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Music

BBmix : « Pas l’endroit pour faire jouer le dernier truc à la mode »

La nouvelle édition du festival de Boulogne-Billancourt aura lieu ce week-end. Tour d'horizon avec un des trois programmateurs, Jean-Sébastien Nicolet aka Jiess.

Cette année, le BBmix a eu chaud. Très chaud. Mais le festival vivra une onzième édition que la mairie de Boulogne-Billancourt a eu la bonne idée de maintenir en dépit des événements parisiens du 13 novembre. Autant dire que cette fiesta indie-rock de trois soirs fait déjà figure de bébé dinosaure pour sa capacité à survivre dans une ville de banlieue parisienne peu réputée pour ses audaces musicales. BB, comme Boulogne-Billancourt, commune francilienne qui chatouille le derrière du 16e arrondissement parisien, bien lovée entre un bras de la Seine et le Bois de Boulogne, et qui finance royalement depuis sa naissance ce festival où se croisent de vieux diables du rock qui sortent de leur boîte et de jeunes noms improbables qui expérimentent tous azimuts, pour un résultat en forme de shaker sacrément secoué. Du genre Wire, Sylvain Chauveau, Last Ex, Moss Lime, Half Japanese, Nots, Disappears, Thee Dead Clodettes ou Tomaga, tous piochés dans la programmation 2015.

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Ils ne sont pas trop de trois pour assembler les axes tordus de cette offre démente, trois programmateurs qui auraient autant pu choisir le saut en parachute avec les yeux bandés, mais qui préfèrent chaque année mettre leur complémentarité au service d’une affiche aussi improbable qu’excitante. Forcément, on avait envie de comprendre le pourquoi du comment d’un tel barnum et c’est Jean-Sébastien Nicolet alias Jiess, la caution à binocles du trio, qui se charge d’expliquer leur fonctionnement et leur philosophie. Booker d’artistes surbooké, programmateur à répétitions de soirées et de festivals, il pose son sac pour avaler une pizza avant de prendre un TGV, et jette un regard lucide sur le paysage live hexagonal dans lequel BBmix se pose un peu plus chaque année comme une géniale anomalie. Ça se passe du 27 au 29 novembre et seul manquera à l’appel le dernier projet de Rubin Steiner, Drame, excusé pour raison médicale. On ne comprendrait pas très bien que vous trouviez meilleure occupation. Jiess, the man with the plan Noisey : Le festival Musiques Volantes que tu co-programmes vient de démarrer à Metz, tu n’as pas trop les boules de ne pas y être ?
Jean-Sébastien Nicolet : Je ne peux pas être partout. J’avais un concert hier soir à Paris que je voulais absolument voir… J’y file donc aujourd’hui car une grande partie des artistes que j’ai programmés y joue ce soir, dont Wire qu’on retrouvera au BBmix. C’est la soirée rock un peu cool, et aussi celle où on se retrouve avec les vingt autres programmateurs. C’est un super moment pour nous car ce festival est un gros bazar à mettre en place, sachant qu’on fait tous ça de manière bénévole. Mais comment gagnes-tu ta vie ?
Ça fait quatre ans que je suis programmateur du Point Ephémère à Paris. Au départ, c’était juste le temps qu’ils trouvent quelqu’un pour le poste, et j’y suis encore. Mais surtout, j’ai mon agence de booking qui s’appelle My Favourite. Et donc, tu programmes un tiers de BBmix ?
Ça, c’est la cerise sur le gâteau qu’on monte avec Marie-Pierre Bonniol (créatrice de l’agence de booking Julie Tippex) et Pascal Bouaziz (ex-Mendelson et aujourd’hui Bruit Noir) depuis onze ans. L’histoire de ce festival, c’est qu’avec Marie-Pierre, nous avons travaillé pendant trois ans sur un projet de SMAC (scène de musiques actuelles) sur l’île Seguin pour la ville de Boulogne-Billancourt. Le projet est allé très loin et comprenait le festival BBmix pour faire connaître ce nouveau lieu. Mais la SMAC n’a jamais vu le jour pour des raisons politiques alors que le festival est né et dure encore aujourd’hui. C’était quoi l’idée ?
Pour Marie-Pierre, c’était de faire revenir sur scène des artistes plutôt rares en cherchant comment les proposer à nouveau sous forme de tête d’affiche. Petit à petit, j’ai intégré la programmation, tout comme Pascal. Du coup, elle se fait à trois. Half Japanese Comment vous la répartissez-vous ?
C’est d’une simplicité extrême car nous nous connaissons par cœur. Chacun sait que les propositions des autres ne viennent pas de l’industrie. Ce sont des artistes qu’on a vraiment envie de faire, qu’on chasse parfois pendant des années. Nous nous faisons une confiance aveugle. Depuis plusieurs éditions, chacun choisit une thématique de soirée où il s’investira plus que les autres. Par exemple cette année, la soirée avec Half Japanese correspond à une envie de développer le côté Do It Yourself. De mon côté, une programmation autour de Sylvain Chauveau me tenait à cœur. Quant à Wire, ça fait partie des groupes qu’on veut programmer depuis longtemps et qui font l’unanimité. Financièrement, vous vous en sortez ?
BBmix est porté à 100 % par la ville. On a donc un souci normal de remplissage mais pas de pression économique. On reste sur des budgets raisonnables, donc pas question de dépenser 10 000 euros sur un artiste. Le fait d’être agent, tout comme Marie-Pierre, permet de garder le sens des réalités économiques pour un spectacle. Si un artiste nous parait trop cher, nous ne le prenons pas. Mieux vaut attendre le bon moment. Par ailleurs, nous ne cherchons pas à faire jouer le dernier truc à la mode. Sinon, à quels concerts va-t-on te retrouver au premier rang ?
Je suis très content d’avoir eu Last Ex, ça fait deux ans que je leur courais après. Ce sont deux musiciens de Timber Timbre qui sonnent krautrock avec des références à Giorgio Moroder et au western spaghetti, avec une qualité de restitution sur scène assez bluffante. Et puis Sylvain Chauveau, bien sûr, et Half Japanese pour sa portée symbolique et scénique. Sans oublier Nots, des filles du Tennessee qui font du garage-rock, et Moss Lime que Marie-Pierre adore. On aurait aussi pu faire jouer un groupe garage qui se réclame de Wire avant eux mais on a préféré des artistes d’univers différents qui restent en cohérence comme Disappears et Tomaga, le projet de deux membres de The Oscillation.

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Et tu sens une évolution à chaque édition ?

Le pire serait de tomber trop facilement d’accord, d’être trop sûrs de notre coup, ce qui serait le signe d’un manque de remise en question. Car même sur le créneau un peu tordu qu’on développe, les propositions de festivals se font de plus en plus nombreuses, avec Villette Sonique, Sonic Protest et d’autres. On doit donc continuer à se démarquer par la programmation mais aussi sur l’accueil du public et des artistes. La configuration assise de la salle, le Carré Belle-Feuille, contribue aussi à sa particularité : voir les Swans ou Wire assis, c’est cool !

Ça vous est venu comment cette envie de faire rejouer des retraités du rock ?

L’idée est de donner des clés de lecture de la musique. On ne programme jamais un artiste par hasard, il a toujours une valeur par rapport à ce que nous aimons défendre, comme Wire qui représente beaucoup pour plusieurs générations. De ce point de vue, l’artiste le plus fondateur pour nous aura été les Young Marble Giants. Au bout d’un travail de huit ou neuf ans, Marie-Pierre a réussi à les convaincre de remonter sur scène, en les rencontrant à Cardiff, en discutant… En les voyant régler leurs amplis et faire leur balance, on s’est retrouvés comme des enfants. Notre travail tient aussi à l’idée de transmission, on aime remettre en avant des artistes un peu oubliés mais qui sont hyper importants et cités en références.

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Cette année, c’est un peu le cas avec Jad Fair de Half Japanese. Pour nous, il est l’inventeur du lo-fi. Sans lui, toute une génération de groupes des années 90 n’aurait pas existé. Quand j’entends certains labels employer à tort et à travers l’expression

do it yourself

, ça fait du bien de remettre Jad Fair sur la cartographie de la musique, lui qui a été un bel oublié de histoire. Chaque année, on a fait jouer un artiste sur le retour comme Warlocks, Swans… et ça a marqué l’histoire du festival, d’autant que les groupes parlent entre eux et font ainsi notre promo. On arrive aussi à avoir des performances différentes des autres concerts car les artistes aiment nous rendre ce qu’on leur offre.

Il doit se passer pas mal de choses inattendues ?

Nous sommes sur des projets live sur lesquels nous n’avons aucune certitude. Ils ne tournent pas suffisamment pour qu’on les ait vus quinze fois. Il y a toujours une prise de risque sur le résultat final et ça rend nos choix excitants. J’ai adoré l’an dernier la rencontre entre Magnetix et Michel Cloup. Ils se sont retrouvés là sans trop se connaitre. Au bout de cinq minutes, tous se rendent compte qu’ils sont fans d’art contemporain. On a ainsi eu une discussion d’une heure où Michel assurait que la musique n’avait rien à faire dans l’art contemporain alors qu’un membre de Magnetix travaille dans une galerie. Ça a été un échange hyper fort, jusqu’à la fin de la discussion où se pose la question : «

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Tu joues où demain Michel ?

» «

Ben, dans une galerie

».

Que se passera-t-il quand la génération des Swans et Wire aura pris sa retraite ?

Depuis une dizaine d’années, l’offre musicale n’a jamais été aussi large. Il se pose donc le problème du choix. Avant, les labels pouvaient choisir des artistes à défendre avec une économie réelle, un marketing… Aujourd’hui, personne ne veut rater le nouveau truc du moment, tout le monde se perd… C’est devenu une course assez ridicule sur des projets qui ne sont pas toujours prêts, en particulier pour le live. Par ailleurs, se pose aussi le problème de la qualité. Certains artistes sont capables de produire deux ou trois bonnes chansons mais pas un album qui tienne la route. Et quand il faut retranscrire cette triste réalité en live, c’est encore un autre problème. Plus personne ne fait les choix qu’il faudrait faire : ni la maison de disque, ni les médias, ni les programmateurs… Finalement, ce sont les tourneurs qui vont opérer les choix en misant sur tel ou tel artiste.

Ce sont les conséquences directes de la crise du disque ?

Oui, et ce serait une erreur de prétendre que les revenus se sont reportés sur le live. La pression s’est décalée sur les droits voisins et les droits d’auteur, la capacité d’inscrire un artiste en synchro sur une bande-son, une publicité… ce qui génère beaucoup plus de revenus mais ne s’inscrit pas dans la construction d’un live. Tout ça va nous confronter à un vrai problème de diversité. Du coup, quand les Swans ou Wire seront à la retraite, difficile de dire qui les remplacera car il est compliqué de bâtir aujourd’hui une carrière de vingt ans. Quand je demande à mes potes de me citer les artistes les plus importants apparus dans les années 2000 et qui vont encore durer, aucun ne peut donner plus de cinq noms. Sufjan Stevens ? Animal Collective ? Ils ont ouvert des portes mais vont-ils encore durer ? Antony & the Johnsons qui a créé les liens entre pop et musique classique, et qui a ouvert la voie à des artistes comme James Blake ? Et puis Liars pour le lien entre musiques expérimentale et grand public. Voilà quoi.

Nous voilà bien barrés.

Les projets qui ont de la valeur à mes yeux sont défendus par des gens qui sont dans une économie très difficile. Dans cinq ou dix ans, on aura plus que des projets marketés d’un côté, et des artistes DIY pour les initiés. Finalement, la musique suit les écarts de plus en plus importants entre les plus riches et les moins riches dans la société. Le travail de programmation des salles en a subi les conséquences. Un programmateur a la pression du résultat, du remplissage et de l’image. L’artistique passe en dernier. Il n’est pas rare d’entendre un programmateur de SMAC qui refusera un projet qu’il aime de peur de se planter, tout ça pour faire jouer un artiste qui passe à la télé pour assurer.

Le BBmix 2015 se tiendra du 27 au 29 novembre au Carré Belle-Feuille, 60 rue de la Belle-Feuille à Boulogne Billancourt (M° Marcel Sembat). Allez-y. Pour les plus pingres, on a évidemment des places à faire gagner par ici. Mais ne perdez pas trop de temps.