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Music

Dans les coulisses du clip de « Trustful Hands » de The DØ

Jeremiah, connu pour son travail avec R.E.M., nous raconte les dessous du clip qu'il a réalisé pour le duo parisien, entre onirisme, improvisation et sessions de karaoké sur Mariah Carey.

La semaine dernière sortait le clip « Trustful Hands » de The DØ. C’est au talentueux Jeremiah que nous devons cette épopée japonisante aux airs de vidéo amateur tournée dans les rues de Tokyo. Discret dans le milieu de la production, Jeremiah n’en est pourtant pas à son premier coup d’essai puisqu’il a déjà travaillé avec de nombreux artistes tels que R.E.M, Camille ou encore Piers Faccini. De ces collaborations qui mêlent à la fois clips, captations visuelles et documentaires, son travail conserve un aspect très brut avec une image au grain prononcé et une lumière souvent saturée.

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Avec

« Trustful Hands »

, Jeremiah révèle un nouveau pan de sa personnalité, beaucoup plus onirique. Par respect pour mon amour de Mariah Carey il fallait impérativement que j'en sache plus sur ce jeune homme capable de glisser l’air de rien « Hero » au milieu d'un clip de The D

Ø

. Je suis donc allée à sa rencontre.

Jeremiah. Photo - Emma De Caunes Noisey : Qui es-tu, Jeremiah ?
Jeremiah : Ça fait une dizaine d’année que je fais des films autour de la musique. Filmer la musique permet d’oublier l’outil, ça peut devenir très corporel et la caméra devient une extension de moi-même, et du coup je danse, ou je tape dessus… Le son restant le fil directeur, ça permet beaucoup de choses difficilement imaginables dans un autre contexte.

Avec cette approche, je me préparais à un chemin très solitaire dans le monde de l’audiovisuel… Mais j’ai rencontré Vincent Moon qui m’a proposé de faire des concerts à emporter pour la Blogothèque, et avec qui on a collaboré sur des films pour le groupe R.E.M. Ça a été une expérience incroyable d’appliquer une approche expérimentale à un groupe aussi énorme, et on a eu la chance de recevoir un respect absolu du groupe qui, sur tous les films qu’on a fait pour eux, ne nous a jamais demandé de changer une seule image. Bien sûr beaucoup de fans de R.E.M. nous ont détesté… Les commentaires sur Amazon sont un peu hargneux !

Depuis, j’ai fait pas mal de clips, plutôt à l’opposé de l’esthétique pub qui règne depuis un moment.Et j’ai eu la chance de collaborer avec des gens dont j’étais totalement fan comme Sophie Hunger, Piers Faccini, Christophe, The Dø… et Camille avec qui on a travaillé pendant 5 ou 6 ans sur un projet qui verra bientôt le jour.

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Comment en es-tu arrivé à réaliser un clip pour The Dø ?
Je suis tombé dingue de leur album et je voulais absolument travailler autour de ces chansons. Quand j’ai appris qu’ils faisaient un appel d’offre auprès des prods, j’ai fait une proposition de mon côté, en indé, et ça a été leur préférée. Même si au final, on a travaillé ensemble sur ce clip, le film a rien à voir avec ma suggestion d’origine…

Pourquoi avoir choisi le Japon ?
J’étais au Japon avec eux pour tourner un autre projet et j’ai eu cette vision d’Olivia avec sa combi rouge au milieu de Shibuya la nuit, faisant des katas comme elle le fait sur scène. C'était le dernier jour au Japon, ils venaient d’enquiller des mois de tournée partout dans le monde, une vingtaine de gros festivals en France, et cette semaine-là trois concerts à Tokyo… On était tous crevés mais on a puisé dans nos dernières ressources pour y aller. Dans l’après-midi, Dan a acheté ce T-shirt du drapeau japonais dans une boutique pour touristes et il a eu la super idée de le porter le soir, faisant de lui une cible pour Olivia. Quelles sont les conditions de tournage pour un tel projet, en terme d’équipe et de matériel ?
On a travaillé dans un minimalisme absolu : on était juste tous les trois… et une caméra de touriste. Les rushes de Shibuya ont été tournés en moins d’une heure. La première image d’Olivia dans le clip a été filmée à travers un ventilateur débranché qui tournait en backstage du festival Summersonic… Chaque image du clip vient d’une impro, d’une idée sur le moment… J’ai une approche totalement DIY, je filme souvent moi-même, avec une caméra amateur comme sur ce clip. Le moment que je vis, et le regard que je porte sur le sujet me semble parfois plus important que le sujet lui-même. C’est souvent ce qu’on projette dans une image qui la rend particulière, originale ou intéressante. D’ailleurs, tout devient intéressant à partir du moment où on regarde avec les yeux grands ouverts. Tarkovski disait même que si on ressentait quelque chose en filmant, cette même émotion est magiquement transmissible à celui qui regarde… Et quand on voit ses films, c’est exactement ce qui semble se passer, même un plan sur un paysage est émouvant. Et pourquoi avoir tourné ce clip en utilisant cet effet d’images d’archives très vintage ?
C’est parti de la scène du karaoké qu’on voulait présenter comme encore plus amateur qu’elle ne l’était… Pour marquer une différence avec les images de Shibuya, plus oniriques. À la base on était allé à un karaoké pour déconner, on était bien rétamés et on a passé deux heures à hurler dans ce micro doré. Derrière Olivia tu peux entendre Malik Malki, l’ingé son de The Dø, et Warren, leur backliner… C’était filmé au caméscope, on a juste marqué le trait en mettant un effet VHS bidon. Comment s’est déroulé le process de création entre toi et Olivia et Dan ?
Au tournage c’était que de l’impro, du coup dès que l’un de nous avait une idée, on la faisait. Par exemple l’idée de s’allonger au milieu du croisement de Shibuya venait d’eux, moi j’étais à l’étage du Starbucks à les observer de loin, et c’était d’ailleurs une idée de Dan que j’aille me poster là-haut… C’est vraiment génial de se retrouver dans une situation d’impro où chacun est impliqué et propose des idées, ça maintient un flow et t’as jamais envie de t’arrêter. C’était vraiment une ballade, où chaque lieu, passant ou situation devenaient une occasion d’inventer quelque chose. Ensuite j’ai proposé un premier montage sur lequel on a beaucoup travaillé avec Olivia, en essayant pas mal de possibilités et on est arrivé à un résultat dont on était presque satisfait, mais on a eu besoin d’avoir un input extérieur pour finaliser parce qu’on était trop dedans, et Dan a proposé une version qu’il a travaillé avec une monteuse (Rebecca Gomes Ferenczi), et c’était la bonne. C'était comment de travailler avec Olivia et Dan ?
C’est se tenir au milieu d’une contradiction, ça secoue, mais c’est là que l’énergie se trouve. J’ai beaucoup appris de chacun d’eux au cours du processus, ils ont un sens spectatoriel très poussé, et une reconnaissance intuitive de ce qui est important. Et puis bien sûr il y a une alchimie entre eux qui est très précieuse, c’est évident à l’écoute de leur travail, mais tout aussi frappant quand ils sont ensembles à l’image ou qu’on les voit sur scène. J’aime énormément le break au karaoké sur « Hero ». D’où t’es venue cette idée ?
« Hero » par Olivia Merilhati après quelques sakés c’était un money shot, et j’en ai parlé à Olivia qui avant même de voir les rushs a eu l’idée de l’insérer au milieu du clip. Elle est venue chez moi, on a essayé et on a tellement ri qu’on ne pouvait plus faire machine arrière… Y a t-il une trame narrative à ce film ?
C’est un film qui évoque le fait d’être sur la route en tant que musiciens donc oui, il y a nécessairement cette trame en toile de fond, mais la direction a été d’essayer d’en éviter les poncifs, et du coup de brouiller cette piste et de plutôt se servir de motifs qui évoquent d’autres choses tout en se répondant les uns aux autres. J’ai le sentiment tout de même que tu as pas mal étudié les paroles avant de penser ce film.
Une chose est sûre c’est que les paroles de cette chanson sont en moi, comme toutes celles de l’album, presque jusqu’à en devenir des mantras. L’écriture et les mélodies d’Olivia me touchent énormément et son talent de songwriter est quelque chose de très rare. Il serait impensable de ne pas tenir compte des paroles en amont ou pendant la conception du clip. Cela dit la tendance, surtout puisqu’on a travaillé en équipe sur le montage, a été de ne pas être illustratif, ou de trop renvoyer au texte, de plutôt être dans le contrepoint. Même si j’aime beaucoup ce clip, il génère chez moi un certain malaise. Plus particulièrement car ni Olivia ni Dan ne sourient, alors qu’ils se comportent étrangement. Ça me rappelle un peu le personnage de Mr Merde, excentrique, coloré, dérangeant, lui aussi évoluant à Tokyo, mais sans pour autant faire peur.
Il y a une certaine froideur dans Shake Shook Shaken, inhérente à son thème principal, et elle devait être représentée visuellement dans le clip. Après je trouve que c’est pas mal contrebalancé par Olivia dans le karoké et le lip-synch pourri de Dan à la fin. Froid mais fun… Quels sont tes projets à venir ?
En ce moment, je me concentre sur des projets plus écrits, plus cinématographiques. Je viens de finir un clip dans cet esprit pour Sophie Hunger « Superman Woman » qui va sortir dans quelques jours. Dans ce contexte j’essaie de garder une justesse qui peut devenir difficile à conserver quand les intervenants sur un projet se multiplient, ou quand on est trop pressé par le temps. Mais ce qui m’intérese plus que tout aujourd’hui c’est le cinéma, j’ai une fiction en production avec les Films d’Ici sur le fait d’être jeune et gay à la campagne en France, ça s’appelle Un Pour Tous.