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Music

Comment Jessica Hopper s'est imposée dans le milieu masculin des critiques rock

Meredith Graves, la chanteuse de Perfect Pussy, est allée à la rencontre d'un des personnalités les plus importantes du journalisme musical de ces 15 dernières années.

Jessica Hopper et la musique, c'est une longue histoire. Une longue et tumultueuse histoire. Du hardcore à la pop, des nouvelles technologies aux aspects financiers de l'industrie musicale, des fanzines auto-édités à Punk Planet en passant par les reviews de Pitchfork—dont elle est aujourd'hui rédactrice en chef— Jessica écrit sur la musique depuis l'âge de 16 ans. Elle en a aujourd'hui 38.

Hopper vient de sortir son deuxième livre, glorieusement intitulé The First Collection Of Criticism By A Living Female Rock Critic [La première anthologie d'articles écrits par une critique rock féminine]. Le livre devait sortir le 12 mai prochain seulement, mais Jessica a décidé d'expédier les pré-commandes fin mars : « Ce sont tous ces gens qui ont passé des pré-commandes qui ont rendu le truc possible—alors ils méritaient bien de recevoir leur exemplaire 7 semaines en avance. »

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Un exemple parmi d'autres de la générosité et de l'ethique de Jessica Hopper, qui compte bien profiter du pied qu'elle a mis dans la porte de ce secteur où les femmes sont toujours minoritaires, pour faire entrer de nouvelles têtes et susciter des vocations. Une idée qui a toujours été au coeur de son travail et de ses motivations. « Je suis féministe, bien sûr. Ce livre le démontre clairement. Et c'est très bien comme ça. Ce n'est pas un rôle que je me donne. C'est au centre de mon travail. Toute ma carrière a été basée la-dessus. »

Et malgré cette carrière, elle trouve toujours « dingue et surréaliste » quand ses amis lui envoient des photos d'inconnus en train de lire son livre dans les transports en commun. « Des gens dont j'ignore le nom et le prénom sont là en train de lire ce bouquin. Ça existe, c'est réel. Même si c'est mon deuxième livre, j'ai toujours autant de mal à me faire à cette idée. »

Selon elle, sa curiosité et son enthousiasme viennent de son éducation. « C'est marrant, je relie toujours ça au fait d'avoir été élevée selon la methode Montessori [pédagogie qui repose sur l'éducation sensorielle et kinésthésique de l'enfant], mais tout ce que j'ai fait, je l'ai fait en apprenant et en faisant des erreurs. C'est très Montessori, ce truc de se dire, 'OK, c'est ça que je veux faire et rien d'autre, je vais perséverer et y arriver coûte que coûte'. »

Quand elle a commencé à écrire sur la musique, à 16 ans, Jessica n'avait aucune formation. Un de ses papiers les plus célèbres, Emo : Where the Girls Aren't [Emo : Là où les filles n'existent pas] a été publié en 2003 dans Punk Planet —et repris dans son premier livre The First Collection. « Ça m'a pris 1 an et demi pour écrire ce papier parce que je ne partais de rien. J'ai du apprendre à structurer mon raisonnement. Je n'avais aucun outil. Je ne suis pas allé à la fac. Je n'avais jamais lu de livres sur la critique musicale. »

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Emo : Where the Girls Aren't est devenu l'un des socles fondateurs du féminisme dans l'emocore, scène totalement apolitique. C'est aussi l'article qui a transformé Hopper en modèle, pour certains — et en paria pour d'autres. « C'est comme si j'avais débarquais d'une autre planète avec cette théorie. Pendant environ un an, j'ai reçu au moins — et je te parle de ça alors qu'internet et les e-mails étaient déjà quelque chose de très répandu— trois lettres par jour pour ma parler de cet article. De vraies lettres, qui arrivaient par le courrier, avec un timbre. Les gens se sentaient vraiment concernés par cette histoire. Et côté e-mail, c'était la folie, j'ai eu au minimum un message là-dessus chaque jour, pendant trois ans ! Et il y avait autant d'hommes que de femmes qui m'écrivaient. Ça allait de 'C'est exactement ma vie que tu décris là, j'ai pleuré en le lisant, parce que moi aussi je veux monter un groupe' à 'Tu ne sais pas de quoi tu parles, tu es stupide, il n'y a rien de sexiste là-dedans. »

Des réactions qu'on pourrait toujours entendre aujourd'hui, la situation n'ayant pas franchement évolué. Principalement, selon Hopper, à cause de cette « animosité ordinaire envers les femmes qu'Internet a permis de maintenir et de rendre encore plus visible ». 12 ans après sa publication, Emo : Where the Girls Aren't est toujours aussi pertinent et reste un point de départ idéal pour quelqu'un qui souhaiterait s'intéresser au sexisme dans le milieu musical. C'est une des plus grandes forces de Jessica : ses écrits résistent à l'épreuve du temps. Selon elle, c'est tout simplement parce qu'elle « essaye d'établir le même dialogue depuis 20 ans. » Jessica, à gauche, en compagnie de Sleater-Kinney.

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A la fin d'Emo: Where The Girls Aren't, Hopper se demandait si la misogynie inhérente à la scène emocore empêcherait les filles de monter leurs propres groupes. Au vu de la nouvelle vague emo et des groupes apparus ces dernières années, on serait tentés de dire que non. De Mitski à Joanna Gruesome en passant par Tigers Jaw (et sans même citer la reformation de Rainer Maria), tout laisse croire que les filles n'ont aujourd'hui plus peur de se faire une place au sein de cette scène.

Des groupes que Jessica soutient, bien évidemment, à 100 % : « Si ces filles veulent jouer de l'emocore, si elles veulent faire leur trou dans cette scène, putain, qu'elles le fassent. Il y a de la place pour elles. Et si on ne veut pas la leur donner, qu'elles la prennent. Elles n'ont pas à attendre la permission de qui que ce soit. »

Ce goût pour le combat et la rebellion est une autre des composantes du travail et de la personnalité de Jessica Hopper. Elle l'a d'ailleurs encore montré récemment avec The Invisible Woman, un entretien avec Bjork, où elles parlent where they discuss how to remain hopeful as non-millennial women in the music industry.

« J'ai aujourd'hui 38 ans et, il y a ne serait-ce que 10 ans, personne n'abordait ce genre de sujet. Personne n'imaginait qu'on puisse envisager le fait de vieillir en musique par ce biais là — par un autre biais que celui du vieux mâle blanc. Les choses évoluent, les changements se font petit à petit. J'ai hâte de voir à quoi tout ça va ressembler dans 10 ans, de voir comment on parlera de tout ça, de voir comment aura changé l'attitude des gens sur ces questions, de voir plus de journalistes noires ou asiatiques prendre part au débat. J'aimerais vraiment voir tout ça. J'adorerais me projeter dans le futur juste pour voir ça. Je veux participer à ces changements. C'est mon objectif. »

Avant de se quitter, on lui pose naturellement cette dernière question : quel conseil donnerait-elle à une adolescente qui voudrait, comme elle, écrire sur la musique ?

« Tout ce dont vous avez besoin, c'est d'être passionnées. Et n'attendez surtout pas que quelqu'un vous donne la permission de le faire. Parce que personne ne le fera. Si vous en avez envie, faites-le. » Meredith Graves est la chanteuse de Perfect Pussy. Elle est sur Twitter - @gravesmeredith