic House. Stephen Mallinder de Cabaret Voltaire a un nouveau groupe qui démonte aussi, Wrangler. Ça dépend de ce que tu cherches évidemment - je fais en sorte de suivre un max de labels. Nation (le label de Traxx) fait du bon boulot, j'aime beaucoup Gooiland Elektro en Hollande, Cititrax et Minimal Wave sont toujours très bons. Downward bien sûr, L.I.E.S, Hospital Productions, Diagonal, Chondritic Sound, The Corner, Dark Entries, Token, Sonic Groove, Dias, Frozen Border, Mira, Avian, Our Circula Sound. Beaucoup de genres et de périodes différentes, mais dans l'ensemble, c'est de la musique un peu abîmée. C'est comme ça que je vois les choses : j'aime la musique un peu abîmée.

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Tu peux m'en dire plus sur ton label Jealous God dont tu t'occupes avec Regis et James Ruskin ?
Le truc bizarre, c'est qu'on l'a fait en réaction à ce qu'on faisait avec Sandwell District. C'était assez volatile, autant les gens impliqués que le projet en lui-même. Niveau tendances aussi, on a souvent été copiés, on est un peu les premiers à avoir apporter ce type d'imagerie et cette vibe techno un peu rigide, c'est devenue une norme depuis.

Donc Jealous God va s'éloigner de ça ?
C'est une manière différente de le faire, en gros. Perso, je voulais pouvoir faire passer les mêmes idées en couleurs, pas uniquement en noir et blanc. Je voulais fusionner l'étrangeté de la musique techno avec des trucs plus accessibles, que ça soit un peu mutant, avec des aspects de l'indus, peut-être quelques influences Neue Deutsche Welle ou new wave également, des influences pop. Ça pris un moment pour le faire. Les deux premiers disques n'avaient clairement pas ces qualités, parce qu'on les a sortis en vitesse. En revanche, le troisième représente pour moi parfaitement la manière dont on aurait dû commencer le label. Mais tout roule, on commence à y arriver.

Qu'est-ce que tu recherches chez un collaborateur ?
Je n'aime pas vraiment collaborer, je l'ai déjà fait mais j'aime pas vraiment ça. Je pense qu'il y a de bonnes manières de le faire, mais je n'y arrive pas tellement. Quand je bosse avec Karl, il y a une hiérarchie implicite. Je crois que c'est pour ça que notre relation marche depuis si longtemps. Avec Sandwell District ça marchait, avec tous nos labels récents ça marche aussi. Les communautés égalitaires, la plupart du temps c'est des conneries, ça ne marche jamais. Ça gâche les idées. Tu peux arriver à une conclusion correcte mais ça ne veut pas dire que l'idée de départ était bonne. Tout le monde sera content mais rien n'aura changé. Ça révolutionne que dalle. Peut-être que nous non plus, mais dans notre microcosme, ça permet aux choses de progresser rapidement, on peut se concentrer, tu dis ce que tu veux faire et tu le fais.

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Que signifie exactement le nom Silent Servant ?
C'est juste la manière dont j'ai l'habitude d'opérer. Mon père faisait pareil : arrête d'en parler, fais-le. Mes parents vivaient au Guatemala mais ont bougé aux États-Unis quand j'avais 2 ans. Ils avaient toujours deux boulots en même temps. Même à l'âge de 11 ou 12 ans, ils ne voulaient pas nous laisser seuls à la maison, donc mon frère et moi, on bossait avec eux. J'étais plus ou moins concierge durant toute mon adolescence. Mes parents disent toujours que le travail passe avant la stabilité. Et la stabilité te permet de faire ce que tu veux. Ça transpire dans tout ce que je fais. Quand tu tapes Silent Servant, tu trouves beaucoup de significations religieuses dans les résultats. Mais je ne l'ai réalisé qu'après avoir choisi ce nom. Étrangement, j'ai du respect pour ces choses-là. Au moins, la religion permettait d'exister au-delà d'un groupe précis. Que tu sois riche, pauvre, etc, tu vas à l'église et tout le monde est égal. On pourrait dire que les concerts, c'est un peu pareil. La culture musicale, quand elle est pure et concentrée, rend le même type de service aux gens. Tout le monde y va, traîne ensemble, participe. Mais beaucoup de gens n'ont pas ça. C'est un truc systématique qui arrive uniquement grâce à un certain sens de la communauté. Tout le délire Silent Servant vient aussi de Karl, une question de hiérarchie. Je l'ai toujours admiré, et j'ai toujours travaillé pour lui en quelque sorte. Il déteste que je dise ça, mais c'est un peu vrai.

Parle-moi un peu de cette ambivalence entre tes performances dans des lieux restreints et DIY, et celles dans d'énormes clubs et salles de concerts. Comment arrives-tu à exister dans ces deux environnements en même temps ?
C'est bizarre. Ça me travaille pas mal ces-temps ci. Je vais toujours voir des concerts de 80 personnes. Des trucs plus DIY. Par exemple, vendredi dernier, je t'ai croisé à cette soirée Mata Noise. Personne n'a vraiment gagné d'argent, mais c'était énorme. La qualité de la musique était assez élevée et tout le monde était à fond, juste parce qu'ils en avaient envie. Dans ce que les gens considèrent comme la scène « techno chelou », que ça soit ceux qui s'en inspirent ou ceux qui en font intégralement partie, il y a une sorte de fossé qui se créé si tu te mets à jouer dans des putain de gros clubs chaque week-end. Tu ne vois plus l'évolution de la scène, tu ne participes pas vraiment, et tu ne contribues pas vraiment non plus. Donc, à un moment il faut se retrousser les manches. C'est là que ce truc de « financement démocratique » entre en jeu. Certaines salles ne vont pas te payer tes frais habituels. Tu vas devoir te serrer la ceinture un minimum. Sur le circuit international, quand tu es DJ, on prend relativement bien soin de toi. Tout le monde ne vit évidemment pas la même chose, mais perso, quand ça m'arrive, je me dis ok, il faut que je donne quelque chose en retour. J'ai de la chance de pouvoir faire ça, et je me dois de contribuer à la scène qui m'a permis d'en arriver là. Quand un truc ne peut plus subvenir à ses propres besoins, il meurt. Quand tu n'arrives plus à exciter les kids, quand ils ne voient plus passer tes sorties, ils vont finir par s'en foutre, ils ne te calculeront même plus si tu te contentes juste de jouer dans ces énormes clubs. C'est un équilibre nécessaire. Ce n'est pas facile mais c'est un facteur important.

Un dernier mot ?
Je veux juste que les gens pigent qu'il existe plusieurss options. Il y a des choses qui se passent en dehors de ton champ de vision, et ce que tu cherches existe souvent déjà ailleurs, il faut juste faire un effort et aller le chercher. Je ne dis pas que c'est comme une communauté hippie, mais je le répète : il est nécessaire de se dévouer à la cause. C'est ce qui fera progresser les choses. Quand des jeunes s'impliquent à fond et essayent des trucs nouveaux et bizarres, ça peut facilement accorder un bonus de 5 ans à la durée de leur scène. Plus je vieillis, plus je réalise que c'est important. Donner le choix aux gens, essayer des trucs originaux et s'exposer à d'autres délires. On ressent un sentiment étrange au sein d'un groupe important et puissant, on se sent protégé.

Reed veut l'argent et le pouvoir. Si vous êtes comme lui, vous pouvez le suivre sur Twitter.