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Le téléphone de The Egyptian Lover sonne sans discontinuer depuis 1984

Sexe, frime et TR-808 : Stones Throw retrace le parcours de la légende de l'electro avec l'anthologie « Egyptian Lover 1983-1988 ».

Toutes les routes remontent à Kraftwerk. Du moins, c'est ce qui s'est toujours dit dans le monde de la musique électronique. Pourtant, un certain Greg Broussard, plus connu sous le nom d'artiste The Egyptian Lover, croit détenir un petit secret sur l'origine du son robotique des maîtres allemands de la techno.

Quand on connait l'influence évidente du groupe de Düsselforf sur le hip-hop américain des années 80, c'est intéressant d'entendre la version de Broussard, qui insinue que le groupe se serait inspiré de son propre son. À cette époque, Kraftwerk passait pas mal de temps à Los Angeles, notamment dans les bureaux de Warner Bros, et si l'on en croit un ami de Broussard qui travaillait pour le label, les Allemands y auraient entendu « Yes Yes Yes » de Uncle Jamm's Army, un collectif rap dont Broussard faisait partie.

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« Ils ont adoré le track, et étaient justement en train d'écrire des morceaux », raconte-t-il. « Je me demande si je les ai inspirés ce jour-là. »

En tant que co-auteur de « Yes Yes Yes », Broussard a inclus cette chanson et sa face B tout aussi légendaire, « Dial-A-Freak », sur Egyptian Lover 1983-1988, une récente et ambitieuse compilation de 22 titres sortie sur Stones Throw Records. Il s'agit d'une sélection du boulot de Egyptian Lover déjà sorti sur ses propres labels Freak Beat et Egyptian Empire. Ce projet a mis plusieurs années à voir le jour, après une première rencontre en 2008 entre Broussard et Peanut Butter Wolf dans les locaux de son label Stones Throw, accompagné de son ami Arabian Prince, également ancien membre de N.W.A. « Wolf est un type vraiment cool, et il m'a dit combien il était fan de moi », raconte-t-il. Peu de temps après, Wolf commandera à Egyptian Lover un remix du « Cosmic Rapp » de James Pants.

Broussard a poursuivi sa collaboration avec le label sous forme de DJ sets, concerts et showcases lors d'événements officiels Stones Throw. Pourtant, il ne souhaitait pas aller plus loin. Quand Wolf lui a proposé de sortir une anthologie des premiers enregistrements sortis sur Freak Beat et Egyptian Empire, Broussard lui a répondu : « Laisse-moi réfléchir. » Wolf est revenu à la charge un an plus tard, en 2015, alors que Broussard auto-éditait

sur son propre label, et il a fini par céder. « Je sentais bien que [Wolf] était à fond dans ce projet, et je savais qu'il allait faire les choses bien », ajoute-t-il.

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Le fait de sortir sa propre musique sur Stones Throw est un véritable écart de conduite pour un artiste au chemin aussi strictement indépendant, qu'il suit depuis 30 ans. À un moment, Wolf voulait sortir un album entièrement composé de nouvelles chansons d'Egyptian Lover, mais Broussard a immédiatement rejeté l'idée. En dehors d'une petite période sur Priority Records à la fin des années 80, Broussard a fait de sa carrière une activité exclusivement personnelle, observant ses amis signer sur des labels, puis se plaindre de la mise en rayon de leurs albums et singles. « J'avais besoin de contrôler le processus, car je refusais que quiconque me dise quoi faire, ou à quel moment les albums devaient sortir », admet Broussard.

Assez tôt dans la conversation, il reconnait l'évidence : l'indéboulonnable Egyptian Lover est en effet un personnage, et son petit numéro est bien ancré dans la tradition du séducteur et Don Juan funk. Tandis que sa popularité ne cessait de croître au milieu des années 80, sa fan-base nourrissait l'espoir que le séducteur ne quitte jamais ce personnage haut en couleurs et ultra-sexué.

« Quel que soit le thème de la chanson, je dois l'incarner à fond », dit-il. « Si je vais à une soirée, je suis obligé de porter toutes mes bagues en diamants et mes colliers, conduire une Benz tunée et équipée d'un gros sound system. » Se vautrant dans l'excès, Broussard s'est vu contraint de ne jamais lâcher ce personnage, bien que ça ne semble pas vraiment l'ennuyer de débarquer en club avec deux filles à chaque bras.

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Qu'il soit bel et bien le Dieu Persan du Sexe qu'il prétend être sur « Dial-A-Freak » ou «

Kinky Nation

» importe peu, car ça ne diminue en rien ce qu'il a pu accomplir dans ce secteur. Pensez par exemple à des comédiens comme Andy Kaufman, Andrew « Dice » Clay, Bobcat Goldthwait et Gilbert Gottfried, qui ont chacun construit leur carrière sur un personnage qui paraissait bien réel auprès du public, entretenant le flou entre fantasme et réalité.

Aujourd'hui encore, il peut être difficile de distinguer Broussard de The Egyptian Lover, voire impossible d'analyser ainsi ses 30 ans de carrière. Par exemple, quand on lui demande pourquoi ses paroles sont à ce point ouvertement sexuelles, il évoque une vieille histoire qui pourrait aussi bien être la sienne que celle de son personnage. « J'ai toujours été un mec vicieux et louche », déclare-t-il, citant Prince dont les paroles voraces et charnelles ont tout de suite résonné en lui.

On peut clairement voir l'influence de Purple One (un des nombreux pseudos de Prince) sur toute la discographie de The Egyptian Lover. Les halètements et bruits de respiration qu'on entend sur les singles « Soft And Wet » et « Sexy Dancer » de Prince dans les années 70 ont donné l'utilisation rythmique qu'en fera The Egyptian Lover sur ses propres productions, une signature sonore qui ajoute une certaine réalité physique et charnelle à un modèle musical clairement emprunté à Kraftwerk. Des années plus tard, et avec le recul, Broussard est l'argument bel et bien vivant qui illustre et met à mal la posture de l'artiste restant campé sur ses positions. Véritable esthète de l'électronique, tendance ascétique, il explique, l'air de rien, que le matériel qu'il utilise aujourd'hui est quasiment le même qu'il y a 30 ans.

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La sortie d'une anthologie telle que

1983-1988

offre énormément d'opportunités. C'est évidemment l'occasion de découvrir ou redécouvrir le travail de Egyptian Lover, mais aussi de procéder à une réévaluation de son oeuvre. À l'écoute des sous-entendus prétentieux de «

My House (On The Nile)

» ou les cut-ups ludiques de «

Ultimate Scratch

», il semble évident que les productions de Broussard ont influencé et formé aussi bien ses contemporains que ses successeurs, au premier rang desquels l'éminent Dr. Dre.

Il ne faut pas oublier qu'à une certaine époque, Broussard était bien plus populaire que Dre, et jouait devant 10 000 personnes au Memorial Sports Arena de Los Angeles avec Uncle Jamm's Army. Il évoque ce concert au cours duquel il a introduit pour la première fois dans son set une Roland TR-808 tout juste acquise et flambant neuve. « Personne ne savait ce qu'était une boîte à rythmes », dit-il, parlant à la fois du public et de lui-même. « Je l'ai achetée, et j'y ai programmé plein de beats chez moi. Puis je l'ai apportée au show. » Les spectateurs étaient persuadés qu'il était en train de jouer un morceau déjà existant, et le suppliaient de leur donner le nom de ce disque qui n'existait même pas. « C'était stupéfiant », dit-il, en repensant au moment clé d'une carrière déjà couronnée de succès. « Tout le monde croyait que c'était un disque, alors je me suis mis à en faire. »

Il n'a pas fallu attendre bien longtemps pour que Dre subtilise le flow « respiré » de Broussard. « J'ai cru devenir fou. Le mec m'avait piqué mon son ! », dit-il. « Tout le monde racontait que c'était le son West Coast, alors que c'était le son Egyptian Lover ! » Mais au final, que Dr. Dre ait emprunté, récupéré ou tout bonnement volé le génie de The Egyptian Lover, un seul de ces deux artistes est aujourd'hui connu de tous. Il n'est absolument pas certain que Dre serait devenu ce producteur magnat multimillionnaire de l'industrie rap que l'on connait aujourd'hui s'il n'était pas sorti du style du World Class Wreckin' Cru ou de N.W.A. Cet énergumène exubérant qu'est Broussard reste fidèle à lui-même, par principe, et le dévouement artistique peut bien offrir quelques avantages de l'ordre du sacré, on peut tout de même affirmer avec raison qu'il aurait pu accomplir au moins une partie du parcours de Dre.

Il n'y pourtant aucun regret dans le discours de Broussard. Pour lui, la musique électronique reste sa propre récompense, et rien ne le rend plus heureux que de la partager. Il continue de se produire en tant que Egyptian Lover autour du monde, donnant à entendre les beats de sa TR-808 et son funk vocodé à des publics très variés. « Ils sont tous en train de brandir leur smartphone pour shazamer mes chansons », décrit-il. « C'est vraiment bien de voir ces gosses écouter cette musique pour la première fois, et ressentir la même chose que le public de mes débuts. »

Egyptian Lover 1983-1988 est disponible chez Stones Throw Records.

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Gary Suarez est sur Twitter.