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Music

Il n'existe désormais plus qu'une seule génération : celle des gros bébés chauves

Ils ont 20, 30 ou 40 ans, s'accrochent désespérément au passé, et ont créé ce monde infernal où rien ne meurt et où tous les groupes se reforment.

Photo via 2016 a commencé un jeudi et s’est immédiatement inscrite dans cette ère dont Stephen King s’est fait bien malgré lui l’oracle grâce à Simetierre, roman où il décrivait avec une pertinence rare et plusieurs décennies d’avance (le livre est sorti en novembre 1983) ce moment particulièrement absurde de l’évolution. Si vous ne l'avez pas lu ou que vous l'avez oublié, Simetierre (qui, je tiens à le préciser, a été retitré Cimetière Vivant au Québec) raconte l'histoire d'une famille emménageant à proximité d'un cimetière indien (quoi de mieux, après tout ?) permettant à toutes les créatures vivantes qui y sont enterrées, de réintégrer leurs pénates sous 48h, avec une sérieuse moins-value au niveau physique et moral. Sales, puants, stupides, pathétiques et animés par un vague sentiment d'agression, les cadavres étaient ensuite condamnés à errer sans but dans une impossible seconde vie, pour le seul plaisir de leurs proches, enfin libérés de l'intolérable poids du deuil et de cet abîme sans fond qu’est la solitude. Ainsi, finie la mort pour David Bowie, qui avait pourtant tenté de s’éclipser paisiblement chez lui, à New York, entouré par sa famille, mais est revenu traîné de force en place publique, gris, liquide, presque transparent, nous chanter ses bergerettes pour spationautes et son Berlin de vieux soupers tristes, pour le plaisir du bon peuple, se perdant en longs beuglements de souffrance morale (« 2016 est officiellement déjà pire que 2015 », « L’univers existe depuis 15 milliards d’années mais nous avons eu la chance d’être les contemporains de David Bowie » ou le génial « N’oublions pas que c’est quand même lui qui a influencé les Rita Mitsouko » lâché dans une ignoble extase par Marie Colmant sur BFMTV). Finie la mort également pour Michel Delpech, chanteur spécialisé dans la chronique provinciale, sommé de faire chavirer dans une dernière gigue poussiéreuse l’âme ravagée d'une France qui ne trouve plus ses lunettes et de toucher au passage le coeur de milliers de Twittos, trop contents de saluer celui qui, mon dieu, les mots m’échappent, enfin ils le connaissaient et c’était déjà trop. Finie la mort pour Guns N’Roses, qui est soudain redevenu ce groupe de chiens fous qui a mis la planète à feu et à sang entre 1986 et 1992 grâce au tour de main pas cochon des avocats de Slash et Axl Rose et au plein sac de fraîche qu’a allongé Coachella, du coup tout le monde s’est mis à l’annoncer avec des photos prises entre 1986 en 1992, parce que ce que les gens veulent c’est le Guns N’ Roses d’entre 1986 et 1992, et tant pis si on est en 2016, une année où Guns N’ Roses ne signifie plus rien et où Axl Rose tweete des photos de saucisses. Finie la mort aussi pour LCD Soundystem, dont les premiers fans sont maintenant tellement vieux qu’ils peuvent eux aussi y aller de leur « Losing My Edge ». Eh ouais, les soirées au Nouveau Casino avec James Murphy et Ivan Smagghe, I was there. La Respect au Bois de Boulogne avec 2 Many DJs, The Rapture et Black Strobe, I was there. Les jeudis soir du Pulp, putain, I was there aussi, presque chaque semaine en vérité. Mais j’avais 25 ans. Et le dernier truc dont j’avais envie, c’est de me retrouver avec des mecs de 40 balais autour de moi. C’est d’ailleurs pour ça que je ne vais plus en club. Pour ne pas faire honte au petit con arrogant que j’étais à 25 ans. Pour laisser la place à ceux qui sont arrivés derrière. Le souci, c’est que j’ai l’impression qu’on est à peine 12 à l’avoir fait et que tous les autres ont continué. Jusqu’à contaminer tout le monde. Jusqu’à ce que le terrain ne soit plus occupé que par des mecs de 40 ans et des jeunes de 20 ou 25 ans qui ont la culture de mecs de 40 ans et la mémoire qui va avec. Vieux-jeunes et jeunes-vieux sont ainsi entrés dans cette époque incertaine, dure, belle, rapide, moche, drôle, excitante, hypocrite, intense, désespérante, bref : inspirante. Et personne n’en a rien fait. Plutôt que d’avancer, ils ont préféré utiliser leur temps à maintenir en vie des choses qu’il ne voulaient pas voir mourir, à faire reluire les statues de ceux qui les ont précédés, accompagnés ou formés, plutôt que de s’occuper des leurs. Génération X, génération Y, les baltringues du tout-média ont beau multiplier les papiers sur le sujet, je ne vois que des gens qui, malgré leur âge, ont exactement la même culture et les mêmes préoccupations : chômage, futur incertain et incapacité totale à couper le cordon. On vous a, à tous, tellement rabâché que grandir était une chose horrible et impardonnable, que vous avez, dans la confusion, décidé de ne plus bouger. Photo via Vous pourrez bien vous laisser pousser vos barbes dégueulasses et vous couvrir de tatouages de triangles ou de marques de bicyclettes tant que vous voulez, tout ce que je vois, ce sont des gamins qui, quoiqu’ils fassent, se considèreront toujours moins forts, moins géniaux, moins originaux que leurs aînés. Des enfants désespérément accrochés à leur doudous. Des mouflets qui passent leur journées à jouer à la grande dinette de l’émotion sur les réseaux sociaux, à pigner dans les commentaires des articles sur lesquels ils passent (sans les lire - on le sait, on a des données chiffrées qui nous le prouvent chaque jour). Des bébés qui refusent de devenir des adultes mais qui ne peuvent rien contre le temps qui passe et qui sont déjà, pour les moins chanceux, gros et chauves. Voilà ce que je vois tous les jours autour de moi. Des paumés issus de la même filiation, du même gros taco générationnel fourré à la merde, du même gros tube lacrymal balançant ses jérémiades à 10 000 bars de pression : celle des gros bébés chauves. Des putains de gros bébés chauves. Mais rassurez-vous, tout n’est pas perdu. Une génération, une vraie, arrivera un jour qui se désintéressera complètement de toutes vos obsessions. Des réseaux sociaux. De l’hyper-connectivité. De la sur-documentation. Des listes. Du reboot d’X-Files. Du nouveau Star Wars. De l’anniversaire du film qui a marqué l’année de vos 12 ans. De la reformation du groupe qui a servi de bande-son à votre année de seconde. Ils laisseront tomber toutes ces conneries pour démarrer quelque chose de nouveau, qui ne sera pas forcément original ou novateur mais qui sera assurément spontané, vivant et libre et qui aura été copieusement nourri par l’ennui, la frustration et l’envie - ces trucs sans lesquels on n’apprend jamais à mordre, et sans l’envie de mordre, eh bien, on ne fait rien. En attendant, vous allez pourrir lentement, très lentement. Et eux vont grandir doucement, tout doucement. En chemin, ils découvriront peut-être l'existence d'un livre nettement mieux écrit que Simetierre et autrement plus salutaire : Ordo de Donald Westlake, un roman court, brutal et bouleversant, qui parle du renoncement, du fait de laisser filer tranquillement le passé et d'aller de l'avant, d’accepter que les gens qu’on aime ne seront jamais parfaits. C’est assurément ce que vous trouverez de mieux pour survivre à 2016. Et à toutes les années qui suivront. En attendant, allez bien vous faire foutre.

Lelo Jimmy Batista n’est plus sur Twitter.