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Music

Tour de France : Angers

Des Thugs à Soul Choc en passant par Happy Drivers, Seconde Chambre, Zenzile et le Chabada.

Parce qu'à l'époque où les supermarchés vendent des bananes en sachet individuel, il est important de renouer avec ses valeurs et ses racines, nous avons proposé à des contributeurs Noisey et des invités de nous présenter une playlist exclusivement constituée d'artistes de leur ville d'origine, dans le cadre d'une rubrique intelligemment baptisée « Tour de France ». Après Bayonne, La Rochelle, Reims, Brest, Lyon, Tours, Poitiers, Rouen et Bordeaux, Toulon et Pau, voici Angers présenté par notre collègue Julie Le Baron, rédactrice en chef web de VICE.

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LES THUGS

Au même titre que le Cointreau, la tenture de l'Apocalypse et les quernons d'ardoise, Les Thugs font partie des rares trésors dont la ville d'Angers peut s'enorgueillir. Si une partie considérable de la population française est incapable de situer cette ville sur une carte ou ne la connaît que par le biais d'un cousin ayant étudié sur les bancs de l'ESSCA, c'est probablement parce que personne ne s'est jamais embarrassé de lire la page Wikipédia de ce groupe incroyable – lequel tient en réalité son nom d'une secte d'étrangleurs indiens qui vénéraient la déeese de la destruction et assassinaient des touristes nantis à l'aide d'écharpes en soie. En 1988, leurs morceaux appelant à la désobéissance civile et à la grève générale ont fini par attirer l'attention de Jonathan Poneman, co-fondateur du label Sub Pop avec Bruce Pavitt, ce qui marquera le début de leur conquête de l'Ouest. Merci à vous, les frères Sourice – si vous ne vous étiez pas mis à faire de la musique pour éviter de pointer à l'usine, l'Anjou n'aurait jamais autant ressemblé à Seattle.

LES SHAKING DOLLS

Avant de quitter les Thugs et de se reconvertir dans la vente de jouets à Corbigny, Éric Sourice a également co-fondé Black & Noir en compagnie de son ex-manager Doudou, label avec lequel il a signé quelques groupes réglos comme Dirty Hands et les Shaking Dolls. Triste coup du sort, le meilleur album de ces derniers (God is God, enregistré par l’ingé-son de The Cure) est resté méconnu en France, leurs concerts en uniforme bermuda/T-shirt large/cheveux mi-longs ont été boudés du public et encore aujourd’hui, la seule vidéo YouTube du morceau « No Name » plafonne à 707 vues.

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THE DRIFT

J’ai écouté ce très bon morceau de The Drift pour la première fois sur le quai Ligny, haut lieu de réunion des stoners de la ville et point de ralliement stratégique à l’occasion d'événements de grande ampleur (comprendre : le Festival des Accroches-cœurs). Pour moi et beaucoup d’autres personnes en attente de leur car en direction de Beaufort-en-Vallée, ce petit parterre paradisiaque bordant le château d’Angers constituait un lieu idéal pour boire des bières de mauvaise qualité et se prêter aux questionnements existentiels inhérents à l’adolescence – mais aussi pour écouter des groupes dont le succès d’estime se mesure à une chronique des Inrocks publiée il y a 20 ans, où il est bien évidemment question de faire un « éloge de l’opiniâtreté ».

SECONDE CHAMBRE

Il fallait bien que j’en place une pour la scène cold-wave angevine qui doit probablement se limiter au groupe Seconde Chambre, sorti de l’ombre en 2009 avec la réédition Victoires Prochaines 83-89. Dans la grande tradition des musiciens polyvalents alternant leur passion avec un travail alimentaire, leur chanteur/guitariste Jean-Pierre Théolier (sûrement un bon dude) aura successivement taillé la pierre en Anjou et cultivé des piments au Gabon, avant de finalement former ce groupe avec son cousin en 1983. Trois ans plus tard, un employé de chez Barclay essayait péniblement de les faire rejoindre sa maison de disques, avant d’essuyer un refus catégorique et de se rabattre sur un groupe bordelais qui n’était autre que Noir Désir. Dans l’ensemble, la vie reste tristement injuste pour les Angevins, qui se seraient bien passés de se faire une fois de plus voler la vedette par ces petits enfoirés de la Belle Endormie.

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LE CHABADA

En 1994, les anciens abattoirs de la ville d'Angers ont été réaménagés pour laisser place à une salle de concert et à des locaux de répétition. Aux bovins pendus par les sabots et aux ouvriers arborant des tabliers tachés de sang se sont substitués des foules d'Angevins en sueur et des groupes de rock alternatif locaux. Encore aujourd’hui, c'est là-bas que se produisent tous les groupes qui affichent plus de 3000 fans sur Facebook et bénéficient d'une influence outrepassant les frontières du Maine-et-Loire, même si la situation géographique de la salle implique de prendre un bus qui s'arrête généralement aux alentours de minuit. Mais au cours des 17 heureuses années que j'ai passées à Angers, c'était sincèrement l'un des lieux les plus fréquentables en activité, aux antipodes de cette boîte de nuit qu'on appelle le Mid'Star et pas très loin du T’es Rock Coco ou encore de l'Étincelle, lieu alternatif de la ville où l'on peut successivement écouter des groupes de stoner et de pop-punk, tout en sirotant une bière à un euro en affirmant son mépris du concept-même de vidéosurveillance. Longue vie au Chabada, au T’es Rock Coco et à l'Étincelle.

BASTION & SOUL CHOC

Au milieu des années 1990, les mecs de Soul Choc (alliés à leurs potes nantais de Dimension Ouest Cartel) ont réussi à exporter la sphère hip-hop ligérienne dans toute la France, et même jusqu'à Marseille (Boograz invitera plus tard le Rat Luciano sur un featuring de légende, mélangeant avec dextérité spleen et soleil à la manière de cette pochette impeccable). Le point d’orgue de cette scène se situe sur la compilation Bastion sortie en 1996 (le Timebomb du Grand Ouest, n'ayons pas peur des mots), première référence de la maison-mère Sysmix Recordz. Après avoir fait les belles heures des vidéos de skate de l'époque, la majorité des groupes qui y figurent se sont dissolus, dont Le K – mais à en croire sa biographie, Vains prévoyait de sortir une bombe atomique aux alentours de 2003. « Zappe pas !!! »

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ZENZILE

Le groupe Zenzile figure en bonne place dans la liste des « péchés mignons* » d’une grande partie des adolescents ayant vécu plus de cinq mois à Angers dans les années 2000 – et pour cause, leurs tubes placés sous le signe de l'anti-apartheid passaient en boucle au Bar du centre, et il était plutôt fréquent de croiser leur bassiste Mathieu aux environs de l'avenue Marie Talet. J’ai bien conscience que la dubosphère constitue aujourd’hui une cible aussi facile que Nickelback, mais ils me rappelleront toujours cette phase trouble de la vie où porter des Vans aux lacets dépareillés ne tenait pas encore des symptômes du suicidaire social – et c'est précisément pour cette raison que je les aimerais jusqu'à la fin des temps, telle une cicatrice de guerre que je serai toujours fière de porter.

*Voir aussi : La Ruda Salska, Lo’Jo, La Phaze

HAPPY DRIVERS

Si le groupe Happy Drivers mélange autant d'influences et de genres différents, c'est en partie dû au fait que leur contrebassiste Alain Marietti était un ancien punk parisien – depuis devenu ce qu'il convient d'appeler un « psychobilly » – qui n'écoutait que du rap au moment où il s'est fait débaucher par un rockab et un ancien hippie breton. Après avoir égayé la scène angevine pendant quelques années, le groupe a fini par péricliter au milieu des années 1990. Par la suite, Thierry Petel a offert ses talents à la scène bordelaise (encore elle) en passant par des groupes de skinheads anarchistes et soul, tandis que ses deux confrères se sont reconvertis dans la musique médiévale. Heureusement, il nous reste toujours cette splendide cover de Madonna pour nous rappeler que derrière les ménestrels se cachent aussi des génies.

ROCK À JOACH

Chaque année, le lycée public Joachim du Bellay organise une série de concerts dans sa cour intérieure, où se seront entrecroisés nombre d'aspirants Weezer et de lycéens anxieux de croiser leur CPE dans un état d’ébriété avancée. Je garderai toujours un souvenir impérissable du très bon concert de H-Ora, l'équivalent metalcore de Limp Bizkit – bien que cette analogie ne tient qu'au fait que leur chanteur entretenait une ressemblance frappante avec Fred Durst. Un de leurs morceaux-phares était introduit par un sample de Sin City extrait de la scène où Mickey Rourke se fait torturer sur une chaise électrique, lequel disait : « Vous êtes à votre maximum, bande de tarlouzes ? » Je vois difficilement plus attachant.

Julie Le Baron porte désormais des laçets sans damiers. Elle est sur Twitter