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Music

Une lettre d'amour à la scène hard house de Manchester

Des maillots de VTT, des colliers à pic, du gel fluo et des millions de BPM.

L'auteur, à droite, lors d'une soirée hard house à Manchester

Chaque samedi se ressemblait. On sortait de la station service à 5 heures du matin, en plein brouillard, un paquet de Rizla à la main et des bouteilles de 2 litres de Highland Spring. Mes potes et moi étions habillés comme des coureurs cyclistes en descente, chacun montrant les signes avancés d'une sévère insolation. J'avais 17 ans, j'étais tombé amoureux de la scène hard house de Manchester, et je me préparais à m'y jeter à corps perdu pour les deux prochaines années de ma vie.

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J'avais commencé à sortir en club un an plus tôt - au Gatecrasher à Sheffield, accompagné de Judge Jules et Grand Paul, pour fêter mes 16 ans, en 1999. À partir de là, le « Crasher » fut la destination numéro 1 de chacun de nos weekends. Chaque nuit là-bas défonçait - et c'était compréhensible, en considérant qu'on avait tous 16 piges, qu'on était dans une boîte en train de danser avec des nanas et que ce 'était l'opposé d'un bal de fin d'année. Et ça défonçait encore plus quand Paul Van Dyk débarquait pour nous balancer un set psytrance de 6 heures.

Mais la trance ne suffisait jamais vraiment. Arrive un moment où tu ne peux plus supporter ces pianos qui ressemblent à des marteaux-piqueurs. Arrive un moment où il te faut quelque chose d'un peu plus chaotique. Coïncidence, la hard house est apparue à ce moment précis.

Entre 2000 et 2001, tout ceux dont les synapses fonctionnaient encore à 6 heures du matin se dirigeaient tout droit du Gatecrasher à The Republic, aux soirées Insomniacz du Club Uropa (qui déménageront plus tard au Corporation). Peu après, grâce aux sets réguliers de DJs comme Andy Farley et Paul Glazby, on abandonna totalement le Crasher en faveur du Insom et ses portes qui fermaient à 4 heures.

C'était à la fois la musique et la culture dans son ensemble qui m'ont décidé à bouger. Après un pic de popularité, le Gatecrasher était devenu le territoire des lycéens qui portaient des pompes brillantes et des chemises Peter Werth - une population qui dépensait son salaire hebdomadaire dans l'alcool, dans l'unique but de le vomir sur le chemin de retour, à même le bus de nuit. On se sentait mieux aux Insomniacz, où des adultes portaient des costumes Pikachu pour enfants beaucoup trop serrés, et passaient la majeure partie de la nuit à essayer de toucher leurs sourcils avec leur langue.

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Bien sûr, toutes les bonnes chose sont une fin, et la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de l'Insom a été son déménagement dans l'incroyablement infâme Centre National pour la Musique Populaire.

Maintenant que j'étais un vrai résident de Manchester, il était l'heure de me dégoter une nouvelle soirée hard house. Je l'avais trouvé à la Club North, qui avait lieu chaque jeudi dans le sous-sol du Affleck's Palace, en plein centre-ville.

La North était une petite soirée, relativement inconnue à ce moment-là, ce qui était top, puisque ça voulait dire que mes potes et moi allions rapidement être reconnus comme des habitués et qu'on aurait tous les avantages que ça comporte (barmen amicaux, vestiaire gratos, videurs qui n'allaient pas nous virer parce qu'on prenait de la MD dans les cabines des toilettes). C'est vrai que la dance music a toujours été tribale à un point assez extrême; rassemblant des étrangers pour partager une expérience collective, formant un nouveau clan grâce à l'aide précieuse des boîtes à rythmes et des machines à fumées. Mais ça pouvait aussi se manifester à un niveau plus restreint : chaque club avait ses habitués, un peu à l'écart, mais qui faisaient tout de même partie du tableau.

Parfois, les habitués d'un club - le Sundissential ou le Gatecrasher, par exemple - se ramenaient en nombre à d'autre soirées, arborant fièrement le T-shirt ou le sweat de leur club. C'était l'équivalent nocturne des Ultras parisiens et marseillais convergeant vers le Parc Des Princes, avec moins de mâchoires cassées et plus de basses.

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La plupart du temps, tout le monde se connaissait. Personne se souvenait du nom de l'autre, mais on s'en foutait, les visages suffisaient. C'était avant l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Les seuls mots échangés étaient des « ÉÉÉNORME ! » criés à la figure du premier mec venu.

Chaque club avait son uniforme. Le nôtre, Club North, ressemblait à un truc récupéré à une braderie Cyberpunk, mélangé à des accessoires de chez Halfords.

On commençait à se préparer à 17 heures, après s'être retrouvés dans la première maison qui avait été désertée des ses vieux et de son clébard. Les maillots de VTT étaient très courants, ainsi que les T-shirts méga-tight floqués de personnages de dessins animés. Les colliers à pics étaient aussi populaires. Je me rappelle d'une fois, où un de mes potes avait un T-shirt bardé de clous de 15 centimètres, qu'il avait fini par virer après s'être planté plusieurs fois. Niveau chaussures, c'était que du Acupuncture. Si tu avais des baskets Acupuncture en 2001, on était du même bord.

Il y avait aussi les cheveux. Il fallait s'y mettre à deux (au moins) pour se coiffer, et avoir sous la main un panel énorme d'outils et de produits. Il fallait se raser la tête sur les côtés et à l'arrière, pour laisser de quoi faire des pics sur le haut. Les gels, les cires et les crèmes variaient, mais mon arme secrète était du Dax, dont il reste encore une fine couche sur mon cuir chevelu. On utilisait des sprays de vernis argentés, avec une couleur de notre choix par-dessus. Les pros avaient une technique spéciale : couper le bout d'un verre en plastique, puis l'insérer sur le pic pendant qu'une autre couleur était appliquée.

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De la peinture UV était alors appliquée sur le bout, et personnellement, j'aimais terminer en beauté : un élastique enroulé à la base du pic, collé au crâne. Ça ressemblait à Nouveau look pour une nouvelle vie sous sérotonine.

Il faut savoir que tout ça était absolument nécessaire. C'était la première étape pour sortir de sa vie normale, le premier pas vers le monde souterrain, enfumé et moite de la hard house. À peine plus important, la musique aussi y participait : un simple rythme 4/4 persistant à environ un million de BPM, collé à des bruits d'aspirateurs et des sirènes, des voix suraigües et des samples infernaux. Alex Kidd. Paul Glazby. Eddie Halliwell. Lisa Lashes.

Les soirées étaient souvent organisées dans des clubs en sous-sols ; avec des plafonds très bas, ce qui voulait dire que la basse allait résonner dans ta cage thoracique à l'instant même où tu foutais un pied dans la salle. C'était assez étrange comme sensation, mais on avait trouvé la parade pour éviter cette espèce d'effervescence dans ta poitrine : secouer les bras et les jambes plus ou moins au même rythme que la musique.

J'ai récemment demandé à plusieurs potes pourquoi on avait arrêté d'aller au Club North, et personne n'avait l'air sûr. Le consensus était d'accord pour dire qu'il y avait eu un incident, une nuit, impliquant un videur (peut-être une baston au couteau ?) et que le club avait fermé quasi instantanément, que les lumières s'étaient rallumées et que personne n'avait le droit ni de sortir ni de rentrer tant que la police n'avait pas choper le coupable.

Je ne suis pas sûr que cette soirée fut la dernière pour le Club North, mais ça lui a porté un coup fatal. Peu après, le club a fermé quelques temps, avant de rouvrir pour se concentrersur la neo-soul et le RnB. Pas vraiment l'environnement idéal pour nos colliers de chien fluos et nos coiffures ultra travaillées.

Mais, d'une certaine manière, je suis content que ça soit fini. C'est comme cet instant particulier, juste entre le rêve et le bruit du réveil, c'est un truc que je ne revivrai jamais, mais un monde dans lequel j'aime glisser à chaque fois que je ferme les yeux. @ricketywhite