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Music

Bootboys, glam-rock et chants de supporters : comment une poignée de groupes a posé les bases de la Oi! dans l'Angleterre de la fin 60

Slade, West Ham, Crunch, Sweet, Iron Virgin, Mott The Hoople et même Elton John : ils ont rythmé la vie des gamins de la classe populaire britannique entre 1969 et 1974.

Bootboys à Coventry, 1969

On les appelait les smoothies, les bovver boys, les hard mods ou plus simplement les bootboys. Ces gamins issus de la classe ouvrière ont grandi dans l’Angleterre rigoureusement hiérarchisée des années 60 et 70, méprisant tout ce qui pouvait sortir des classes moyennes et supérieures. Ils aimaient les coupes rasées de près ou celles adoptées par les mods, les boots coquées (un atout énorme dans les bagarres), les jeans Levis coupe droite ou les pantalons Sta-Prest, ainsi que les bretelles et les chemises boutonnées jusqu’en haut. Parallèlement, ils cultivaient un goût prononcé pour les morceaux courts, simples et efficaces qui ne lésinaient pas sur les guitares, dont les refrains puissants et fédérateurs s’apparentaient à des hymnes, dans la tradition des hits glam rock qui faisaient rage à l’époque. Ces refrains martelés comme des chants des supporters résonnaient comme un cri de ralliement. L’aristocratie anglaise avait sûrement défini les règles et les codes du football, mais ce sont les classes populaires qui y jouaient. Les bootboys sont devenus synonymes de rixes violentes entre supporters d’équipes adverses, et beaucoup de jeunes participants étaient envoyés dans des centres de détention pour délinquants juvéniles : les « écoles » Bortsal.

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Les morceaux qui suivent ont rythmé la vie des boot boys entre 1969 et 1974. Attention : le terme proto-Oi! n’est pas utilisé comme une tentative pour qualifier la musique qui s’est plus tard fait connaître sous le nom de Oi! skinhead. Ce sont des groupes comme Cock Sparrer/Sham 69/Cockney Rejects qui sont responsables de cette évolution. Je partirai du postulat que les kids qui ont embrassé le mouvement skinhead à la fin des années 70 et dans les années 80 ont écouté ces morceaux dans leur pré-adolescence et ont été inconsciemment influencés par cette musique, ainsi que par leurs grands frères qui portaient déjà des boots et des bretelles et par la culture foot omniprésente. À première vue, l’influence glam rock apparaît comme l’antithèse de l’esprit bootboy, vu qu'elle était esthétiquement flamboyante et androgyne, mais les morceaux entraînants et inspirés du glam des bootboys avec la reprise d’un beat rock’n’roll ultra-basique se sont avérés être des références pour le son brutal et sans fioritures qu’adopteront les skinheads pendant les décennies à venir. Mettez-vous à la place d’un ado loubard de l’époque : vos notes ne sont pas mirobolantes et la maison de redressement ou un job aliénant à l’usine sont les seules alternatives qui s’offrent à vous. Partant de là, tout ce que vous attendez de la vie, c’est écouter vos morceaux préférés à fond avec votre clique, bien vous saper, tout donner pour votre équipe préférée et attendre le week end pour se la coller au pub, parce qu’on le sait, Saturday night’s all right for fighting.

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Crunch - « Let's Do It Again »

Ce single sorti en 1974, illustré par une bovver boot qui écrase le logo de Crunch, est l’exemple parfait du son glam des boot boys : des claps, du rock’n’roll qui déboite et un refrain accrocheur qui fait : « Clap your hands, stomp your feet ! ». Imaginez une soirée organisée à Londres, dans un HLM d’East End : des kids habillés en Harrington ou en Crombie, cardigans col V, jeans droits et chemises boutonnées avec les cheveux taillés (courts mais pas rasés) et bien sûr, les boots coquées de rigueur. Tout ce qu’il faut pour marteler le dance floor ou les bandes rivales, et recommencer le week-end suivant.

Jook - « Different Class »

Prenez les riffs puissants de Pete Townsend circa 66 et des paroles qui décrivent une balade entre potes dans la banlieue anglaise en quête de baston, le tout joué par un groupe composé de bootboys et de mods en bretelles et vous avez les débuts de la Oi! skinhead. Jook a sorti 5 singles mi-glam mi-power-pop entre 1972 et 1974 et un EP posthume en 1978, duquel ce morceau enregistré en 1974 est tiré. Ils se sont inspirés de leur propre expérience comme en atteste leur morceau « Different Class », écrit dans la langue des camarades : « Doc Martens and Crombies, all tooled up as well. If you come to cheer, you better stay clear, you'll sign your own death knell. »

Neat Change en 1968

Neat Change - « I Lied to Auntie May »

Neat Change est le premier groupe skinhead à avoir sorti un 45 tours en 1968. Le groupe était composé de boot boys issus des quartiers ouest de Londres, soit des kids tout aussi susceptibles d’être dans le public que sur scène. Lors de la sortie de ce morceau, la soul énervée de ce quartet avait déjà évolué, après plusieurs années à écumer les clubs mods et notamment une résidence au Marquee, un club auquel leurs fans skinheads se pointaient par centaines. Pourtant, ce single s’inscrit plus dans la pop-psychédélique. Leurs looks menaçants et leurs cheveux rasés de près contrastaient avec la légèreté de la scène psychédélique, comme l’avait remarqué Chas Chandler, le manager de Slade à l’époque, qui avait proposé de les prendre sous son aile et devenir leur manager. Rien ne s’était fait avec Neat Change mais sur une suggestion de Chandler en 1969, Slade avait emprunté la voie skinhead. Entre temps, Neat Change s’était séparé, le groupe étant mal géré et incapable de prendre une direction musicale claire.

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West Ham - « Forever Blowing Bubbles »

« Forever Blowing Bubbles » était un hit de Tin Pan Alley du début du XXe siècle avant de devenir l’hymne officiel du club de football d’East End, West Ham United. Les Cockney Rejects, fers de lance de la Oi!, ont immortalisé ce morceau sur un 45 tours sorti en 1980, mais des légions de boot boys chantaient déjà cet hymne à l’unisson depuis les tribunes, en particulier contre les supporters des rivaux de toujours, Milwall Football Club. L’esprit de camaraderie, les couplets à reprendre en choeur et l’importance de motiver les troupes contre un ennemi commun sont des composantes essentielles de la création de la Oi! et perdurent encore aujourd'hui.

Third World War - « Working Class Man »

Le groupe mythique Third World War s’est formé en 1970. L’ingénieur-son qui avait bossé sur leur premier single éponyme avait déclaré : « Je veux un groupe de la classe ouvrière qui ne baratine pas, j’en ai marre de ces conneries de hippies. » Il avait tout compris : cet album a sonné le glas de la rêverie utopique hippie, avec des textes dédiés au quotidien difficile des ouvriers, sans faux-semblants ni belles paroles. Ces morceaux rock teintés de blues sont directs et chantés avec la voix d’un type du peuple. Ils seront une influence importante pour les groupes Oi! et punk engagés qui se feront porte-paroles des masses travailleuses et sous-payées, bourrées d’ambitions inassouvies. Le groupe actuel de Oi!/street punk Sydney Ducks a récemment rendu hommage à cet esprit en reprenant « A Little Bit of Urban Rock » de Third World War en 2013.

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Iron Virgin - « Rebels Rule »

Les écossais de Iron Virgin portaient, à leurs débuts, les costumes d'Orange Mécanique avant d'opter pour des tenues de joueurs de football américain, auxquels ils ont ajouté des ceintures de chasteté, et de sortir cet hymne Bootboy Glam. Il reste étonnant que cet appel à la révolte (« Get Up Stand Up ») sur fond de riffs foudroyants sorti en 1974 ne se soit jamais hissé au sommet des charts. Le nom du groupe était peut-être trop controversé, surtout compte tenu du public pré-pubère que visait le glam. Seuls les gens de leur entourage et quelques auditeurs avertis ont pu goûter cette ode à la révolte mais elle est finalement arrivée aux oreilles du producteur américain Kim Fowley qui a « retravaillé » ce morceau pour « California Paradise » des Runaways, sur l’album Queens of Noise sorti en 1977.

Elton John - « Saturday Night’s Alright For Fighting »

Si l’alcool est bien la malédiction qui a ravagé la classe ouvrière, alors (Sir) Elton John et Bernie Taupin ont dépeint sur ce morceau de 1973 le tableau le plus juste et le plus destructeur de la jeunesse anglaise désoeuvrée. Ça peut paraître étrange de voir Elton associé au monde de la rue, mais l’enfance de Bernie au milieu des hooligans, a apporté la crédibilité nécessaire au morceau. Les paroles abordent surtout des inquiétudes récurrentes — l’alcool, les bagarres, les familles dysfonctionnelles, les comportements anti-système et l’attente permanente du week-end. Mais ce sont les deux dernières phrases qui inscrivent définitivement ce morceau au panthéon des boot boys : « I’m a juvenile product of the working class, whose best friend flots in the bottom of a glass. »

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Fresh - « Borstal Theme »

Je tombais souvent sur des vinyles de l’album de Fresh Out of Borstal à l’époque où je fouillais les bacs des disquaires, et à en juger sa pochette sans concession — une photo en noir et blanc de trois authentiques boot boys et la référence à Borstal — ça ne pouvait être qu’un disque de Oi! hyper énervée. Ce n’est pourtant pas la musique à laquelle il faut s’attendre, préparez-vous plutôt à un album instrumental avec des cuivres puissants et des percussions bien présentes, mais surtout une histoire contée en fond qui défonce. On doit ce concept album à un producteur de disques à succès qui s’est inspiré des tribulations et des procès de jeunes délinquants britanniques. Des musiciens de studio ont enregistré la bande-son qui est venue étoffer l’effort spoken-word fourni par trois anciens pensionnaires d’une école Borstal. Le résultat est fidèle à la réalité et fait le récit des vies passées dans et hors ces maisons de redressement aujourd’hui abolies, et marque sans doute la première apparition de skinheads sur un album longue-durée.

Sweet - « Rebel Rouser »

Sweet était l’un des meilleurs groupes de glam-rock que la Terre ait porté entre 1971 et 1974. Ils enchaînaient les singles dans les tops anglais, oscillant entre pop bubble gum et hard rock. Adorées des boot boys de l’époque, les paroles célébrant la jeunesse et contestant le pouvoir établi ainsi que la batterie martiale de Mick Turner (RIP) au début du morceau seront imitées par des tonnes de groupes Oi! à venir. Le label Oi! Vulture Rock Records s’appelait d'ailleurs initialement « Steve Priest Fan Club », hommage direct au bassiste de Sweet, figure flamboyante et controversée du groupe.

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Mott The Hoople - « One Of The Boys »

Ces gars débarqués du nord de l’Angleterre ressemblaient certainement plus à des ouvriers d’usine ou à des maçons, mais ils sont à l’origine de l’hymne glam ultime (et aujourd’hui grand classique du rock) « All The Young Dudes ». La face B de ce morceau écrit par David Bowie et jouant sur l’ambiguité sexuelle, est un morceau de rock sans concession destiné aux adolescents et à leur combat permanent contre le monde des adultes. Le registre vocal limité de Ian Hunter, le chanteur de Mott, s’est avéré être un atout puisqu’il a rendu le groupe accessible à un public moyen, qui ne se sentait peut-être pas concerné par les paroles mais qui pouvait s’imaginer les chanter, sans prononciation sophistiquée. Les accords matraqués et les paroles rendent compte des confessions d’une rock star, qui malgré la célébrité, reste un de ses gamins des quartiers qui rêve de gloire.

Slade pendant leur période skinhead en 1969

Slade - « Wild Winds Are Blowing (Live) »

Au début des années 70, le glam rock était scindé en deux mouvements : d’un côté, celui qui se rapprochait des écoles d’art, symbolisé par David Bowie, Roxy Music et Brian Eno et de l’autre, le glam rock plus direct, qui répondait au mot d’ordre « clap your hand and stomp your feet » et comptait dans ses rangs Sweet, Mud, Hector et Slade. Très influencé dans leurs débuts dans les années 60 par le R&B et la Motown, Slade avait brièvement adopté un look skinhead sur les conseils de leur manager, Chas Chandler. La légende veut qu’il se soit inspiré du look de Neat Change et des hooligans (non pas que les mecs de Slade soient des petits joueurs en la matière, surtout avec des types comme Noddy Holder dans le groupe). L’image de dur à cuire de Slade, leurs voix rauques et tapageuses et leur rock’n’roll sans prétention ont contribué à l’éducation de beaucoup de boot boys.

Marching On Together - « Leeds United »

Autre exemple d’hymne de foot hyper entraînant et taillé pour les reprises à l’unisson, ce morceau était initialement sorti en 1972 dans un format 45 tours, chanté par des membres de l’équipe de Leeds United du moment et leurs supporters. Les paroles font la part belle à la loyauté, la force par l’union, et la fierté d’appartenir à une clique, bref, tout ce qui occupait le coeur de l’aspirant Bootboy.

Freddy Alva n'a jamais foutu les pieds dans une école Borstal.

Vous pouvez suivre la page Facebook des Boot Boy Glam et télécharger les compilations Boot Power ici.