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Music

Un historique de la vie nocturne britannique par Dave Haslam

L'ancien DJ de la Hacienda a publié une enquête ultime sur le clubbing outre-Manche et on est allés en discuter avec lui.

J’ai rencontré Dave Haslam il y a quelques mois, dans un coffee shop de Berlin. Nous étions tous deux sur place pour le festival Pop-Kultur qui se déroulait au Berghain. J’étais là pour boire des bières et écouter des DJs, et Dave était venu faire l’interview de Bernard Sumner de New Order, avant d’aller faire un DJ set au Panorama Bar. C’est lui qui m’avait demandé qu’on se rencontre au Café Sibylle, sur la Karl-Marx Allee. Un bar réputé pour exposer une oreille de Staline (en fait un reste de sa statue détruite en 1961).

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Haslam est DJ, animateur radio, et auteur de plusieurs livres qui traitent du lien entre la musique et la société britannique, dont Manchester, England et Young Hearts Run Free: The Real Story of the 1970s. Il a récemment publié Life After Dark: A History of British Nightclubs & Music Venues, un colossal travail d’histoire socio-culturelle qui suit l’évolution de ce que les Britanniques, en tant que nation, font dès que le soleil se couche, et ce depuis l’époque victorienne. En un sens, ce livre est la parfaite antithèse de la philosophie cupcakes & cricket à laquelle adhèrent jeunes et vieux Conservateurs : ces gens qui préfèrent ne pas envisager la Grande-Bretagne comme une nation qui a fondamentalement besoin des échappatoires qu’offrent les pubs, les clubs et les salles de concert. Nous sommes tous à la recherche de ces lieux de débauche car sans eux, nous ne serions rien de plus que 64 millions de sacs de sang et de graisse congelée, amers et aigris, avec pour seuls horizons une nouvelle saison de Top Chef à la télévision. La vie nocturne est une forme de transcendance, au sens propre du terme, consistant à fuire la monotonie du quotidien. Comme Haslam l'a découvert dans ses recherches, cette idée d'excitation liée à la nuit - en des termes littéraux et métaphysiques - comme besoin fondamental n’a pas débarquée sur nos côtes à la fin des années 60, époque bénie de la Northern Soul, mais est bien antérieure.

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Et parce que Haslam a été DJ résident à la Hacienda, et continue à jouer partout dans le monde, il est bien placé pour parler de l’importance continue de la vie nocturne dans la société britannique. On lui a donc posé quelques questions à propos de son livre, du passé, du présent et du futur du clubbing.

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Mark E. Smith (The Fall) tape la bise à Dave.

Noisey : Tu as une longue expérience de la vie nocturne, et du clubbing en particulier, mais pourquoi as-tu soudain décidé de documenter plusieurs siècles de l’histoire culturelle britannique dans ce livre ?
Dave Haslam : J’ai découvert des choses intéressantes à propos des salles de spectacles de la période victorienne, il y a 200 ans : des endroits énormes où 2000 ou 3000 personnes se rassemblaient, se soûlaient, assistaient à toutes sortes de spectacles - que ce soit avec des pianistes ou des chiens acrobates - et dans le public, on trouvait des prostituées, et même des policiers en civil. Et de la magouille, un peu partout. Je voulais relier cette réalité à celle d’aujourd’hui, et raconter l’histoire de tout ce qui s’est passé entre-temps : les mods, la disco, etc. Et puis, par expérience personnelle, je sais combien les clubs et salles de concerts sont importantes pour les gens : ils y passent les meilleurs moments de leur vie. Je voulais donc célébrer tout ça.

Pendant tes recherches, il y a des choses qui t’ont choqué quant à la vie nocturne de nos ancêtres ?
Oui, j’ai été frappé par l’absence de contrôle : aucune hygiène, aucune sécurité ! Mais ce qui était vraiment génial à montrer dans le livre c'est comment chaque génération se crée ses propres espaces, sa propre musique, sa propre drogue, sa propre mode. Tu savais que dans les années 1920, on pouvait acheter de la cocaïne dans un magasin de sandwichs à Soho ? Moi, non !

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En parlant de ça, est-ce que les choses ont changé à ce point, ou est-ce que ce sont les technologies qui ont évolué ?
La nature humaine ne change pas : les gens aiment sortir, rencontrer du monde, écouter de la musique, danser. Ils aiment l’imprévu, les endroits dans lesquels ils peuvent s’échapper, où ils peuvent rencontrer des partenaires. Ils aiment se déguiser. La musique, elle, change, et la technologie aussi. Et on a une perspective bien plus internationale aujourd’hui : il y a encore 30 ans, les gens ne connaissaient que la boîte de nuit du coin. Aujourd'hui ils voyagent à Ibiza, dans des festivals, à Berlin ou je-ne-sais-où. Je me souviens qu’à la Hacienda, les gens venaient en voiture depuis Wolverhampton, St Helens ou Leeds. Une seule nation sous le même groove !

Est-ce que l’industrie de la nostalgie n'est pas justement en train de ruiner la vie nocturne ? Serait-on à ce point préoccupés par le passé qu’on en oublierait de se concentrer sur le présent ?
Life After Dark est un travail historique, et pas nostalgique. Il ne raconte pas un « âge d’or » en 1963 ou 1988 ou autre. Je pense qu’après avoir lu ce livre, le présent devient encore plus excitant : c’est comme si on était les héritiers de toute cette histoire incroyable, et il y a un élan à ne pas perdre. Des producteurs comme Bicep ou Jamie XX considèrent l’histoire de la dance music comme une ressource et une inspiration et c’est comme ça que les choses devraient être.

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Toi qui as voyagé autour du monde comme DJ, est-ce que tu penses qu’on fait les choses différemment au Royaume-Uni ? Est-ce que les stéréotypes immortalisés dans Booze Britain [documentaire sur le binge drinking diffusé en 2004 à la télévision britannique] disent quelque chose sur nous d'un point de vue sociologique ? Ce cliché d’une nation de types bourrés comme des coings qui montrent leur cul avant de s’écrouler au milieu de la rue…
Il y a toujours eu quelque chose de superficiel ou de ringard dans le monde de la nuit : des chansons niaises insupportables, et des trucs commerciaux dégueulasses dans les charts, mais ça n’a jamais empêché les autres musiciens de se rebeller contre le mainstream, et de faire de la bonne musique, et des choses underground. J’ai parlé à James Barton, qui a co-fondé Cream [une soirée lancée en 1992 à Liverpool, rapidement devenue une référence pour la musique électronique au Royaume-Uni], et il m’a confié qu’à 16 ans, lorsqu’il commençait à sortir à Liverpool, son but était de trouver un endroit où les gens ne se bagarraient pas chaque soir. Et c’est comme ça qu’il a trouvé le State. Mais certaines personnes ne font pas l’effort de trouver un lieu qui leur corresponde. Et alors ? On parle de quelque chose de tribal : ceux qui montrent leur cul ou se battent, c’est bien qu’ils aient des clubs où aller. Sinon, ils gâcheraient tous les bons clubs.

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Peut-on concrètement faire quelque chose contre la vague de fermetures de clubs dans tout le pays, ou est-on à la merci totale des pouvoirs publics et des comités qui délivrent les autorisations ?
On peut toujours faire des pétitions et protester. Mais dans notre société, c’est l’argent qui commande. Regarde autour de toi : la fracturation hydraulique, la Sécurité Sociale… Il s’agit à chaque fois de soutirer le plus de fric possible, et on ne parle jamais de culture, de vision à long terme ou de qualité de vie. Pour les propriétaires et les pouvoirs publics, les salles de concert et les clubs sont, de loin, bien moins lucratifs que les appartements « de luxe » et les centres commerciaux. Alors que peut-on faire ? On trouve de nouveaux endroits, on s’aventure un peu plus loin, on fait ce que chaque génération a fait avant nous, c’est-à-dire être ingénieux et inventifs. Certaines villes sont plus douées que d’autres : Sheffield et Manchester ont encore des entrepôts et des manufactures vides, et les jeunes activistes de la musique ont toujours une longueur d’avance sur les spéculateurs immobiliers.

Dans ton livre, tu exposes cet argument très convaincant : l’idée que le meilleur club du monde est celui qui changera notre propre vie. Quel est le club qui a changé ta vie, Dave Haslam ?
Je vais répondre la Hacienda, évidemment. Il y a un paquet d’autres réponses possibles, mais dans ce club, j’ai vu jouer New Order, Mantronix et The Smiths ; j’y ai été DJ presque 500 fois, et depuis ma cabine, j’ai été le témoin de l’explosion rave… C’était un honneur et c’est inoubliable.

Pour finir, une question à 1000 euros : le clubbing au Royaume-Uni a-t-il un avenir ?
Absolument. Au cours des 200 ans d’histoire que j’ai étudiés, il y a eu quelques mauvaises passes et des changements auxquels les gens ont été forcés de s’adapter. Mais ils l’ont fait, et sont allés de l’avant. Une des choses les plus extraordinaires aujourd’hui est l’abondance de la production musicale : Internet offre une bibliothèque complète de la musique du passé et de celle qui se fait aujourd’hui dans le monde entier. Il y a forcément des choses qui te plaisent. Trente ans plus tôt, seuls les DJs vraiment à fond, comme moi, allaient dans les magasins de disques d’import quatre à cinq fois par semaine, pour absorber tout ce qui était difficile à trouver. Désormais, tout est à portée de main, prêt à être découvert. Quant aux lieux où écouter cette musique ? Si tu ne trouves pas la soirée qui te plaît, organise-la toi-même ! Life After Dark: A History of British Nightclubs & Music Venues, est publié aux éditions Simon & Schuster.

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