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Double dose de haine, un trait de controverse et beaucoup, beaucoup de glace : Akitsa n'est pas un cocktail pour débutants

Interview-vérité et écoute intégrale de « Grands Tyrans », nouvel album du groupe black metal québécois le plus radical de ces dernières années, qui sort sur le label de Vatican Shadow.

Si vous vous intéressez au black metal dans ses manifestations les plus radicales, vous avez forcément ramassé en pleine tronche les disques d’Akitsa à un moment ou un autre. Depuis plus de quinze ans maintenant, la faction montréalaise - composée des bien nommés Outre Tombe et Néant - sème la terreur et la désolation dans un paysage outre-atlantique devenu un peu trop propret pour les puristes.

Nostalgique mais jamais passéiste, le duo québecois mandale très fort une fois de plus avec Grands Tyrans, que nous avons aujourd’hui le privilège de vous faire écouter en avant-première et en intégralité. Pour faire simple, la recette est toujours la même : un cocktail de haine pure et crue autant dopée au black qu’à la oi, tellement cradingue et stridente qu’on se croirait dans les égoûts de Montréal un jour de fonte des neiges. Et d’Apocalypse.

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Difficile de faire plus trve que ces mecs, d’autant plus qu’O.T. gère en parrallèle le label Tour de Garde, une des pierres angulaires de l’édition et de distribution du black metal le plus obscur (allez faire un tour sur la page discogs du label histoire d’avoir le vertige) dont on vous avez déjà parlé par ici. On a profité de son passage à Paris en novembre dernier pour faire un petit retour sur son parcours et un état des lieux de l’underground.

Noisey : En dehors d’Akitsa, tu as pas mal d’autres projets plus axés indus, noise comme Contrepoison et Âmes Sanglantes… Sans parler des labels que tu gères. Je me demandais quel avait été ton premier amour dans tout ça ?

O.T. :

Mon premier amour a toujours été le metal, j’ai commencé à en écouter vers 11-12 ans. Si je me souviens bien, le premier truc que j'ai acheté devait être la cassette de

Killers

, par Iron Maiden. On était deux ou trois amis d'enfance, on s'était donné le défi de dénicher le groupe le plus brutal possible, à une époque où c’était assez compliqué. Et puis après Maiden, c'était Pantera, Metallica. Enfin tu vois, comme on écoutait Megadeth, on était tous d'accord pour dire que Pantera était le truc le plus extrême, le plus heavy. Au collège, on se fiait encore beaucoup aux artworks pour acheter des disques, c’est comme ça que j’ai fini avec

Breeding The Spawn

de Suffocation l’été de mes douze ans. J'étais tout content, je chopais mes potes du quartier en leur disant : « Hey mec, j'ai trouvé un truc bien plus brutal que Pantera ! ». Là on a commencé à capter qu'il y avait une couche bien plus extrême du metal qu'on ne connaissait pas, qui ne demandait qu’à être découverte. On a commencé à creuser de façon très passionnée, menant une véritable quête.

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Ça ressemble à quoi ce genre de quête quand t’as 12 ans, à Montréal, sans Internet ?

Même si j’habitais en périphérie de Montréal, on avait quand même un HMV dans le coin. Ils distribuaient un magazine gratuit édité au Canada, M.E.A.T Magazine, dans lequel il y avait des annonces pour des trucs que tu ne trouvais pas en magasin. Par curiosité, j'ai commencé à leur écrire ; c'était de la vente par correspondance, il suffisait de leur envoyer une lettre avec un timbre pour qu'ils t'envoient un catalogue de VPC. Et de fil en aiguille, on a commencé à comprendre qu'il se passait des trucs par la Poste, mais ça nous paraissait un peu louche tu vois. Sûrement à cause des conseils de nos parents, le genre à nous mettre en garde contre les arnaques. J'avais pas beaucoup d’argent, alors on s'est mis d'accord pour se contenter d'acheter nos trucs en magasin du moins au début. Dès qu'on a eu l'âge de pouvoir se déplacer tranquille, on descendait en bus à Montreal et on allait au HMV essayer de trouver des trucs plus obscurs. On y trouvait principalement des références de chez Roadrunner ou Metal Blade. Mais bon, même certains titres de chez eux restaient super durs à trouver, comme Cannibal Corpse. Et puis un jour où on était encore fourrés au HMV, un type plus vieux que nous voit qu'on est curieux, qu'on est en recherche. Il vient vers nous, nous demande si on connait le Rock en Stock et nous envoie là-bas. C’est là qu’on est tombé sur ce truc incroyable, mais je ne pense pas que vous connaissez ça, vous les Français.

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Non ça me dit rien…
Pour la faire courte, le Rock en Stock est un magasin culte de Montréal, qui a une histoire un peu compliquée. Le propriétaire administrait ça de manière peu cavalière. Il se faisait des tonnes d'argent sur le dos des groupes en faisant plein de bootlegs qu’il revendait 35-40 dollars pièce. Il sortait parfois des trucs pas mal, mais sans aucun respect pour les artistes. Mais ça restait le meilleur endroit pour trouver du bootleg à Montreal, au Canada et possiblement même en Amérique du Nord. Par exemple le rayon Nirvana était vraiment impressionnant, il y avait au moins 150 disques. Sérieusement, où pouvais-tu trouver 150 disques de Nirvana, tous non-officiels, dans un même lieu à l'époque ? Enfin bref, quand on est allés dans ce magasin, ça a été la révélation. Leur sous-sol, c'était la Mecque de l'underground. Du Varathron, du Rotting Christ, du Burzum… On pouvait tout trouver mais tout était excessivement cher. Et puis j'ai commencé à ramasser des flyers là-bas, pour enfin découvrir le tape-trading. C'est comme ça que j'ai découvert le black metal, et l'underground en soi.

Comment en es-tu venu à t’intéresser à des trucs plus noise et industriel ensuite ?
Ca part d'un truc un peu con en fait. Il y avait un deal qui faisait que lorsque tu achetais trois disques de Relapse, tu avais le droit à une compilation gratos. Sur cette compile, tu avais un CD avec du metal, du hardcore et un autre avec des trucs plus expérimentaux, genre Merzbow, Masonna… Des trucs qu'on ne connaissait pas du tout mais surtout qu’on avait du mal à comprendre. À l’époque, je me demandais vraiment qui pouvait pousser les gens à écouter ce genre de sons, ça me fascinait . Et puis, à force de toujours écouter les même trucs et de tourner sur les mêmes 30 CD's que je possédais, j’ai fini par m’y mettre, histoire de changer un peu. Un jour, seul, en bricolant avec ma guitare, je me suis rendu compte que je pouvais sortir le même genre de sonorité avec une pédale de distorsion et quelques effets, et je me suis plongé dans l'industriel, piqué dans ma curiosité. C'est comme ça que j'ai développé un intérêt pour cette musique-là.

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Après coup, j'ai commencé à connaître des gens de la scène metal montréalaise, j'essayais de m'incruster dans un maximum de concerts alors que je n’avais pas le droit, car j'étais encore mineur. J'ai commencé à baigner dans cet univers, et comme j'avais une grande gueule et que j’étais curieux, les mecs du « milieu » m’ont accepté malgré mon jeune âge. Mais je trouvais que cette scène montréalise était un cocon, un phénomène très local et sans vraiment de vision. Pour faire simple, les groupes locaux n’avaient aucune identité propre, le gros étant constitué de mecs qui essayaient de copier le death américain ou suédois sans essayer d’y apporter une touche personnelle. Les seuls qui sortaient un peu du lot sont ceux qui faisaient du « metal technique », genre Cryptopsy, Kataklysm…

Rétrospectivement, je dirais que le seul son propre que le metal québecois ait eu, est le death technique… À l’époque, il y avait donc peu de place pour le black metal, on n’en parlait pas assez à mon goût… J'ai commencé à écrire des chroniques de disques et à être publié. Je me souviens avoir chroniqué

Wolf's Lair Abyss

de Mayhem quand il est sorti ou encore les disques de Frozen Shadows, qui reste selon moi l'un des premier vrai groupe de black metal intéressant de chez nous. Même encore aujourd'hui. Bref, j'essayais d'intégrer ça dans la culture metal moyenne qui ne m’intéressait pas et à laquelle je n’étais pas attaché. Pour être franc, je trouvais vraiment que notre scène faisait pitié. Et comme je venais d'avoir Internet à l'époque, j'ai commencé à les troller sur les forums locaux, à dire de la merde sur tous ces groupes sans identité propre. Parfois, c'était vraiment con, je l'admets aujourd'hui, j'étais jeune hein. C’était des provocations à la Seth Putnam, aussi extrêmes que ridicules. Mais bref, les mecs ont fini par me retrouver avec mon adresse IP et à me chercher, mon nom tournait dans les mailing-lists des petits cercles metal locaux… J'ai commencé à recevoir des lettres de menaces et à l'époque, j'habitais encore chez mes parents. Ca devenait un peu tendu pour moi. Du coup, j'ai fini par m'éloigner de cette scène et finalement mettre tous mes efforts dans la musique industrielle pendant un temps, m’isoler dans la noise.

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Et elle ressemble à quoi cette scène de Montréal aujourd'hui ? A-t-elle évolué positivement depuis ?

Je n'ai jamais été très enthousiaste face à la scène locale montréalaise et c'est toujours le cas. Il y a quelques groupes que j'apprécie et que je supporte mais globalement, mon opinion est toujours très négative. Le climat est clairement plus propice au black metal depuis quelques années, principalement grâce aux initiatives de Sepulchral Productions qui offre un soutien aux groupes qui veulent jouer live. En plus, il organise de multiples événements dont la Messe des Morts à laquelle ont participé plusieurs groupes internationaux tels que Samael, Cult of Fire, Mgła, Sargeist, Throne of Katharsis, etc.

Pour en revenir à la noise, j’imagine que c’est l’intérêt que tu portes à ce style qui t’a amené à collaborer à de nombreuses reprises avec Dominick Fernow. Vous avez en quelque sorte un profil similaire dans vos domaines respectifs et il sort régulièrement les disques d’Akitsa sur son label Hospital Productions… Comment vous en êtes arrivés à bosser ensemble lui et toi ?
Ça remonte à loin entre Dominick et moi. On se connait depuis 1997 à peu près. Selon lui, notre premier échange se serait fait sur le forum MSBR.org, un forum de harsh noise très fréquenté par ses acteurs à l’époque. On a commencé à s'envoyer des paquets, à faire du trade. On a eu des contacts plus ou moins réguliers pendant un certain temps. Déjà à ce moment-là, je commençais à me désintéresser du harsh. J’y avais mis pourtant beaucoup d'efforts avec mon projet Âmes Sanglantes, principalement parce que j’étais dégoûté de la scène metal locale et de la façon dont elle m’avait traité. Mais par la suite, la scène noise m'a également déçue par son manque d'assiduité : tu envoyais ton master, tu voulais que ça sorte et t'avais plus de nouvelles… Les gens n’étaient pas sérieux, il y avait un réel manque de dévotion là-dedans.

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Parallèlement, les choses commençaient à bien marcher pour Akitsa, les gens aimaient ce qu'on faisait, on avait plus d'opportunités. En tant que jeune adulte, j'étais fier de pouvoir sortir un premier vrai truc sérieux, un CD, un vinyle… J’ai commencé à avoir du dédain pour la scène noise, Dominick et moi n'étions plus trop en contact. Et puis en 2003, Mikko Aspa a fait une mini tournée de Grunt aux USA, et je suis allé le voir à Boston et Providence où Dom vivait. C’est là qu’on on a renoué des liens. Je crois qu'à l'époque, il devait juste connaître le black metal à la Cradle Of Filth ou Gorgoroth et quand il a entendu Akitsa il m’a dit : « Hey, mais c'est possible de faire du BM de cette façon-là ? ». Je crois qu’il n’a pas super accroché sur le coup, mais peu de temps après il m'a envoyé un énorme paquet avec des enregristrements qu’il venait de sortir comme

Pleasure Ground

. Là j'ai commencé à voir que Prurient devenait sérieux, on a commencé à multiplier les collaborations, à faire des splits ensemble… Il a fini par m’avouer qu’il adorait Akitsa. C’est resté un très bon ami depuis.

L’histoire montre que tu as fini par revenir au metal avec Akista donc. Ça s’est fait dans quelles conditions ?
De façon étrange, on a démarré Akitsa avec un copain peu de temps après l’épisode des forums. On a enregistré une démo de façon plus ou moins sérieuse… On a commencé à en envoyer partout avec un flyer disant qu’on faisait du black metal ultra-élitiste bla bla bla. On a eu des commandes, ça a plutôt bien marché, à notre grande surprise à vrai dire. De fil en aiguille, c'est ce truc qui m'a redonné l'amour du black, qui reste encore aujourd’hui mon premier amour.

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Vous aviez un son assez peu conventionnel pour le milieu black metal de l'époque, qui n’est pas réputé pour être spécialement ouvert. Je me demandais justement quelle genre de réception vous aviez pu avoir quand vous avez débarqué ?

On va dire qu'on a été plutôt bien reçu par la scène qui m'intéressait à l'époque, et qui m'intéresse toujours. Mais je n’ai encore aucune idée du pourquoi. C’était pas gagné, notre premier enregistrement avait été édité par Artfuck Productions, un label finlandais super louche qui sortait du folk expérimental et de la noise - je crois qu'ils me connaissaient plus via mes projets de noise - ce qui était assez étrange. On se faisait beaucoup comparer aux Légions Noires, alors qu’à l'époque, je n'avais même pas entendu ce groupe. Bien sûr, c’était un nom qui revenait souvent mais sur lequel je ne m’étais jamais vraiment penché. De mon côté, j'étais juste content d'avoir des nouveaux contacts dans le milieu. Le premier mec à nous avoir acheté la démo était le chanteur de Godless North, un groupe assez connu au Canada et dans l'underground extrême. Le mec de Satanic Warmaster a aussi été l'un des premiers à nous contacter. À ce propos, Akitsa a souvent erré dans les coins les plus sinistres et extrêmes de l'underground black metal, comme le montre justement votre split avec Satanic Warmaster, un groupe qui dérange par ses supposées associations à la mouvance NS. Comment est-ce que vous en êtes venu à faire ce split et est-ce que Akitsa a quelconques idéaux de ce type ?
J'ai toujours été attiré par la musique sombre, extrême et sinistre. Il était donc naturel pour moi que ma curiosité me dirige vers les bas fonds du black Mmtal et de l'industriel. Ces sentiers inconnus étaient inspirants malgré leur odeur nauséabonde et leur aura macabre. Je découvrais l'underground avec un esprit libre et romantique, un peu comme quand on lit une nouvelle sur un soldat dans
une tranchée ou un roman d'horreur. Je m'aventurais dans ces mystérieux territoires sans morale, ni loi, avec un état d'esprit juvénile et rêveur. En ce qui concerne le split avec Satanic Warmaster, S.T.Werewolf m'avait contacté après avoir entendu nos premiers albums au début des années 2000.

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C'est la première offre de split EP sur vinyle que nous avons eu et un label portugais du nom de Nightmare Productions était intéressé pour le sortir. Nous avons donc enregistré notre partie et quelques temps plus tard le split est sorti en collaboration avec le label polonais Agonia Records. À l'époque de sa sortie ce disque était plutôt anodin, ce n'est que des années plus tard, avec la popularité que Satanic Wasmaster, que les gens se sont penchés dessus. Le split en soit ne se veut aucunement politique, mais un hommage à la scène black metal archaïque et primitive. Akitsa n'est pas un projet raciste et ne le sera jamais. Il a toujours été important pour moi d'être honnête dans ma démarche et je n'ai jamais cru en la supériorité d'une race au dessus d'un autre. Je suis heureux d'avoir cette tribune pour le dire aux gens qui croient le contraire.

Il y a quelque chose de très paradoxal dans Akitsa, un rejet violent de la modernité et à la fois une approche très avant-gardiste, à contre courant des codes « traditionnels » du genre. Est ce que tu penses que la perpétuation de l'esprit underground est compatible avec une évolution du son ?

Je ne suis pas d'accord avec ton affirmation car notre approche est simplement le résultat d'une démarche par laquelle nous avons su rester honnêtes à la tradition underground tout en forgeant notre identité propre. Le son caractéristique d'Akitsa est certainement unique mais je doute qu'il soit foncièrement avant-gardiste. À mon avis, la perpétuation de l'esprit underground ne doit pas forcément passer par une évolution du style mais il est possible d'être original tout en restant fidèle à celui-ci.

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En fait, je pensais notamment à la chanson « Les Flots de l'Enfer » qui représente une grosse rupture par rapport à la production actuelle. Tu peux m'en dire un peu plus sur ce titre ?

L'idée originale était de composer un titre en hommage à la « dungeon music » du milieu des années 1990 (style Mortiis) . Après avoir enregistré l'esquisse de ce qu'allait devenir « Les Flots de l'Enfer », j'ai envoyé cette trame à Néant. Il a tout de suite été inspiré pour composer un texte narratif pour cette mélodie, un texte lourd, imbu de désespoir et de désolation. Une sorte de suite au texte de « Vers la mort », un morceau paru sur notre album précédent. Suite à la réception de son texte, je me suis rendu chez Eric M. Syre avec qui j'ai complété l'enregistrement du titre. Nous y avons ajouté cette trame narrative qui se veut une complainte moderne face à ce que certains entre nous ressentent à notre ère. Une longue marche, souvent pénible, qui a toujours pour fin la mort.

Il y a toujours eu peu de place pour l'ésotérisme, ou du moins pour le satanisme premier degré et son sens de l'apparat dans l'univers d'Akitsa. Est-ce que c'était une manière de rompre avec une certaine scène qui a dérivé dans les clichés ? Ou c'est juste quelque chose qui t'intéresse peu ?

Il a toujours été primordial pour nous d'être honnêtes dans notre démarche et de toucher des sujets auxquels nous sommes liés. Akitsa n'est pas une entité théâtrale, des sujet tels que les trolls, les gargouilles, les magiciens, les centaures et les boucs cornés qui résident dans un cachot enflammé au fin fond des abîmes de l'enfer de la bible chrétienne ne nous intéressent pas. On se concentre sur le réel, l'aura noire, la vraie. Le venim de l'âme n'est pas ésotérique à mon sens.

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Tu gères le label Tour de Garde depuis une quinzaine d’années maintenant. Tu penses que la notion d’underground est encore valable à l’heure où n’importe quelle démo est accessible en deux clics ?
C’est compliqué comme question. Il existe encore mais c’est sûr qu’on est loin des formes passées. À l’heure qu’il est, je considère que cet underground persiste entre ses acteurs et les relations qu'ils entretiennent. L’underground reste ce réseau élitiste, qui peut me donner accès à des choses inédites, que ce soit un mp3 de répétition de Satanic Warmaster qui ne sortira jamais, ou une cassette que je possède et dont tout le monde se balance. Après, pour ce qui est des réseaux de diffusion, tout est dispo oui, et là dedans, il s'agit surtout d'avoir le nez creux, du flair. J’arrive à retrouver cet esprit dans certains groupes aussi.

Lesquels ? Et au contraire, ceux qui incarnent le plus la corruption de l'esprit originel selon toi ?

Je ne tomberai pas dans une énumération de groupes auxquels je ressens une appartenance ou une aversion. Un tel exercice serait non-constructif et inutile. Les gens qui se passionnent pour le black metal savent habituellement reconnaître les groupes qui ont l'esprit pur par simple instinct. Ceux qui n'arrivent pas à dissocier les formations opportunistes qui incarnent la corruption de l'essence originale ne méritent probablement pas de la connaître. Tout simplement.

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D'ailleurs si tu devais définir cet esprit en quelques mots ?
Acta, non verba.

Que le black metal se retrouve sur des medias comme Pitchfork, ou qu’il gagne en popularité dans des sphères extérieures au « milieu » avec des groupes comme Deafheaven, tu vois ça comme une hérésie ?

Qu’on parle de black metal dans Pitchfork ou dans le zine le plus obscur du monde ne change plus grand chose, à l’heure où - comme on le disait précédemment - tout est devenu accessible. Finalement, le medium compte peu si tu as des choses intéressantes à raconter, des idées pertinentes à transmettre sur le black et l’underground. Et puis il faut être cohérent, la plupart des groupes de black parlent de propagande quand ils se référent à ce qu’ils font. Si tu veux faire de la propagande, autant que ça atteigne un maximum de gens via un webzine qui fait 100 000 vues plutôt que 100.

Non, ce qui reste du blasphème, c’est plutôt d’associer des groupes comme Deafheaven ou Liturgy au black metal. Je ne sais pas vraiment si eux-mêmes s’associent au black d’ailleurs, je ne pense pas… Je n’ai pas de problèmes avec eux, qu’ils fassent ce qu’ils veulent, ils ne font pas partie de notre scène. En revanche, ce qui est plus nocif, c’est quand ces magazines comme Pitchfork les mettent dans le même panier que nous. Et qu’en résultent des connexions erronées dans la tête des gens. Mais sinon je n’aurais pas de problème à lire une entrevue de Graveland dans Pitchfork, haha.

Je me demandais si ce regain de « hype » avait amené de nouveaux clients à ton label ?

Je ne demande pas de curriculum vitae à mes clients et les ventes restent relativement stables. Cependant, Tour de Garde est un magasin en ligne qui fonctionne comme un mailorder, il faut m’écrire pour commander, ça demande une forme d’investissement, un certain effort. J’y tiens mordicus et je crois que ce n’est pas forcément bon pour le commerce. Mais je ne suis pas un businessman, je suis là pour conserver un certain esthétisme de l’underground. Le nom du label rejoint cette idée, faire la ronde de guet sur l’underground, le tour de garde. Mais aussi de se poser comme dernier rempart de l’underground afin de conserver l’esprit de l’époque. Il y a quelque chose de nostalgique derrière tout ça.

En parlant de nostalgie, quelles sont les choses de l'ancienne époque qui te manquent le plus ? Et que considères-tu comme des changements positifs ?

Ce qui manche aujourd'hui, c'est l'effort et la dévotion qu'il fallait avoir pour faire partie du milieu dans les années 90. Depuis quelques années, pratiquement tout est accessible facilement après une simple recherche sur Internet. Après quelques clics, il est possible de dégoter les démos les plus obscures et mystérieuses alors qu'avant, on devait consacrer des heures d'efforts et de labeur pour écouter ce genre d'enregistrements. Ces changements, qu'ils soient positifs ou négatifs, sont inévitables.

L'underground doit suivre la révolution technologique qui affecte le monde de la musique depuis des années et il n'y a aucun moyen de retourner en arrière. La magie des années passées est un souvenir réservé à ceux qui ont connu cette époque. Un des changements positifs est que nous pouvons à présent correspondre rapidement (quasi-instantanément) avec des contacts qui se trouvent à l'autre extrémité de la planète sans débourser un sou. Ça facilite la collaboration entre artistes et l'échange d'informations pertinentes avec des gens du même créneau.

Pour finir, ça fait maintenant plus de 15 ans que vous êtes présents, tu te vois encore resigner pour quinze années supplémentaires avec Akitsa ?
C'est une question que je ne me pose jamais. Si l'inspiration et l'énergie y sont, nous y serons.

Et aura-t-on la chance de voir un jour Akitsa en France ?
Possiblement, nous viendrions vous rendre visite avec plaisir. Il n'y a aucune offre intéressante en vue mais cela peut changer.

Merci ! Le site de Hospital Productions

Le site de Tour de Garde François Vesin tient mordicus à son black metal originel. Il est sur Twitter - @lepediluve