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Music

Les Deftones ne seront jamais là où vous les attendez

Chino Moreno nous parle de ses titres de morceaux imbitables, du plaisir et du danger que représente le fait de bosser avec ses meilleurs potes et du dernier album du groupe, « Gore ».

Les Deftones échappent à toute tentative de classification. Le groupe californien est apparu au début des années 90, partageant la scène avec Korn, posant les bases du nu-metal, un des mouvements les plus improbables de l'histoire de la musique mainstream. Mais il n'y avait pas besoin d'être particulièrement observateur pour réaliser que le quintet de Sacramento n'était pas vraiment à sa place dans la bouillabaisse rap-metal. En 2000, à l'apogée du genre, le groupe sort White Pony, son album le plus vendu à ce jour. Un cocktail de sauvagerie et de mélancolie où s'expriment ouvertement leurs penchants pour la synthpop et le shoegaze. Et c'est justement parce que les Deftones se situaient bien au-delà du nu-metal, qu'ils ont réussi à s'en affranchir et à survivre à sa chute. En élaborant un son unique, ils ont, avec chacun de leurs disques, exploré les recoins inconnus d'un monde qui n'appartient qu'à eux.   Le huitième album studio des Deftones, Gore, fait, comme les précédents, la part belle aux riffs massifs et aux refrains extatiques, de l'explosif « Doomed User » aux turbulences vaporeuses de « Phantom Bride », temps fort de la fin de l'album, embrasé par la guitare de Jerry Cantrell d'Alice In Chains. Simple, direct, aéré, mais toujours aventureux dans sa texture, Gore est la parfaite synthèse du style Deftones. J'en ai profité pour passer un coup de fil à Chino Moreno, le chanteur du groupe, pour lui demander comment les Deftones avaient réussi à évoluer hors de leur zone de confort depuis la sortie de leur premier album Adrenaline en 1995, et parler du plaisir et du danger que représente le fait d'avoir choisi la musique comme boulot et d'y évoluer aux côtés de ses meilleurs potes.

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Noisey : À l'écoute du dernier album, j'ai été frappé par la texture du son, qui est différente et bien plus variée que sur les autres disques. Vous en étiez conscients pendant l'enregistrement ?
Chino Moreno : Je crois qu'on essaie de se diversifier un peu plus à chaque album, tout en conservant une partie de ce qui nous définit. Alors oui, cette fois-ci, c'est un peu différent au niveau du son. À commencer par le matériel qu'on a utilisé. Et puis on a tous occupé un espace sonore un peu nouveau sur certaines parties du disque. Quant aux chansons, leur structure et ce genre de choses, on a passé un peu plus de temps à les peaufiner. Les deux derniers albums ont été écrits et enregistrés en très peu de temps, alors que celui-ci s'est construit le long d'une année avec quelques moments d'écriture très ramassés et intenses. C'était bien, ça nous a permis de réfléchir aux différentes idées et de les ajuster un peu mieux. Est-ce que l'écriture est parfois un combat entre vous ?
Oui, et très souvent, même. On tente d'être chacun responsable du développement du groupe. On est tous de bons amis, on échange en toute franchise et je crois que c'est la meilleure chose à faire. Ce n'est pas toujours le plus évident, mais le fait que chacun livre une opinion sincère nous aide à nous dépasser et tester nos limites, pour faire de ces moments une expérience réellement organique. Il y a des jours plus difficiles que d'autres, mais c'est, dans l'ensemble, un boulot plutôt cool : tu es là, assis avec tes potes en train de faire du bruit, et tu transformes ce bruit en chansons. Est-ce que le fait de prendre du temps libre en dehors de Deftones, et d'avoir d'autres projets comme Crosses et Palms, t'aide à avoir un point de vue plus neuf sur le groupe ?
Non, pas nécessairement. Et si c'est le cas, alors je ne m'en rends pas du tout compte. Il est évident que travailler avec des gens permet d'apprendre beaucoup, et rend les choses plus agréables : chacun a sa façon de travailler, et je crois que j'apporte aussi des choses, sans pour autant modifier ma façon de faire. Quel que soit le projet, je reste moi-même. La musique vient en premier, que soit pour Crosses ou Team Sleep ou Deftones, sur laquelle je chante des mélodies, en réaction au son que j'entends. C'est le seul principe dans mon travail.

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Je trouve que la pochette du nouvel album - qui montre la nature dans ce qu'elle a de plus serein et de plus brutal à la fois - résume parfaitement le groupe. Pourquoi avoir intitulé l'album Gore ?
C'était justement l'idée : juxtaposer le visuel avec le titre. Le titre est assurément une provocation ; quant à la pochette, j'y trouve une beauté certaine. Ces deux éléments forment donc d'emblée une dichotomie. Et j'ai toujours imaginé que nos travaux les plus réussis étaient ceux qui contenaient une telle dichotomie : tu as à la fois ce côté très doux et soyeux, et ce côté très brut et déchiqueté. C'est d'ailleurs une des choses que je préfère dans ce groupe. On n'a aucune formule pour obtenir ce résultat ; c'est juste que, naturellement, on va sortir des choses plus agressives que d'autres, et tout ça forme un équilibre qui définit notre son. Le concept du visuel de la pochette, c'était de montrer cette énergie, en illustrant ce que contiennent les chansons. J'ai toujours voulu t'interroger sur les titres de vos chansons. Sur Gore, on trouve quelques-uns de vos titres les plus barrés. Comment est-ce que tu en viens à dire « cette chanson va s'appeler 'Geometric Headdress' » (coiffure géométrique) ?
Les titres viennent quasiment toujours après les chansons. Mais pour celle-ci, précisément, j'avais déjà le titre en tête, et j'ai écrit la chanson autour de cette expression. Je n'ai pas vraiment pour habitude de rédiger des paroles ou des idées. Je ne suis pas ce genre d'artiste qui a chez lui un bouquin rempli de choses dont il sait qu'il fera un jour des chansons. En fait, quand je bouquine, et lorsqu'un mot ou une phrase attire mon attention, je le note. Et c'est seulement une fois la musique écrite, que je me mets à écrire les mélodies et les paroles. Et parfois, en consultant mes notes, et je me dis « Wow, cette chanson a… » Par exemple, sur cette chanson, « Geometric Headdress » : la musique elle-même, sa structure et le type de mesure utilisé sont un peu chaotiques, et le nom colle parfaitement. Ça m'a donné un modèle autour duquel j'ai pu commencer à broder, et j'ai donc écrit des paroles qui correspondaient au titre. Mais c'est chaque fois différent : parfois la chanson est prête, déjà écrite, et je lui trouve un nom. Et souvent, ce sera un nom bizarre… d'ailleurs la plupart des titres des albums que j'aime sont un peu tordus. Tu lis le truc, tu ne comprends pas tout de suite de quoi il s'agit, et d'ailleurs tu ne le sauras peut-être jamais. C'est cette curiosité qui me porte, en tant que fan de musique. Les paroles sont donc généralement la dernière étape du processus de composition ?
Voici comment je procède : j'écoute l'instrumental au casque, et j'enregistre trois ou quatre prises, toutes radicalement différentes, et sans paroles. Bon, parfois, quelques mots vont sortir, et je vais les garder, mais la plupart du temps, c'est uniquement la mélodie. Ça me permet de comprendre la cadence de la chanson, et comment ma voix va pouvoir s'y poser en tant qu'instrument. Puis il s'agit de reconstituer le puzzle en assemblant les paroles, les mélodies et la structure. C'est une petite mission, en réalité, mais c'est la seule manière dont j'arrive à le faire. La musique inspire les paroles, qui viennent donc en tout dernier, en effet. Il y a des gens qui font tout le contraire : certains ont leur carnet de chansons, le tendent aux musiciens et leur disent « Hey ! Écrivez-moi une chanson qui aille avec ça. » Moi, je n'ai jamais réussi à faire comme ça, même si j'admire ça.

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Vous avez invité Refused sur une partie de votre tournée US qui a eu lieu l'été dernier.
Oui, on est très fans de Refused, donc ça nous paraissait tout à fait logique de les inviter. Ils ne pouvaient pas assurer toute la tournée, et ils n'ont été avec nous que pour un mois. C'est quand même très excitant pour nous, surtout avec un groupe qui a une telle énergie. La première partie est là pour chauffer la foule et la faire transpirer. Refused est parfait pour ça. Et puis le fait de jouer après un groupe de cette trempe va nous obliger à être au top. Vous allez faire beaucoup de grandes salles, mais assez peu de gros festivals…
On fait quand même notre quota de festivals cette année, je t'assure, mais c'est bien d'équilibrer par des concerts plus classiques dans lesquels on peut se plonger à fond, jouer des versions plus intenses, et faire des sets plus longs. Parce qu'il s'agit alors de « notre » show. C'est nous qui choisissons toute la musique que tu entends dès l'ouverture des portes, pendant l'entracte, et jusqu'à ce qu'on monte sur scène. On fait des playlists qui tournent toute la journée. C'est donc un événement 100% Deftones. Je reconnais qu'on a une sacrée chance de pouvoir faire ça. Mais les festivals sont des expériences excellentes, aussi, et notamment en Europe, ceux dans lesquels on joue depuis nos débuts. C'est vraiment différent, là-bas. Je me souviens de l'année où on a joué au Roskilde Festival : il y avait Sepultura, Bod Dylan, PJ Harvey… En tant que fan de music, je me suis dit « Oh ! Je vais vraiment jouer avec tous ces artistes géniaux ? ». Et le public était là, réuni au même endroit, à apprécier des artistes aussi variés. Je trouve ça vraiment bien de pouvoir profiter d'une telle ouverture d'esprit sur la musique. Il y a toujours des artistes très différents, et ça veut forcément dire pour nous qu'on va passer un excellent moment.

Deftones sera le 3 mai à l'Olympia. Inscrivez-vous pour gagner des places :

Craig est sur Twitter.