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Music

Ne parlez pas d’industrie du disque à Chevalrex

Dernière signature du label Vietnam, l'album « Futurisme » de Chevalrex mélange textes noirs, esprit DIY et symphonies pop.

Depuis la sortie d’Education Française en 2012, on a beaucoup parlé d’un retour de la pop française, soi-disant élégante et audacieuse. Depuis l’arrivée de La Souterraine la même année, on a aussi beaucoup parlé d’une autre forme de chanson hexagonale, moins prévisible et plus ingérable. Croyez-le ou non, mais Futurisme de Chevalrex est une synthèse parfaite de tout ce qu'on peut aimer dans ces deux versants, un peu comme si les mecs du label Lithium (Dominique A et Mendelson en têtes) avaient mis la main sur les symphonies les plus classes d’une scène dite de « variété ». Avec un programme pareil, difficile de ne pas digresser sur le sujet avec ce trentenaire qui tente tant bien que mal de survivre dans « une industrie où il n’y a plus d’économie ».

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Noisey : À peine une heure avant notre rencontre, j’ai appris que ton album était repoussé au 10 juin. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Chevalrex : Je sais ça depuis peu également. Ça m’a mis en colère, mais ce sont les aléas de l’industrie. Pour moi, c’est un peu nouveau. J’ai l’habitude de composer le disque, de l’enregistrer et de le sortir, mais Because, qui n’a commencé la promo que depuis mars, ne veut pas se précipiter et préfère différer la sortie. C’est un peu long parce que l’album est officiellement prêt depuis janvier, mais je vois que les Limiñanas sont dans le même cas.

Et ça va, tu as de quoi t’occuper pour patienter ?
Oui, je m’occupe du label Objet Disque, qui fait un peu le lien avec certaines productions de La Souterraine. Enfin, disons qu’il y a un patrimoine commun, même si ça reste deux projets différents. Grâce à ce label, j’ai eu l’occasion de produire les disques d’Eddy Crampes, de Mocke et de Rémi Parson, et j'en suis très fier. Ce sont des disques fabuleux, avec un grain, une voix, une poésie et une intelligence dans le texte. Le côté outsider de ces mecs, à l’image d’Eddy qui fait de la musique depuis 2003, me plaît beaucoup également.

Tu es aussi graphiste, non ?
C’est ça, je suis graphiste indépendant et je bosse pour différentes structures culturelles, comme des labels, des salles de concerts, des théâtres ou des musées. C’est devenu un métier sans réellement l’avoir choisi, mais ça m’a permis de m’épanouir et de bosser de plus en plus en tant que musicien. Bien sûr, c’est un métier que j’exerce un peu moins ces derniers temps par rapport à l’enregistrement et à la promo, mais j’aime l’idée de cumuler ces deux activités. Quand un truc me saoule, je passe à l’autre et ça nourrit un certain esprit créatif. En tant que graphiste, j’ai également eu l’occasion de faire des pochettes pour Bertrand Belin, Arlt ou H-Burns. C’est notamment grâce à eux que j’ai eu l’occasion de rencontrer les mecs de Vietnam.

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Concrètement, qu’est-ce qui différencie Futurisme de tes mixtapes précédentes ?
La qualité du mixage et le fait de travailler avec Vietnam, je pense. Pour tout te dire, le disque était fini l’été dernier. Mais quand Franck Annese l'a entendu, il m’a tout de suite proposé de le sortir. Il voulait juste qu’on le retravaille un peu. Personnellement, j’avais l’impression d’être au bout de ce que je pouvais proposer mélodiquement, mais ses remarques ont été constructives. Au final, c’est comme si tout avait été fait à la maison et qu’une personne extérieure était venue mettre un coup de pinceau pour en révéler la matière.

Pourquoi Futurisme ? Tu as l’impression de faire une musique qui influencera des générations entières de musiciens ?
Ah, tu le prends comme ça ? Non, ce serait présomptueux. Disons que je suis très influencé par les images et par les différents mouvements artistiques du début du XXème siècle, comme le futurisme et le constructivisme. Le premier album s’appelait Catapulte et j’avais envie de garder ce concept d’un mot simple. On verra jusqu’où ce délire ira, mais « Futurisme » collait plutôt bien à ce disque et à cette pochette.

Le format court est systématique chez toi, la plupart de tes titres dépassent à peine trois minutes. Qu’est-ce que tu aimes dans ces « symphonies miniatures » ?
C’est quelque chose dont je me suis rendu compte à la fin de l’enregistrement. Ce n’était pas volontaire, et je n’ai aucun problème avec ça. J’aime à penser un peu comme les Magnectic Fields, dont je suis absolument fan : quand tu as dit ce que tu avais à dire, ce n’est pas la peine d’aller plus loin. Je suis un peu un miniaturiste, pour le coup, j’ai la crainte d’en faire trop. Et puis, encore une fois, ce n’est pas calculé : le texte se met en place, la structure se développe, parfois il n’y a pas de refrain et le thème se crée. Ça ne va pas plus loin. Ça correspond sans doute également au fait de jouer seul, et donc de ne pas avoir le plaisir d’échanger, ou à l’endroit où j’enregistre.

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Si je comprends bien, les auditeurs sont un peu tes psys ?
C’est ça, mais ça ne m’empêche pas d’en suivre dans la vraie vie [rires]

Dans « Nocturne », tu dis « J’ai haï l’enfance, aussi loin que j’y pense »
Les mots sont forts, mais c’est écrit avec une certaine distance. Je ne me retrouve pas dans cette phrase, ce n’est pas autobiographique. Disons que les textes se construisent autour de moi, mais que tout m’échappe ensuite.

Toujours sur le thème de l’enfance, il y a même une chanson sur ton frère, qui n’est autre que l’artiste Gontard…
Là, pour le coup, c’est ancré dans la réalité. J’ai une super relation avec mon frère, j’ai même fait dix ans de musique avec lui. On avait un duo qui s’appelait les Frères Nubuck, mais on a fini par se séparer. Peut-être à cause de ce nom de groupe horrible, mais surtout parce qu’on avait des envies différentes. Et ce titre, « Avec mon frère », est le plus ancien de l’album. Il doit avoir quatre an et il a donné le ton au reste du disque. Tout simplement parce qu’il est assez symbolique et parce qu’il appuie bien cette volonté de s’affranchir de toute nostalgie liée à l’adolescence.

Ce qui est intéressant dans tes paroles, c’est qu’elles évitent le côté léger de la pop et la lourdeur poétique ou l’engagement social des chansons à texte. Comment trouves-tu cet équilibre ?
Ce que tu dis est assez juste et c’est comme ça que j’appréhende la chose. Je dois avouer que je suis peu pudique, j’aime les bizarreries et les choses un peu rugueuses. Ce qui fait que je ne me retrouve pas trop dans la chanson politico-sociale, qui laisse peu de place à la musique, ou dans la pop, qui me déçoit souvent d’un point de vue lyrique. Ce qui m’a toujours inspiré, c’est la musique instrumentale anglo-saxonne. Malgré tout, je n’ai jamais songé à chanter dans une autre langue que le français. Cette langue me permet d’être assez libre et je ne me prive de rien. Au fond, c’est peut-être ce format court qui me permet d’éviter une certaine lourdeur. Futurisme est très arrangé, un peu mélo par moment, mais je pense que tout ce mélange renforce cet équilibre entre légèreté et noirceur dont on parlait tout à l’heure. Pour résumer, disons que je fais des musiques assez légères pour accompagner des textes noirs, ou l’inverse.

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Tu sembles très inspiré par les productions de chez Lithium, je me trompe ?
Non, tu as raison. Adolescent, c’était le seul label français dont j’écoutais les productions, que ce soit Dominique A, Holden ou Mendelson. Ça se ressent dans mon parler-chanter, je pense, et ça été l’une de mes grandes interrogations au moment de me lancer dans la composition : dans quelle mesure je pouvais m’affranchir de tout ça ? Et je pense que mon album donne une bonne idée de tout ça, même si la version initiale était encore plus lo-fi, avec un parler-chanter encore plus marqué.

Quelles sont tes autres influences ?
Smog, Jim O’Rourke, Moondog, Sebadoh, Pavement et toutes sortes de musiques instrumentales et indépendantes anglo-saxonnes.

En France, tu dirais qu'elle se porte comment la pop chantée en français en 2016 ?
Elle se porte mieux qu’il y a quelques années, ça c’est sûr. Je me souviens qu’entre 2010 et 2012, il n’y avait absolument rien qui me surprenait, ou alors je ne suis pas tombé dessus. Aujourd’hui, c’est nettement plus quotidien. Et puis des groupes comme Arlt permettent de mettre à mal le terme pop, un terme que j’ai toujours trouvé un peu grinçant.

Tu cites les années 2010 et 2012, ça correspond à la pire période de la pop française d'après toi ?
Je n’ai pas une qualité d’analyste et j’ai dû rater quelques groupes, mais le début des années 2010 a été difficile pour moi. Je ne m’y retrouvais plus. Même les artistes que j’appréciais ont commencé à produire des disques qui m’intéressaient moins. Mais La Souterraine, entre autres, a ramené un peu cette effervescence avec plein de projets excitants.

Au sein de La Souterraine, tu penses qu’il y a des groupes français dont on se souviendra encore dans vingt ans ?
La musique est un domaine tellement mystérieux que c’est difficile à dire, mais j’ai franchement beaucoup de mal à considérer qu’un artiste comme Eddy Crampes soit inconnu en France. Quand on voit le succès de Vincent Delerm, il y a quelque chose qui me fait dire que ce ne serait pas illégitime qu’Eddy finisse par gagner en reconnaissance.

Pour terminer, quels sont les prochains projets d’Objet Disque ?
On va sortir l’album de Mocke début juin, le nouvel album de Fabio Viscogliosi, qui avait sorti deux disques chez Microbe Records, en septembre et plein de choses visuellement. De mon côté, je suis finalement assez heureux que Futurisme ne soit pas publié sur Objet Disque. Ça me permet de bien différencier chaque aspect du travail, mais aussi d’apprendre pas mal de choses auprès des mecs de Because quant à la gestion d’une maison de disques dans une économie instable. Enfin, dans notre cas, même le terme « économie » est un grand mot. Hormis les frais de fabrication, on n’a pas grand-chose. Pour être tout à fait honnête, on ne publie nos sorties qu’entre 300 et 500 exemplaires. Mais certaines sont vite sold out, comme l’album de Requin Chagrin qui devrait être réédité d’ici peu chez Almost Musique. Là, pour le coup, je comprends cette espèce d’effervescence autour du groupe. Il y a une forme d’évidence dans leur musique et je pense que ce groupe peut aller loin.

Chevalrex sera en concert avec Eddy Crampes le 7 juin prochain à Petit Bain (Paris).