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Music

Punk et mode : une relation chaotique

Dans les années 70, le punk a défini les codes de la mode alternative, provoquant la mort de la culture underground.

Comme toutes les modes alternatives, le punk était un mouvement de réaction : contre le conformisme, le capitalisme et l’establishment. L’esthétique du punk se rebelle contre le relâchement (à la fois de l’esprit et des coupes vestimentaires) des hippies, et du disco, trop propre et brillant. Alors que les États-Unis tardaient à laisser tomber la mode des cheveux longs et gras des hippies, la mode punk, avec ses couleurs sombres, ses jeans noirs moulants et ses Doc Martens, était ouvertement anti-hippie, de la même façon qu’aujourd’hui le prétendu normcore est un ascétisme qui se rebelle contre une époque faite d’excentricités stylistiques à la Lady Gaga. On attribue généralement l’origine de la mode punk au 430 King’s Road, l’adresse où Vivienne Westwood, enseignante devenue créatrice de mode (qui plus tard dessinerait la robe de mariage de Carrie Bradshaw), avait installé la boutique Sex avec Malcom McLaren, son petit ami d’alors et manageur des Sex Pistols. Mais toute cette petite bande n’était pas la première à se pavaner dans des chemises déchirées. Comme Sharon M. Hannon le rappelle dans le livre Punks: A Guide to the American Subculture, les goûts de McLaren ont été influencés par Richard Hell, un pionnier nord-américain du punk qui jouait dans Television et Neon Boys. Le musicien aux épingles à nourrices formera son propre groupe en 1976, Richard Hell & The Voidoids.

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Television dans les années 70.

Qu’on se le dise tout de suite : porter une épingle à nourrices dans l’oreille en 1970 est punk, porter un écarteur d’oreille acheté chez H&M en 2016 ne l’est pas, malgré ce que le marketing veut bien vous faire croire. Ce qui est certain, c’est que les deux accessoires sont assurés de provoquer une sale infection auriculaire. Que le punk soit passé de Richard Hell à une chaîne de magasins est la preuve que toute mode alternative n’est qu’une queue de comète : au final, le capitalisme et le conformisme dévoreront toujours le mouvement qui s’était créé contre eux. Initialement, la mode punk était ouvertement opposée au matérialisme : elle se terrait dans la crasse du sous-sol tandis que le glamour du disco brillait à l’étage. Par exemple, le style débraillé de Patti Smith (son jean était déchiré à force d’avoir dormi dans la rue avec Robert Mapplethorpe, comme elle le raconte dans Just Kids), est aujourd’hui disponible dans Vogue pour environ 1000€. L’esthétique punk faisaient du système D un art : les punks de la rue transformaient un sac poubelle en veste parce qu’ils ne pouvaient pas se payer de vraies fringues. En 2016, pour 3€ chez Emmaüs on achète une veste noire à épaulettes parce que ce n’est pas cher, et on se jure de la porter comme un bras d’honneur au système économique qui force les féministes les plus ferventes à préférer Bernie Sanders à Hillary Clinton à cause de ses liens avec le monde de la finance, puis on tombe sur des photos de mannequins portant cette même veste à la Fashion Week de 2016, comme DKNY, et jusqu’à la reine des punks elle-même, Vivienne Westwood - qui de toute façon sera toujours punk puisqu’elle était de la partie dès le début, elle. Dans sa rébellion, la mode alternative est finalement devenue une tendance du futur. La mode punk est désormais un des nombreux signes du mainstream. Avant les pop stars, c’étaient les prostituées et les fétichistes qui formaient l’inspiration de Vivienne Westwood, raconte The New York Times. Et si le sexe est le plus vieux métier du monde, c’est aussi la plus ancienne muse de la mode. Comme tout, la mode punk était influencée par le sexe. Des looks inspirés de l’univers BDSM, avec ses ceintures cloutées et son cuir, étaient mélangés à l’esthétique DIY des t-shirts peints à la bombe et transpercés par des épingles à nourrice. Le punk se jouait des normes de genre, et les femmes mélangeaient les codes féminins et masculins en associant des Rangers sales et des collants déchirés à un tutu gracieux. Le mélange du hard et du soft est présent aujourd’hui dans les tendances alternatives du nu-goth (qui, bizarrement, vénère les lunettes rétro portées par les hippies, celles-là même que les punks évitaient comme la peste). Récemment, pour le plus grand bonheur des adeptes du « pastel punk », Manic Panic (marque de cosmétiques lancée par Tish et Snoky de Blondie en 1977, initialement comme magasin à St. Mark’s Place, haut-lieu culturel de NYC) a sorti une ligne de colorations pour cheveux pastel, tout en s’assurant que les ingrédients étaient vegan et non traités sur les animaux (« cruelty-free »). Ozzy, le roi du gothique, a beau dévorer des têtes de chauve-souris, les punks ont toujours eu une grande affection pour les mignons petits lapins, affection inversement proportionnelle à celle qu’ils portent pour l’establishment. Répandre son amour pour le véganisme et le cruelty-free est le quotidien du business des icônes de beauté sur Tumblr comme Kat Von D et sa gamme de maquillage.

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Debbie Harry en 1977

Alors que la mode punk des années 70 est dépouillée de son message politique lorsqu’elle atteint les podiums de la Fashion Week de New York, il faut sans cesse rappeler qu’elle était intrinsèquement politique par nature. Les mecs de Crass avaient un putain de sex-appeal dans leurs pantalons noirs, mais ils n’oubliaient pas de prêcher l’anarchie (et aussi les droits des animaux ; oui, les punks adorent les petits lapins, je le répète). Ils avaient un but au-delà de leur style. Mais tout comme la nonchalance du grunge des années 90 a donné les pulls de laine oversize taillés pour l’apathie, ou que la croix inversée gothique symbolisait le Satanisme avant que Urban Outfitters ne la commercialise, le punk était, pour le pire ou pour le meilleur, fatalement condamné à être englouti par les mêmes personnes qui l’avaient involontairement créé.

Sophie Saint Thomas est sur Twitter.

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat avec CANAL pour le lancement de la série VINYL réalisée par Martin Scorcese et diffusée à partir du 15 Février sur OCS. Plus d'infos sur le site.