FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Autechre dissèque son ADN, de Mantronix à Stockhausen

« Le terme IDM est une invention purement américaine. Les Britanniques n’auraient jamais inventé un truc pareil – on trouve ça indécent ici. »

Rob Brown et Sean Booth ont formé Autechre il y a près de 30 ans, en pleine adolescence, à Manchester - la ville de Joy Division, des Smiths et de Durutti Column. C'était en 1987, quelques mois avant que les nouvelles formes de la musique électronique (le hip-hop, l'electro et la house) ne traversent l'Atlantique et mutent en de nouveaux courants en Grande-Bretagne. Inspirés par ce qu'ils entendaient sur les radios locales, le duo a décidé de créer sa propre machine-musique, et après un EP, il signaient sur Warp Records. En 1992, le sampler du label nommé Artificial Intelligence incluait deux morceaux d'Autechre, un titre qui inspirera aux médias l'appellation « Intelligent Dance Music », à laquelle seront également rattachés Aphex Twin, Squarepusher et LFO.

Publicité

Mais les tendances nées durant leurs trois décennies d'existence ont finalement eu peu d'impact sur la trajectoire d'Autechre, qui sont restés aussi irréductibles qu'inimitables. Leurs premiers disques comme Incunabula et Amber rendaient explicitement hommage à leurs racines electro, hip-hop et industrielles, mais avec Tri Repetae en 1995, le groupe atteignait un nouveau palier : froid, cérébral, métallique, hypnotique. Les suivants —Chiastic Slide en 97 et LP5 en 98 se sont chargés de rétablir l'équilibre entre le côté mélodique de leurs débuts et leurs beats de plus en plus complexes.

L'entrée d'Autechre dans le 21ème siècle s'est fait de la manière la plus expérimentable possible avec Confield, sorti en 2001. Un disque aussi dense qu'intimidant. 4 albums plus tard, le duo signait son dernier disque à ce jour, Exai, deux heures d'algorythmes et de musique cybernétique paradoxalement toujours aussi viscérale. Aujourd'hui, Rob vit à Bristol tandis que Sean est resté à Manchester ; ils ne travaillent pas au même endroit et passent leurs semaines à s'envoyer des patchs par mail afin d'enfin terminer la conception de leur propre logiciel de production, qu'ils utilisent en live. Après une absence de 8 ans en Amérique, ils ont traversé une nouvelle fois l'océan pour venir y tester leur technologie-maison. On a pu rencontrer le duo au début de leur tournée, avant leur concert à Chicago, pour parler de l'étiquette IDM, de leur passion pour Mantronix et des différences entre Manchester et le reste du monde.

Publicité

Noisey : Considérant que c’est la ville de naissance de l’acid house, est-ce qu’il y a un côté romantique dans le fait de se retrouver à Chicago aujourd’hui ?
Sean : Un peu. On ne peut pas vraiment lutter contre. Ça fait partie de ce que les radios locales jouaient à Manchester quand on était gamins. Ce son était mainstream à l’époque, mais peut-être un peu plus localisé parce que Manchester s’est intéressé à ce style de musique plus tôt que le reste du Royaume-Uni. C’était le son dur et agressif de l’acid house, les trucs bizarres et dysfonctionnels, qui plaisaient aux Mancuniens.

Rob : Il y avait beaucoup de soul music aussi à Manchester, et je pense qu’on retrouve ce côté soul dans le son de Chicago.

Vous voyez une connexion entre la soul des 60’s et les morceaux acid des 80’s ?
Sean : Tout a éclaté en 1991, mais un peu plus tôt, c'était vraiment mélangé par les DJ’s. Aujourd’hui, tu as des divisions partout – mais des trucs comme le freestyle et l’acid house étaient jouées ensemble sans problème. Tout était une question de tempo et de funk, plutôt que de genre prédéfinis, ce qui fixait bien moins de limites.

Ça vous fait quoi de voir qu’Autechre est toujours cantonné au terme « Intelligent Dance Music » ?
Sean : Aujourd'hui, les gens doivent trier des masses d’information, qui déboulent de tous les côtés. Ça m’est égal que les gens utilisent un terme particulier. Le terme « Intelligent Dance Music » est une invention purement américaine ; les Britanniques n’auraient jamais fait la promotion d'un truc pareil – on trouve ça indécent ici. La nature américaine est de tout rationaliser, de donner un genre à chaque chose. On a été rangés avec tout ce que sortait Warp à l’époque, les Américains ont été plus qu’heureux de pouvoir classe toute cette frange d'artistes « weird » sous la bannière de la compilation Artificial Intelligence.

Publicité

Vous avez récemment fait un mix de 4 heures pour le festival Dekmantel qui plongeait en profondeur dans votre héritage electro 80’s. Qu’est ce qui vous fascine encore autant dans cette musique ?
Sean : On a joué là-bas il y a quelques mois et ils nous ont demandé de faire un podcast Ils étaient intrigués par notre amour de l’electro, qui date d’avant la house. Il y avait une continuité à Manchester – tous les kids qui étaient dans la house étaient passés par l’electro avant. On avait ce cocktail étrange d’electro et de hip-hop. C’est ce qui composait le breakbeat hardcore, en gros : le mélange des deux. Autechre est né directement de cet état d’esprit, et de l’idée que tu pouvais composer des trucs à partir d’éléments de chaque style. C’était notre conception de la musique : réutiliser tous ces éléments pour les faire aller dans des directions différentes.

Je vois l’electro comme la première musique entièrement mécanisée : de la pop faite uniquement avec des composants électroniques.
Sean : Je me ruais sur tout ce qui sonnait « artificiel » quand j’étais gosse. Je m’intéressais à l’esthétique numérique et à la musique électronique. L’electro est la musique la plus « électronique » que je pouvais trouver à l’époque. Les découpages que je chopais dans d’autres types de musiques étaient plus chiants et accessoires, et ça n’avait rien à voir avec mon electro surtout : les bruits chelous, les beats puissants et les chouettes sons de synthés. C'étaient les trucs les plus beaux que j’avais entendus jusqu’alors, et je me suis laissé entraîné là-dedans. Même le hip-hop que j’apprécie vient d’une certaine forme d’electro. Je suis toujours séduit par ce type de feeling futuriste.

Publicité

Je me souviens du jour où j’ai appris comment fonctionnait la musique – sa dynamique. Le fait que tu puisses naviguer librement au milieu de cet espace électronique, c’est flexible, tout se chevauche ; c’est interchangeable et également jetable. La musique, c’est ça pour moi : une matière faite d’un tas d’éléments qui déborde et renvoie à plein de styles connus. J’aime les morceaux qui sont indéfinissables, quand tu ne peux pas leur donner un genre précis. Je trouve les frontières un peu stupides. Ça m’intéresse de chercher à savoir pourquoi les gens pensent que telle chose est différente d’une autre et d’exploiter ce truc.

Vous jouez à des jeux vidéo ?
Sean : Pas autant qu’avant. Je passe tout ton temps à créer des logiciels, mais j'aborde justement ça comme la création d'un jeu.

Rob : Je ne finissais jamais mes jeux quand j’étais ado. Mais j’aimais ceux où tu pouvais juste explorer sans forcément tout terminer. Je préfère les jeux où la fin est ouverte, et où tu peux créer tes propres décors.

Comment votre processus créatif a évolué au fil des années ?
Sean : On a toujours fait en sorte d'avoir des projets sur le long-terme. Dernièrement, on imagine des logiciels et on créé des morceaux avec ; c’est ce qu’on a fait sur Exai. C’est une plateforme simple et directe, mais on bosse dessus depuis 2008. Et il y a toujours un bug, le logiciel coupe sur scène. Ça donne l’impression que c’est planifié, mais ça ne l’est pas.

Publicité

Rob : On doit juste faire en sorte que ça marche pendant une heure.

Et votre relation, elle a évolué comment ?
Rob : Au niveau du son, on respecte l’opinion de chacun, mais on a des goûts différents. On ne bosse plus dans le même espace, d'ailleurs. On ne vit pas dans la même maison, chacun fait sa vie de son côté quoi ; je vis à Bristol et Sean à Manchester. Et au lieu de s’envoyer des morceaux, on s’envoie des patchs pour nos logiciels. Ça nous réjouit. On échange des idées là-dessus plutôt que sur la musique maintenant.

Sean : Tu peux développer un logiciel de tellement de façons, plus que la musique. Plutôt que d’envoyer ma partie de boulot finie à Rob, le forçant à s’y conformer, je lui envoie quelque chose sur lequel il peut travailler et en sortir un truc plus personnel. On améliore le boulot de l’autre chacun de son côté, c’est une manière intéressante de rendre notre collaboration utile.

Rob : On ne peut pas bosser sur les les mêmes trucs au même moment. Chacun reste assis dans son espace. C'est comme deux studios séparés par un mur en verre, parfois on l'ouvre mais on peut surtout s'enfermer et faire un debrief plus tard dans la semaine. On s'installe dans la même pièce uniquement quand on bosse sur notre live.

À quel niveau vos goûts musicaux divergent ?
Sean : Rob est plus dans la soul 80’s que moi. Je ne supporte pas les voix, mais j’aime bien les dubs des morceaux quand même.

Publicité

Rob : Ça n'a pas changé depuis qu'on s'est rencontré. Il y avait une émission de soul sur une radio à Manchester qui au fil des années s'est mise à programmer du hip-hop et de la house. Au milieu du programme, il y avait toujours ces deux heures, où tu n'entendais que de la soul music. Donc tu avais les kids du hip-hop, les kids de la house, qui détestaient cette partie, mais ils étaient obligé de l'écouter. Moi, la soul ne me dérangeait pas, au contraire.

Sean : Les Mancuniens sont trop fiers pour l'admettre, mais ils ont cette approche naïve de la musique américaine, plus esthétique que culturellr. Nous ne sommes pas Américains, donc quand j'ai entendu de l'electro pour la première fois, j'ai trouvé ça vraiment abstrait, inventif et brutal à la fois. Des groupes comme Knights of the Turntables—c'était fun, ludique, quasi extra-terrestre et artificiel aussi.

L'aspect politique de l'environnement dans lequel cette musique évoluait n'avait pas encore traevrsé l'Atlantique à l'époque ?
Sean : Je n'en avais aucune idée. J'entendais ça de la même manière que j'entendais Stockhausen, « Putain mais qu'est ce que c'est que ces sons ?! » Je ne savais même pas encore ce qu'était le scratch. J'ai découvert l'electro en 1985, et j'ai juste trouvé ça dingue. C'était autre chose. Si tu te penches sur le genre purement en termes sonore et scientifique, on n'est pas loin de la musique concrète. Mais il y a ce fossé culturel entre les deux.

Rob : On avait aimé la musique concrète quand on l'avait entendu ados, mais l'electro était le seul truc qui d'un point de vue sonore était suffisamment sauvage pour plaire à notre génération.

Sean : La façon dont un groupe comme Mantronix manipulait la musique, avec leur mini-edits, ça a été une influence majeure. Les edits des Latin Rascals aussi, avec ces morceaux de batterie qui sonnaient comme des robots aliens, ça a emmené l'electro dans une autre sphère. Mantronix était tellement « micro » - tous leurs détails sont insensés et géniaux. À l'époque, je pensais que la musique allait évoluer dans leur sens. La moitié des morceaux qu'on fait avec Autechre tente de recréer les sensations que j'ai eu en découvrant tout ça - simplement être le plus post-humain possible et vouloir continuellement passer à l'étape supérieure.

Andy Beta est sur Twitter.