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Music

Descentes de flics et concerts sur des parkings : dans la scène punk latino de Los Angeles

La réalisatrice Angela Boatwright nous parle de « Los Punks », son documentaire sur une scène aussi secrète qu'ignorée.

CXA à l'Oso pour Halloween 2015, Huntington Park, Los Angeles. Toutes les photos sont signées Angela Boatwright.

Au moment où vous lirez ces lignes, il y aura sûrement un concert punk en train de se jouer dans l'arrière-cour d'un quartier malfamé de Los Angeles – East LA, Boyle Heights, ou South Central. Et au premier coup d'oeil, ça aura l'air d'un concert punk comme les autres : des kids avec des crêtes et des ceintures à clous en train de mosher, picoler et passer du bon temps. Mais en regardant un peu plus attentivement, vous vous rendrez compte que le batteur n'est pas assis sur un tabouret de batterie mais sur une chaise de jardin, qu'il n'y a pas de pied de micro et que c'est un pote du chanteur/guitariste qui lui tient et que presque tout le monde a le teint mat. Bienvenue chez les punks latinos, qui ont leur propre scène, avec leur propres groupes, et aucun désir ni besoin d'attirer l'attention des médias – ni même du reste de la communauté punk. Très vite, un hélicoptère se met à tourner au-dessus de la scène, un projecteur balayant la foule. Quelques instants plus tard, le LAPD débarque avec ses techniques de contrôle et de dispersion des foules. Et il est impossible de savoir comment la nuit finira.

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La réalisatrice Angela Boatwright a capturé ces moments – et bien d'autres – dans son nouveau documentaire, Los Punks. Après avoir passé des années à photographier les groupes metal et les skaters de New-York, Angela a déménagé à L.A en 2012 et a assisté à son premier concert de backyard punk l'année suivante. Elle a commencé par filmer cette scène pour une série de petites vidéos diffusées sur le net et sponsorisées par Vans. Très vite, elle s'est retrouvée avec de quoi faire un long métrage. Après 3 ans de tournage, elle considère le punk latino comme « une scène qui se suffit à elle-même. Aux concerts, on peut croiser un T-shirt Bad Religion ou un T-shirt Black Flag par-ci par-là, mais la plupart des gens portent les T-shirts et les patchs des groupes de la scène backyard. Ils se soutiennent mutuellement. On en revient toujours à la famille et à la communauté. »

Noisey : Comment tu t'es retrouvée pour la première fois à un de ces concerts ?
Angela Boatwright : J'ai emménagé à Los Angeles en 2012, et j'essayais de trouver des gens comme moi, des gens avec qui traîner. Quelques personnes m'ont parlé des concerts organisés dans les backyards de East L.A. Mon premier concert, j'y suis allée pour faire du repérage pour cette série de vidéos sur Internet. Mon ami Ron Martinez m'a invité à venir voir son groupe Lower Class Brats qui jouait dans la Valley, et c'est là que j'ai vu tous ces kids aux concerts, et que je me suis dit « putain, il se passe quoi là ? » C'est à ce moment que Vans m'a demandé de leur trouver une idée de scénario pour leur série, donc tout est arrivé en même temps. Tu fréquentes différentes scènes underground depuis longtemps. Qu'est-ce qui t'a interpellé dans ces concerts ? Mis à part qu'ils ont lieu dans les arrière-cours des maisons et qu'ils sont majoritairement constitué d'un public Latino ?
J'ai eu l'impression de pénétrer dans une autre dimension, comme si j'avais fait un voyage dans le temps. Et c'est exactement le genre d'aventure que j'adore. En gros, c'ets comme si je m'étais retrouvé dans un lieu tenu secret. Et d'un certain point de vue, je représente l'ennemi, parce que c'est moi qui dévoile ce secret au grand public. Personnellement, je pense que la scène backyard a tellement son truc à elle et se distingue tellement des autres, que même un film comme Los Punks ne la détruira pas. Je crois qu 'elle peut conserver cet anonymat malgré le film. En tous cas je l'espère.

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Nathan, 18 ans, dans le mosh pit, South Central, Octobre 2014.

Tu as eu la sensation que certains punks ne voulaient pas que tu fasses connaître leur scène ?
Oui, et certains d'entre eux sont restés sur leurs positions. Mais j'ai bossé avec beaucoup de skaters à New York, et ils peuvent être également très durs, d'autant plus que je suis une meuf qui ne skate pas. Peu importe que tu sois mignonne, ou pas, ils s'en foutent – si tu n'es pas new-yorkais pure souche, tu dégages. On m'a aussi emmerdé pendant les quatre années que j'ai passé à la fac, alors je suis habituée à ce que les gens ne veulent pas de moi dans leur scène. C'est un leitmotiv récurrent dans ma vie, les gens qui ne veulent pas de moi. Mes parents ne voulaient pas de moi. Les gens à la fac ne voulaient pas de moi ; les gens à New-York ne voulaient pas de moi. Je vais bientôt avoir 40 ans, donc maintenant ma réponse c'est « viens pas me faire chier ! » Comment tu as réagi face aux punks qui ne voulaient pas de toi aux concerts ?
Je suis restée. Il y en a dont j'ai fini par gagner la confiance, et d'autres qui étaient vraiment énervés que je sois là au début et qui ont fait machine arrière ensuite. Et puis il y a aussi ceux qui ne voulaient pas que je foute un pied aux concerts, et qui m'adorent maintenant.

The Casualties à South Central, Juillet 2015.

Kat de Las Cochinas à l'Euclid House, Boyle Heights, Août 2013.

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Maintenant que le film va sortir, est-ce qu'il y a encore certains blocages dans la scène ?
Non, même si les épisodes de la première série ont généré beaucoup de haine, parce que c'était comme leur filer un miroir. Par exemple, un truc aussi simple que d'aller mosher dans le pit, tu crois que t'es le roi du monde, t'es un gros dur, tu pousses tout le monde, et puis après tu te vois sur la vidéo et puis en fait c'est pas du tout ça. Et là, c'est dur. Cette hostilité s'est propagée rapidement dans toute la scène – et c'était horrible – mais j'ai continué à aller aux concerts. Les punks ont vu ça, donc j'ai approché les gens un par un.

Je ne suis pas le genre de réalisatrice qui se dit « je vais chercher le sujet qui a le plus de chances de me rendre célèbre. » Je m'en fous un peu de ça. Je pourrais juste être prof, par exemple. Mon but est d'aider les gens, de rentrer dans la vie des jeunes et de la changer. Si réaliser un documentaire est le moyen d'y arriver, super. Si devenir prof est le moyen d'y arriver, ça me va aussi.


Seclorum sur un parking, South Central, Août 2014.

Est-ce que des gens vous ont emmerdé aux concerts ?
Oui, tout le temps. Notre équipe n'était pas très grande – parfois j'étais seule. Dans le concert qu'on voit dans le film, quand les flics arrivent et accusent un mec d'en avoir poignardé un autre, j'étais la seule personne présente. Le plus gros staff qu'on ait eu était de dix personnes maximum, sécu comprise. Tu ressentais le besoin d'avoir une équipe de sécurité ?
Quand tu fais une production comme celle-là, il y a des formalités légales à respecter. Si tu embauches un agent de sécurité et qu'on te vole ton matériel, tu as plus de chance qu'on te le remplace, parce que tu as fait les choses dans les règles. Mais on embauchait toujours des gens de couleur, et on s'assurait toujours qu'ils viennent habillés normalement. J'ai fini un paquet de fois à passer la soirée avec eux, ou eux finissaient par traîner avec les punks. Il y a même eu des cas où les mecs de la sécurité étaient d'anciens punks. Mais pour info, il n'est jamais rien arrivé à notre équipe.

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Crusty Drunks sur le même parking, South Central, Août 2014.

La police a interrompu bon nombre de ces concerts. En quoi cela affectait la façon de filmer ?
Oh, j'adore ce genre de situations. A mon tout premier concert, les flics ont déboulé et la police c'est 50/50, tu sais ? Parfois ils sont à chier, parfois ils sont cools. Parfois ils sont cools avec moi, et pas cools avec les punks. Ça arrivait souvent. Si quelqu'un ici pense qu'être Blanc n'est pas un avantage, je peux lui garantir que ça l'est absolument dans cette ville. J'ai beaucoup d'exemples. J'ai eu de longues discussions avec certains agents après les descentes dans les concerts – et il y a même des punks qui se joignaient à nous. J'aime ça. Mais je n'aime pas quand des gens sont blessés par contre. La présence de la police ne vous a pas rendus nerveux ? Surtout en ce moement, où on ne compte plus les bavures…
Pas quand une fille blanche avec une caméra est là. Ma présence changeait entièrement la situation. J'espère que tout le monde est bien au courant qu'il est autorisé par la loi de filmer les officiers de police aux États-Unis. À Los Angeles, le moindre flic sait que tous les citoyens sont au courant. Donc ce qu'ils font, c'est de faire genre « Arrêtez d'utiliser votre flash, ça m'éblouit. » Évidemment, tout ça arrive la nuit, donc ça revient à dire « Vous pouvez prendre des photos, mais n'utilisez pas votre flash. » Parfois j'obéissais, parfois non. Je n'ai aucune envie d'aller en prison, et je n'ai pas envie d'attirer des ennuis aux punks, donc la plupart du temps je coupais mon flash quand on me le demandait. Mais une autre technique de la police, c'est de braquer leur lampes-torches en plein sur la caméra. Un soir à Huntington Park, deux agents ont fait une descente dans un concert, et un des deux a passé tout son temps à braquer sa lampe sur mon appareil. [Rires] Donc j'ai plein de photos de lui. Je l'appelle « Agent Torche ».

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Le LAPD vient sonner la fin de la fête, South Central, Août 2014.

Dans ce genre de situations – entre la police et les punks qui viennent t'emmerder –, est-ce que tu penses qu'être une femme a représenté un avantage ?
À 200 %. Je ne pense pas qu'un homme aurait pu faire ce film, ça tient au seul fait que les mecs challengent leurs égos en permanence. Un mec qui débarque à un concert avec tous ces mâles, avec leurs gros muscles et leurs grosses couilles, ces punks qui sont là depuis des années ? Laisse tomber.

L'histoire du DIY est bien entendu intimement liée au punk, et beaucoup de punks dans ton film semblent suivre scrupuleusement ses préceptes. Ils aiment l'idée de ne devoir rien à personne, d'être indépendants, et le mainstream, voire le public punk plus large, ne les intéresse pas. Puis il y a ce passage dans le film où l'on voit le groupe Corrupted Youth ouvrir pour les vétérans punk The Casualties, groupe hyper populaire, dans une vraie salle, et Corrupted Youth sont évidemment excités par cette opportunité. Quel est ton point de vue là-dessus ?
Tu sais aussi bien que moi qu'il y a un gros conflit interne dans cette scène sur la question de la réussite. Personnellement, je n'ai jamais eu de problème avec le fait de bosser avec des sponsors. Si quelqu'un veut soutenir quelque chose de positif, je pense que c'est une bonne cause. Mais ce n'est que mon avis. En tant qu'êtres humains, on cherche à atteindre le succès, mais on veut aussi appartenir à un groupe de référence, une communauté de gens avec qui partager sa vie et ses idéaux. En cherchant à plaire à un public plus large, tu risques de perdre le contact avec ton groupe de base, et pour certains, ce risque est trop grand pour être pris. Donc malheureusement, il y a des gens qui choisissent de ne pas pousser leur musique vers le haut, par peur de perdre leur groupe d'amis. Moi je n'ai jamais réfléchi comme ça.

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Non, vous n'êtes pas dans Valley Girl en 1983 mais à un concert à Boyle Heights en 2013.

À ce propos, est-ce que tu penses que l'implication de Vans dans Los Punks biaise le débat sur ton film ?
Oui, complètement. Dans un monde rêvé, j'aurais adoré pouvoir faire ce film toute seule. Quoiqu'il en soit, l'idée de faire un film est issue de ma collaboration avec Vans. Et ils ont fait bien plus que du simple soutien. Vans ne m'ont pas donné la moindre directive pendant la conception du film. Ils ne m'ont pas dit « il faut plus de plans sur les chaussures », ou un truc du style. Ils m'ont mis en contact avec un scénariste et un producteur très doués, et ils m'ont laissé faire ce que je voulais. J'aurais pu dire « non, je n'accepterai pas d'argent d'une grande marque pour faire un film », ou j'aurais pu dire oui et essayer d'en faire profiter quelques personnes. C'est ce que j'ai fait.

Au bout du compte, que penses-tu avoir accompli avec Los Punks ?
Je ne sais pas encore. En fond, il y a l'industrie de la musique, qui n'existe presque plus. Le public concerné est tellement moins important que ces scènes ont besoin de notre soutien. Les groupes ne se font pas du tout autant d'argent que les gens croient. Si on ne soutient pas le heavy metal et le punk, ils disparaîtront. Donc si je réussis à faire découvrir cette musique underground aux gens, et qu'ils apprécient, c'est parfait pour moi.

Ray de Pleasure Wound, South Central, Octobre 2014. Los Punks sera diffusé pour la première fois à la House of Vans de Brooklyn ce jeudi 26 mai, avant des concerts des Casualties, South Central Riot Squad et Age Of Fear.